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Le folklore de la partie du rivage comprise entre la limite des plus hautes
marées et celle des plus basses n'est pas très considérable,
et il n'existe guère que dans le pays où la mer couvre et découvre
tour à tour de vastes espaces.
Les personnages dont les gestes ont pour théâtre le fil de l'eau,
les sables, les herbiers ou les groupes rocheux que les flots cachent
durant une période plus ou moins longue pour les laisser à découvert
pendant quelques heures, sont moins nombreux que ceux qui fréquentent
les falaises.
Les divers êtres surnaturels qui fréquentent les grèves
y viennent parfois en plein jour;
mais on est plus exposé à les rencontrer vers le soir,
au moment où le crépuscule donne aux choses des aspects mystérieux
et fantastiques, et surtout lorsque les ténèbres enveloppent la
terre;
au reste, suivant une croyance à peu près générale
sur les côtes de la Manche, les fées sont d'ordinaire invisibles
le jour, excepté pour les gens dont les yeux ont été frottés
avec la pommade magique qu'elles possèdent et qui sert à
leurs enchantements, mais, la nuit, tout le monde peut les voir.
Les lutins du pays de Tréguier venaient, au crépuscule, prendre
leurs ébats entre le bord de l'eau et la rive :
un jeune homme de Penvenan, étant descendu à la grève,
un peu avant le coucher du soleil, pour chercher ses vaches, vit une
bande de Corandons qui s'y divertissaient en formant une ronde;
ils lui firent signe de venir avec eux, et il se mit à danser
avec les petits hommes.
Il y prenait grand plaisir, lorsqu'au bout de quelque temps, il se souvint qu'il
était venu pour ramener son troupeau.
Il regarda autour de lui, mais, ne reconnaissant pas l'endroit où
il se trouvait, et ne voyant plus ses vaches, il se mit à pleurer.
« Ne vous chagrinez pas, lui dirent les nains de la mer, vos vaches sont
dans tel endroit, tout près d'ici. »
Le garçon les trouva en effet, mais s'aperçut qu'en dansant avec
les Corandons il avait fait plusieurs lieues, sans s'en douter.
A Guernesey, les sorciers et les sorcières se réunissaient pour
danser sur le sable de la Baie de Rocquaine, et ils chantaient
une ronde dont le refrain était :
« Qué-hou-hou ! Marie Lihou ! »
Avant d'avoir éprouvé la malice des hommes, les Morganed
de l'île d'Ouessant et les Morganezed, leurs femmes, (voir
page 2) qui avaient leur résidence
sous les eaux, venaient beaucoup plus fréquemment qu'aujourd'hui
jouer et folâtrer sur le sable fin et les goémons du rivage.
Le jour, ils faisaient sécher au soleil, sur de beaux linceuls
blancs, des trésors de toutes sortes.
On jouissait de leur vue tout le temps qu'on restait sans remuer les paupières,
mais, comme le linge des fées marines de la Haute-Bretagne, ces richesses
disparaissaient au premier battement.
Dans le pays de Tréguier, des fées malveillantes faisaient
jadis périr ceux qui s'aventuraient la nuit sur la grève.
Les paludiers de Crec'h Morvan, jaloux des sauniers de Buguelès dont
le sel était de meilleure qualité, offrirent de payer à
la Vieille Fée de Grwagez un boisseau de sel par jour à la condition
qu'elle contrarierait leurs rivaux;
l'une de ses compagnes allait se poster sur la route tracée à
travers la grève, et remplie de crevasses et de fondrières, par
laquelle les gens de Buguelès transportait leur sel la nuit;
elle leur cachait les endroits dangereux et les précipices au
fond desquels ils allaient souvent rouler avec leur charge.
Comme ils disparaissaient l'un après l'autre et que le sel n'arrivait
plus guère qu'en petite quantité à la sécherie de
saint Nicolas, le saint leur dit que sans doute le diable les punissait d'avoir
fraudé, et il les menaça de faire venir son sel de Crec'h Morvan.
Une nuit, au lieu d'envoyer les hommes comme d'ordinaire, le saint les remplaça
par des femmes, qui se mirent à marcher à la file.
