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Aucun récit traditionnel ne parle de la formation des grands caps, mais à l'origine de deux promontoires secondaires de la baie de Saint-Malo se lie, comme celles de plusieurs îles des environs, aux voyages de Gargantua.
Il vomit la pointe de la Garde-en-Saint-Cast un jour qu'au sortir d'un repas copieux il était écuré par l'odeur des raies pourries que le vent lui apportait de Saint-Jacut, village où naguère on les mettait à sécher devant les maisons.
Il éprouva encore, une autre fois, un haut-le-cur lorsque les
bateaux jaguens, empuantis par les débris de poisson, passèrent
entre ses jambes, pendant qu'il traversait la mer, ayant de l'eau jusqu'au
genou :
la pointe du Décollé est le résultat de cette indigestion.
Quelques particularités des falaises se rattachent à des
épisodes de la légende
dorée :
une traînée rouge sur le flanc de celle de Lancieux
est la marque de saint Cieux qui y fut martyrisé.
Le trou que l'on remarque dans le Yoh, rocher en forme de pain de sucre à une centaine de mètres de l'île de Houat (Morbihan), rappelle une mésaventure du diable.
Lorsqu'il s'élança à la suite de saint Gildas qui,
d'un saut, était arrivé à Houat, il prit son élan;
au lieu d'atteindre le rivage, il se heurta contre le Yoh, et le perçant
de part en part avec sa tête, il alla tomber dans la mer.
En passant auprès, les pêcheurs prennent des précautions
contre la rafale du trou du diable.
Certains endroits, surtout ceux par lesquels on descend à la grève,
ont un mauvais renom;
il est parfois justifié par la nature du lieu et les dangers qui
s'y présentent.
Bien des gens ne prennent pas volontiers le sentier de Sous-la-Rue,
près du cap Fréhel (C.-d'A.), dont le nom rappelle le souvenir
des gens qui habitaient auprès, avant que la mer eût rongé
cette partie du pays.
Il semble qu'il soit hanté, comme l'est, non loin de là,
celui qui conduit dans la baie des Cévenniers;
le diable s'y tient, et l'on assure que personne n'y est descendu sans
éprouver quelque accident.
D'après une notice manuscrite qui accompagne un dessin du Musée
de Dieppe, exécuté à l'époque romantique, un
sentier, qui serpentait sur le plateau opposé à celui de Limes,
était au contraire fréquenté par une fée
aimable.
Elle se montrait à un pêcheur, toujours au même tournant,
et quand il lui avait souhaité le bonsoir, il était sûr
de trouver ses filets remplis de poissons.
De Bruck à Trestel, au pays de Tréguier, sur une étendue
d'une demi-lieue, la côte est maudite.
Naguère personne ne s'y hasardait la nuit, et un quatrain populaire
y plaçait le domaine du mauvais ange;
avant de passer, même de jour, par ce lieu, les gens se signaient,
craignant quelque effrayante apparition.
A l'île d'Arz, on voyait aussi le diable assis sur un rocher
du rivage;
par les nuits de tempête, il confondait sa voix avec le bruissement des
vagues, et poussait de terribles hurlements.
Il est rare que les fées qui venaient souvent vers les falaises étendre leur lessive, ou former des rondes, soient accusées de malveillance à l'égard des passants.
A Saint-Cast, les femmes menaçaient les enfants indociles de
les conduire à la pointe de l'Isle pour y être fouettés
par les fées avec les longues lanières de fucus, dont les
bonnes dames se servaient pour se battre lorsqu'elles étaient
en colère;
mais c'était sans grande conviction qu'on leur prêtait ce
rôle de Croquemitaine.
La Goule-ès-Fées, près de Dinard, était
habitée jadis par des fées bienveillantes :
on raconte maintenant que celui qui oserait s'aventurer, un soir de clair
de lune, au-dessus de leur demeure, serait exposé à être
saisi par un tourbillon qui l'entraînerait dans la grotte, où
il serait dévoré par les méchantes fées qui
y sont enchaînées.