A peine avaient-elles fait quelques pas, que celle qui était devant tomba
dans une fondrière, mais ses compagnes, au lieu de l'en retirer, lui
jetèrent de grosses pierres, et continuant leur route, arrivèrent
sans encombre dans l'île.
Le lendemain, elles furent bien étonnées de voir à son
travail celle qu'elles croyaient avoir tuée.
On la questionna, et elle répondit qu'elle n'avait pas bougé de
chez elle.
La nuit suivante, on trouva dans la fondrière, sur le tas de pierres,
des habits de femme que l'on reconnut pour appartenir à l'une
des mauvaises fées de Grwagez;
c'était en effet l'une de celles-ci qui était tombée dans
la fondrière, en essayant d'y attirer les paludières.
Depuis, tous les ans, les sauniers, pour conjurer le sort, jetaient dans
ce trou des vêtements de femme avec une hotte de sel.
Ceux qui s'approchent trop des endroits dangereux, ou qui, au crépuscule
ou à la nuit close, se trouvent seuls sur les grèves,
sont exposés à y rencontrer d'autres êtres fantastiques
et méchants.
Ils semblent particulièrement redoutables pour les enfants, et
les récits où ils figurent semblent avoir été imaginés,
ou conservés, pour les rendre prudents et les empêcher
de s'écarter des villages.
Vers le commencement du 19e siècle, on croyait encore, dans la région
de l'Aude, à l'ome pelut, l'homme velu, qui se tenait sur les
bords du fleuve et sur les rivages de la mer.
Chaque localité avait le sien, qui emportait dans sa barque les
habitants, et surtout les petits enfants, qui s'aventuraient trop près
de sa demeure;
il les emmenait au loin pour les vendre comme esclaves.
Cette dernière circonstance se lie peut-être à un souvenir
confus des incursions fréquentes des pirates barbaresques sur
les bords de la Méditerranée.
Sur la côte dieppoise, on connaissait une sorte de lutin qu'on appelait
le Petit homme rouge, et qui était peut-être le même
que le Nain rouge des falaises, auquel les pêcheurs s'adressaient
pour qu'il gardât leurs filets.
Vers 1830, les vieilles femmes du Pollet racontaient à leurs petits-fils
une de ses apparitions.
Comme il passait un jour sur le rivage alors que beaucoup d'enfants y
jouaient, ils se moquèrent de lui;
mais le petit homme se fâcha, ramassa des pierres et se mit à
les leur jeter.
Il était tout seul, et cependant elles pleuvaient comme si cent
bras les eussent lancées.
Les enfants effrayés, allèrent d'abord se réfugier dans
le bateau d'un pêcheur, mais le nain les suivit et continua à les
bombarder, si bien que, pour se mettre à l'abri, ils descendirent à
fond de cale et y demeurèrent cachés.
Cependant ils entendirent les pierres résonner sur le pont pendant plus
d'une heure.
A la fin tout parut tranquille, et ils virent que le petit homme avait disparu;
quant aux pierres, il n'en restait pas une seule sur le pont.
Aux environs de Saint-Malo, les mères, pour détourner
leurs enfants d'aller le soir au bord de l'eau, leur parlent de plusieurs personnages
terribles qu'ils sont alors exposés à rencontrer :
Gros-Jean guettait ceux qui s'attardaient seuls sur le rivage, pour les
emporter dans un tonneau où il les tenait enfermés, ne
leur donnant à manger que des ribères (fucus) avec de l'eau salée
pour toute boisson.
Nicole, le lutin protéiforme, qui jouait tant de tours aux marins, même en pleine mer, enlevait les petits pêcheurs qu'il voyait dans le havre à la chute du jour.
Une sorte de bête, assez mal définie, appelée, on ne sait pourquoi, Saint-Nicolas, était armée de griffes pointues avec lesquelles elle déchirait la figure des petits garçons qu'elle rencontrait le soir sur la grève.
Les sables et les rochers de la plage sont le théâtre de
diverses hantises, parfois assez vaguement décrites, mais d'une
nature généralement déplaisante.
Lorsque la tempête fait rage, l'Ankou, personnification de la Mort
en Basse-Bretagne, venait s'asseoir sur un rocher et riait aux éclats.
Par les jours de gros temps, une ombre errait autour du récif
de la Roche Rouge dans la Lieue de Grève (C.-d'A.);
elle allait au-devant des voyageurs attardés, et les attirait peu à
peu vers la mer qui les engloutissait.
Les feux follets que l'on voit dans le voisinage de la mer sont, au
pays de Tréguier, l'objet des mêmes superstitions que le feu de
Saint-Elme;
à l'île de Batz, on semble les considérer comme des lutins
noyeurs :
ils se plaisent à égarer ceux qui ont l'imprudence de les suivre,
et qui vont se jeter dans la mer en croyant continuer leur route sur la terre
ferme.
D'autres esprits manifestent leurs présences par des cris, et
parfois, comme les Braillards de l'île de Noirmoutier, ils portent
un nom caractéristique.
Ceux-ci poussaient des cris plaintifs, la nuit, quand le vent soufflait
avec violence.
Les marins, croyant entendre des naufragés qui réclamaient leur
aide, se jetaient à l'eau et nageaient à leur rencontre;
mais plus ils avançaient, plus le courant semblait emporter les Braillards.
Ils reculaient jusqu'à ce qu'ils eussent entraîné leurs
bienfaiteurs au bord d'un précipice;
alors ils se soulevaient au-dessus de vagues, riaient bruyamment
et disparaissaient.
Un esprit appeleur, bien connu en Basse-Normandie sous le nom de Moine de
Saire, se tient tantôt au bord de l'eau, tantôt se fait entendre
sur la mer.
On le voit dans la rade de Cherbourg, sous l'apparence d'un homme qui se noie.
Il crie : « Sauve la vie ! »
Si un matelot s'avance pour le secourir, le fantôme saisit la main
qu'on lui tend et entraîne le malheureux au fond des flots.
Alors un ricanement infernal se fait entendre à l'endroit d'où
partaient quelques instants auparavant des accents de détresse.
Quelquefois le moine se place sur les rochers et ne cesse de crier à
ceux qui passent sur la grève :
« Allez par ici, venez par là ! » afin de les attirer
aussi dans la mer.
Il fréquente particulièrement les rivages de Réville et
de Rideauville, où tous les sauniers de ces parages passent pour
être de commerce avec lui.
Aux environs de Gréville, quand la tempête est violente, des cris
lamentables sortent parfois de la mer.
Si on se dirige du côté d'où ils paraissent provenir; ils
semblent partir du côté opposé.
On met un canot à l'eau, la voix se fait entendre plus au large,
l'individu que l'on croit apercevoir sombre pour reparaître plus loin;
le mieux c'est de regagner la côte, s'il en est temps encore.
Ce personnage est le Moine de Saire, un damné qui veut entraîner
à sa suite les gens dans l'enfer.
Il se montre aussi sur le rivage, reconnaissable à son froc blanc;
il cause avec le passant, le défie à la course, et s'il accepte,
il l'attire peu à peu vers la mer.
La presqu'île sablonneuse de Penn-er-Lo à Quiberon était
jadis le domaine d'une sorte d'esprit, à la voix mélodieuse,
qui s'appelait Pautre Penn-er-Lo, le garçon de Penn-er-Lo.
Il se présentait aux voyageurs qui s'étaient laissés surprendre
par la marée ou par la nuit, au gué qu'il fallait franchir avant
la construction de la route de Plouharnel à Quiberon, et il leur proposait
de le leur faire passer sur son dos.
S'ils acceptaient, il les transportait jusqu'au milieu du gué
et arrivé là, il les précipitait dans la mer en riant à
gorge déployée.
Suivant les vieux marins de Luc-sur-Mer (Calvados), les personnes qui,
par mauvais temps, la nuit, sortaient sans lanterne sur le bord de la
mer voyaient un fantôme noir sans tête.
C'était l'indice d'un très mauvais temps et l'annonce d'un naufrage.
Pour parer à ces dangers, les habitants se munissaient de lanternes et
par ce moyen indiquaient aux marins l'endroit où ils pouvaient heureusement
débarquer.
A Yport et dans les villages voisins, des espèces d'animaux marins,
sous l'apparence de moutons ou de chevaux, se montraient souvent sur le rivage.