Certaines fées normandes étaient aussi dangereuses
et malfaisantes.
Lorsqu'elles tenaient leur foire dans la cité de Limes, près de
Dieppe, elles attiraient jusqu'au bord de la falaise ceux qui se laissaient
prendre à leurs agaceries, leur donnaient une poussée et
les précipitaient en riant dans la mer.
A l'île d'Ouessant, les Tréo-fall, méchants
esprits que l'on appelle aussi Danserienn noz ou danseurs de nuit, sont
des personnages assez vaguement décrits, mais vraisemblablement de petite
taille comme leurs congénères de la terre ferme.
Ils mènent leur ronde, au clair de lune sur les falaises, et invitent
les passants à y prendre part, en leur promettant des trésors.
L'homme qui accepte doit planter son couteau dans le sol, puis suivant
la danse, il faut qu'il le rase à chaque tour, sans jamais le
dépasser.
S'il oublie cette précaution, les Danserienn lui brisent les reins;
s'il remplie les conditions voulues, ils lui accordent sa demande, quelle
qu'elle soit.
Les nains des falaises étaient presque toujours d'une humeur sombre
:
le Korandon que l'on vit se promener même en plein jour, sur celles
de Bilfot, près de Paimpol, ne parlait à personne et ne répondait
pas à ceux qui le hélaient;
mais on ne l'accusait pas d'une foule d'actes méchants, comme
le Nain Rouge du pays de Caux.
Il a, disait-on vers 1840, une physionomie sévère en rapport avec
la contrée abrupte où il se montre.
Il n'est pas difficile d'entrer en communication avec lui.
Mais il punit cruellement ceux qui le dérangent par un simple
motif de curiosité.
Les habitants de la vallée de Veulettes disent que plusieurs de leurs
compatriotes sont borgnes, boiteux, contrefaits, et qu'ils doivent ces infirmités
aux mauvais traitements du Nain Rouge.
D'autres, plus heureux, ont su l'apprivoiser, et ils n'ont eu qu'a se
louer de ses bons procédés.
Le pêcheurs de la vallée de Palluel passent la nuit à la
garde des filets qu'ils ont tendus.
Cependant cette précaution ne serait pas suffisante peut-être pour
les mettre à l'abri d'une attaque, si l'on ne savait que la plupart d'entre
eux sont en communication avec le Nain Rouge.
A Dieppe et aux environs, le Nain Rouge est aussi parfaitement connu.
Un jour deux pêcheurs, qui allaient au fond du Pollet, aperçurent,
en approchant du sommet de la côte, un petit garçon, assis
sur le bord de la route, et lui demandèrent ce qu'il faisait là
:
« Je me repose, dit-il, car je voudrais reprendre ma course jusqu'à
Berneville.
Bien ! répliqua un des pêcheurs, vous pouvez venir avec
nous; c'est le chemin que nous suivons aussi. »
Là-dessus, ils se mirent tous trois en marche.
Chemin faisant, le petit garçon inventait mille espiègleries,
pour amuser les pêcheurs.
Cependant ils étaient arrivés à un étang
proche de Berneville.
Là, le malicieux garçon se saisit d'un des pêcheurs et le
lança en l'air comme il aurait pu faire d'un volant, et de manière
à ce qu'il dût retomber dans l'eau.
Mais ce fut une grande surprise pour le méchant lutin de voir
que le pêcheur était arrivé sain et sauf de l'autre
côté de l'étang.
« Remerciez votre patron, s'écria-t-il de sa petite voix cassée,
qui vous a inspiré ce matin de prendre de l'eau bénite
à votre lever, sans quoi il vous fallait essayer d'un bain de
surprise »
Les feux follets sont assez rares au bord de la mer et ordinairement,
avant d'y arriver, ils ont commencé à se montrer à
quelque distance du rivage.
A l'île de Batz, le Feu follet, qui s'y fait voir de temps en temps, est
une sorte d'esprit qui a une redoutable puissance de fascination.