Leurs yeux, d'une douceur enchanteresse, fascinaient celui qui les regardait;
bientôt, malgré lui, il plongeait dans la mer à leur suite
et ne reparaissait plus.
Aux environs de Carnac, le lutin Collé Pohr en Dro prenait quelquefois
la forme d'un cheval;
si quelqu'un avait l'imprudence de monter sur son dos, il galopait vers la mer,
et arrivé au fil de l'eau, s'évanouissait entre les jambes
de son cavalier.
Les sorciers sont assez rarement en rapport avec le rivage :
pourtant le Sorcier rouge se promenait la nuit au bord de l'eau près
de Roscoff, et précipitait dans les flots quiconque avait la témérité
de troubler sa solitude.
Comme les tempestaires de l'intérieur, il excitait les orages en frappant
la mer à coups de fourche ou avec une longue gaule.
Les sorciers de Noirmoutier se réunissaient à l'anse du Coin de Maupas, et c'est là qu'ils se mettaient en communication avec ceux de l'île de Ré.
Les pêcheurs de la Manche disent que, de minuit aux premiers rayons de l'aurore, les grèves ne sont plus aux vivants, mais au démon, alors que dans l'intérieur des terres, l'heure du diable commence à dix heures pour finir à deux heures du matin.
Le poète Claudien disait, sans doute d'après les récits
de voyageurs, que les Armoricains voisins de la mer voyaient passer les
pâles fantômes des morts et entendaient le bruit de leur vol et
de leurs lamentations.
Cette croyance est encore répandue de nos jours sur plusieurs
points du littoral.
En Bretagne, les morts y viennent en procession, ou isolément, accomplir
un vu fait en mer, une pénitence posthume, ou implorer une
sépulture chrétienne.
Des jeunes filles virent un soir, près de Saint-Servan, des enfants de chur, un aumônier, des marins en pantalons blancs qui, sortis de la mer, s'en allaient faire à Saint-Jouan le pèlerinage qu'ils avaient promis, morts ou vifs.
Un capitaine de Binic, surpris par un orage subit, avait aussi formulé
un vu pour lui et son équipage;
mais il était trop tard, et son navire périt corps et bien.
Cependant le vu étant formulé, il fallait l'accomplir.
La nuit suivante, on vit défiler le long des rochers de la côte
une procession composée d'autant de personnes qu'il y avait d'hommes
dans l'équipage.
Tous étaient vêtus de linceuls blancs, dégouttants
d'eau salée, et chantaient d'une voix lugubre les litanies de la Vierge
en se dirigeant vers la chapelle de Notre-Dame-de-la-Ronce.
A leur arrivée, celle-ci fut subitement illuminée, ils
chantèrent sous les voûtes, puis les clartés disparurent.
Seulement on entendit encore le long de la falaise un Libera sourdement
murmuré à travers le bruit des flots.
A l'anse de Vorlen, dans la baie des Trépassés, les morts sortent de la mer et traversent le sable pour gagner une chapelle du rivage.
Des processions de noyés ont lieu sur la grève et dans les garennes abandonnées la nuit de la Toussaint.
Un pêcheur, en venant d'amarrer son bateau, vit sur la plage des lumières
et une infinité de gens qui se dirigeaient vers l'église.
Il ôta son chapeau et les suivit;
mais, quand il voulut entrer dans l'église avec eux, l'ancien
recteur, défunt depuis quinze ans, abattit la main sur son épaule,
et lui dit de retourner chez lui parce que ce n'était pas la place des
vivants.
Quelquefois on ne voit rien, mais on entend des appels et des
prières qui partent toujours du même endroit :
ce sont les naufragés ensevelis dans les sables de la baie des
Trépassés, qui réclament une poignée de terre bénite.
Certains morts ne restent pas tranquilles tant que cette satisfaction ne leur
a pas été accordée.
Suivant une croyance à peu près générale
en Bretagne, les noyés, dont le corps n'a pas été
retrouvé et enseveli en terre sacrée, errent éternellement
le long des côtes.
Il n'est pas rare qu'on les entende crier dans la nuit, lugubrement :
« Iou ! Iou ! »
On dit alors dans le pays de Cornouaille :
« E-man Iannic ann ôd a inouall ! Voilà petit Jean
de la Grève qui hurle ! »
Ce nom de Iannic ann ôd est appliqué à tous les noyés
hurleurs.
A Aurigny, les pêcheurs entendent parfois dans la baie de Soye des plaintes qui semblent partir de l'endroit où fut, dit-on, enterré vivant, il y a bien des années, un naufragé espagnol.
Bien que leurs cris soient importuns, plusieurs de ces âmes en peine semblent avoir de bonnes intentions à l'égard des vivants, et tout en implorant un peu de terre sainte ou des prières, elles les avertissent de prendre garde au mauvais temps.
A la fin du 18e siècle, les portes des maisons de l'île de Sein
ne se fermaient qu'aux approches de la tempête;
des feux follets, des sifflements l'annonçaient.
Quand on entendait ce murmure éloigné qui précède
l'orage, les anciens s'écriaient :
« Fermons les portes, écoutez les Crierien, le tourbillon
les suit. »
Ces Crierien étaient les ombres des naufragés qui demandaient
sépulture.
Dans la région du cap Sizun, en face de l'île, on dit actuellement
que les noyés adoptent un cantonnement, où ils crient le
soir et le matin, surtout quand le temps est menaçant.
Ce sont les Chouerien, les Crieurs.
Ils font quelquefois si grand tapage qu'on ne peut habiter près
de ce lieu.
Ils sont invisibles;
parfois cependant ils prennent l'apparence de naufragés.
Dans la Braye-du-Valle, des espèces de ponts, formés de
blocs grossiers entassés, sont très dangereux à cause des
goémons qui s'y sont attachés et qui les rendent glissants,
et aussi à cause de la rapidité de la marée qui
vient les recouvrir.
Les fantômes de ceux qui y ont péri les hantent.
Le plus redouté de ces entassements de rocher se nomme le « Pont-Saint-Michel
»;
la nuit, le Feu bellenger semble danser sur les sables et glisser sous
lui, et même en plein jour, lorsque le soleil est plus brillant, des cris
de détresse qui n'ont rien d'humain se font entendre.
Il est assez remarquable que les vases engloutissantes, et les sables mouvants qui existent sur bien des points du littoral, soient l'objet d'un si petit nombre de traditions.
En voici une que l'un des auteurs auteurs du Tro-Breiz dit avoir recueilli à Vannes.
Lorsque saint Vincent Ferrier eut converti le Vannetais, il voulut aller
porter l'Evangile en d'autres pays.
Comme il n'y avait pas de port à cette époque, il s'avança
sur la plage pour gagner le bateau, mais soudain le fond de sable céda
sous ses pas;
il venait de se transformer en vase;
le saint continua sa route, mais voyant qu'il allait s'enliser, et que Dieu
sans doute s'opposait à son départ, il regagna le rivage.
C'est depuis ce temps que la rivière et toute la baie de Vannes sont
remplies de vase limoneuse.
Les gens de l'embouchure du Couesnon disent que le 2 novembre un brouillard
blanc se lève à la tombée de la nuit.
Il est composé des âmes des malheureux enlisés
qui dorment sous les tangues.
Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s'étend sur
toute la baie.
Au matin ceux qui passent sur le rivage entendent murmurer :
« Dans un an ! Dans un an ! »
Ce sont les esprits qui se disent adieu jusqu'à la prochaine commémoration
des morts.
En plusieurs endroits du rivage on voit des fontaines que la mer recouvre,
et dont l'eau, dès que le flot s'est retiré, est pourtant aussi
douce et aussi limpide que si elle était en plein champ.
Les riverains expliquent par des légendes cette propriété
naturelle.
Dans un conte de Basse-Bretagne, le héros, pour obtenir un vent favorable,
doit faire un signe de croix sur le sable de la grève avec une
baguette blanche.
C'est peut-être le souvenir d'une ancienne conjuration adressée
au vent. (voir page astres
2 - le vent)
Au Moyen Age, les débris du navire qui faisait naufrage appartenaient
au seigneur de la côte sur laquelle ils étaient jetés
:
c'est ce qu'on appelait le droit de bris.
Un comte de Léon disait qu'il avait dans ses domaines une pierre
plus précieuse que toutes celles de l'univers;
il parlait de la pointe du Raz.
Une ordonnance de 1861 abolit ce droit barbare dans toute la France, mais elle ne put détruire complètement les habitudes de pillage qu'une longue accoutumance avait fini par faire considérer comme légitimes.
La mer, disait un proverbe breton, est une vache qui met bas pour nous.
Au commencement du 19e siècle, un paysan devenu recteur avouait que la nouvelle d'un bris lui faisait, malgré lui, bondir le cur de joie.
Sur la côte du Finistère, on faisait des prières pour avoir des naufrages, et les pilleurs remerciaient la Vierge de leur avoir envoyé un pillage fructueux.
D'après une tradition du pays de la Hague (Manche), on disait autrefois des messes à gravage (naufrage) dans plusieurs églises de la région.
Boucher de Perthes rapporte que dans le nord du Finistère, vers
1820, des gens faisaient célébrer une messe pour que l'année
fût heureuse en naufrages, et qu'on les avait vus parcourir processionnellement
le rivage en chantant les litanies pour obtenir les mêmes faveurs.
(Boucher de Perthes, Chants armoricains
: une scène de pillage y est décrite avec des détails qui
sont rapportés d'après nature.)
Une légende des environs de Penmarc'h présente un curieux amalgame
de superstitions antiques et d'observances chrétiennes.
La grotte de Philopen fut habitée par une sorcière qui
y vivait avec un bouc;
elle était sensée par ses pratiques mystérieuses amener
les tempêtes et attirer les navires en vue de la côte.
Les vieillards prétendent que les pillards d'épaves se réunissaient
dans sa grotte, et après avoir récité certaines formules,
on y allumait un cierge de cire jaune qu'on laissait consumer à
moitié et qu'on portait ensuite devant la statue de saint Guénolé
pour se rendre favorable ce patron de la côte.
Les pilleurs de mer ne se bornaient pas à former des vux;
ils attiraient les navires à leur perte par des feux trompeurs,
et cette criminelle pratique a été en usage non seulement au Moyen
Age, mais à des époques voisines de la nôtre.
La côte bretonne, et surtout celle de l'extrémité du Finistère,
avait plus mauvaise réputation que les autres.
Un voyageur disait en 1636 :
« L'isle de Sain ou Sizun est à présent habitée
de gens sauvages qui courent sus aux naufrageurs, vivant de leurs débris
et allumans des feux en leur isle, en des lieux de péril pour faire faire
naufrage aus passans le raz, ainsi que Nauplius feit jadis aux Grecs passans
le Caphanée. »
(Dubuisson-Aubenay)
En Normandie et surtout en Basse-Bretagne, on suspendait une lumière entre les deux cornes d'une vache, puis la bête était entravée dans son allure par une longe nouée à une corde et à sa jambe, ce qui l'obligeait, lorsqu'on la promenait sur les falaises ou sur la dune, à baisser obliquement la tête à chaque pas.
Sur les côtes de Saintonge, et principalement à l'île d'Oléron, celui qui faisait tanguer l'âne, après avoir mis en dessous de ses vêtements, pour s'assurer la chance, une ceinture de fougère mâle cueillie à la Saint-Jean, attachait au cou du baudet, dont les pieds étaient légèrement enfargés à l'aide d'une corde, une lanterne allumée, et l'animal, conduit sur le rivage, faisait osciller la lumière qui, de loin, semblait être à bord d'un vaisseau.
Les matelots qui, après le naufrage, arrivaient à terre, étaient pris, dépouillés, massacrés ou précipités dans les flots, et les débris des navires étaient emportés par les riverains.
Sur plusieurs points de la côte de Bretagne, on raconte que ces feux
trompeurs furent cause de la perte de marins du pays, et que des mères,
coupables de les avoir attirés par ces lumières, virent les flots
rejeter sur la grève le cadavre de leur enfant.
Il y en a une que l'on voit parfois errer sur les sables, armé de son
croc à naufrages, et l'on dit que c'est la pilleuse de mer qui
cherche dans le sable le corps de son fils.
A l'île de Sein a longtemps existé la pratique suivante.
Souvent, par nuit sombre, un bateau, équipage doublé, quittait
furtivement le port.
Il jetait deux hommes à la pointe sud de l'île.
Ceux-ci passaient la nuit à crier : « Holà ! Hoû
! Hoû ! Ah ! »
Les habitants, effrayés, prenaient ces cris pour les plaintes
des noyés;
ils se renfermaient dans leurs maisons et n'osaient bouger.
Pendant ce temps la barque, se guidant sur les bruits différents
que rendent les roches frappées par la lame, force des avirons et gagne
le Raz-de-Sein.
Malheur au navire, lourdement chargé, qui se serait trouvé sur
sa route !
Avant le jour, la barque, après avoir repris ses deux hommes,
rentrait au port aussi mystérieusement qu'elle en était
sortie.
On disait, au commencement du 19e siècle, que les habitants du littoral
des Landes, à la vue d'un bateau naufragé, se ralliaient
au cri de « Avarech ! Avarech ! »
pour aller le piller, comme ceux de la côte du Finistère
à celui de « Pense so en od ! Epaves à la côte
! »
Autrefois les riverains formaient une sorte de syndicat.
Des vigies surveillaient la rive, à tour de rôle.
Après le pillage, part égale; celle des absents était
scrupuleusement réservée.
Quelques récits des îles normandes parlent aussi d'actes
de cruauté ou de pillages accomplis sur leurs rives.
A Aurigny, un navire espagnol fut jeté à la côte au 16e
siècle;
les pêcheurs recueillirent dans leurs bateaux les naufragés,
parmi lesquels se trouvaient des dames couvertes de riches parures;
mais, suivant la tradition, ils furent tentés par les joyaux qu'elles
portaient, et, après les avoir volées, ils les rejetèrent
une à une dans les flots.
(Louisa Lane Clarke)
On raconte, à Guernesey, qu'un noyé, dépouillé
par un homme, qui l'avait ensuite abandonné sans lui donner la sépulture,
courroucé de cette action, lui apparut dans sa demeure.
Ce pêcheur qui avait été à marée basse visiter
ses filets vit sur le sable un cadavre richement habillé et dont
les vêtements avaient des galons d'or.
Sa cupidité fut excitée et il fouilla ses poches, y prit
une bourse contenant une forte somme, et retourna chez lui, pensant que la prochaine
marée emporterait le cadavre.
Mais à son retour à la maison, il vit le noyé assis
auprès du feu et le regardant d'un air de reproche.
Sa femme, pour qui le fantôme était invisible, s'étant
aperçue de son trouble, lui fit avouer ce qu'il avait fait.
Elle lui reprocha sa conduite inhumaine, et s'agenouilla, priant Dieu de lui
pardonner ce péché, puis elle alla à la grève avec
son mari, ils tirèrent le cadavre sur le rivage et le mirent en terre.
Quand ils revinrent chez eux, le fantôme avait disparu et ils ne le revirent
plus jamais.
Le souvenir des époques assez peu éloignées de
nous, où l'on dépouillait les cadavres des noyés,
subsiste encore sur plusieurs points du littoral breton;
mais on ne raconte pas volontiers les gestes des pilleurs.
Dans la baie d'Audierne, avant de toucher à quoi que ce soit d'un
corps trouvé à la côte, on lui faisait sur le front
un signe mystérieux, qui peut-être était un signe de croix;
suivant un récit des C.-d'A., une femme qui, près du cap Fréhel,
allait seule du pays, sur la grève après les naufrages,
s'écriait quand elle se trouvait en présence d'un cadavre :
« Ton âme à Dieu, et à moi ta dépouille
! »
Au cap Sizun, une femme, en retournant un noyé, disait :
Tomic beo :
Nevez maro !
Chapennic vad ma dén !
(Chaleur de vivant, nouvellement mort, bon paletot pour mon
homme !)
C'est ce qu'entendit le mari de celle-ci, qui voulant la déshabituer
d'aller courir la nuit sur les sables, s'était couché, ayant à
côté de lui une trique dont il la frappa à coups
redoublés quand elle se pencha sur lui.
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