Ceux sur lesquels il l'exerce, attirés par lui comme l'oiseau par le
serpent, le suivent partout sans pouvoir s'en défendre.
Il les conduit sur les falaises, d'où il les précipite
de roche en roche dans quelque trou noir.
Pour se soustraire à son influence, il faut faire le signe de la croix
dès qu'on l'aperçoit, mais il est prudent de se hâter, car
on n'est pas sûr d'avoir à temps les mains libres.
Les pêcheurs de la côte ouest de Guernesey disaient qu'ils étaient avertis de l'approche de la tempête par une lumière brillante qui se montrait dans le sud-ouest, et aussi par un sourd rugissement, comme celui d'une grande bête en détresse, qui semblait partir d'un rocher connu sous le nom de celui de la Bête de la Pendue.
Les spectres de ceux qui ont péri de mort violente se
montrent sur les falaises où a eu lieu la catastrophe.
Un chevalier de Fréfossé, ayant aperçu à l'église
d'Etretat trois jeunes surs, modestes autant que belles, les fit
arrêter au sortir de la messe et conduire dans son château.
Mais n'ayant pu triompher de leur vertu, il ordonna de les transporter
au haut de la falaise, et de les lancer, dans un tonneau garni de clous,
à travers les rochers et les précipices.
A partir de ce jour-là, les pêcheurs d'Etretat crurent voir
souvent les trois surs se promener sur la plate-forme, voilées
de la robe blanche des fantômes et chantant une hymne pieuse, comme
au moment de leur martyre.
Lorsque le soir Fréfossé quittait son château, elles aussi
quittaient leur chambre de pierre, et accompagnaient tous ses pas.
Ces apparitions répétées finirent par amener la mort
du coupable seigneur.
Depuis lors, les blancs fantômes des trois surs ne se montrèrent
plus.
Bien que certains promontoires battus par le vent soient, de même
que les abords de plusieurs falaises, des solitudes aussi propres aux sabbats
que les grandes landes, on ne voit pas qu'il aient souvent servi aux réunions
du diable et de ses suppôts.
Cependant, la pointe du Devin à Noirmoutier passe pour être
le rendez-vous des sorciers dans la nuit du samedi au dimanche;
ils y allument des feux autour desquels ils dansent et festoient,
en s'occupant des affaires de leur communauté;
l'assemblée se disperse dès l'apparition de l'aube.
Mais aucun homme du pays n'a été témoin de ces choses,
car dès que l'un d'eux rencontre, le samedi soir, un sorcier ou un individu
prétendu tel, il se signe et se met sur la tête une motte de
terre, parce que, suivant la croyance populaire, les sorciers ne voient
pas entre deux terres.
On voit, au bas des falaises, des roches qui en ont fait autrefois partie
et qui sont remarquables par leurs dimensions, leurs formes régulières
ou bizarres et par diverses autres particularités.
Les riverains assignent à quelques-unes une origine merveilleuse.
Les « pierres dérublées » qui s'entassent bizarrement
sous le cap Fréhel sont, ainsi que leur nom l'indique (dérubler,
glisser, dégringoler), tombées de la falaise.
A l'endroit où elles gisent s'élevait jadis une maison,
dont les habitants avaient, à plusieurs reprises, tracassé
les fées des grottes voisines.
Pour se venger, elles firent écrouler ces pierres et écrasèrent
la maison, le jour même où l'on célèbrait les noces
du fils aîné de leurs ennemis.
On désigne sous le nom de « Pierres sonnantes » les
gros blocs qui parsèment une des criques du Guildo (C.-d'A.),
au-dessous du bois de Val.
Ce sont des roches amphiboliques, généralement arrondies,
qui ont toutes une certaine sonorité;
elles sont semées sur la grève, assez voisines les unes
des autres, et à distance, elles éveillent facilement l'idée
d'un troupeau de moutons noirs qui se serait couché pendant la
chaleur du jour.
La plus curieuse est celle qui repose, presque en équilibre, sur
deux énormes blocs, comme elle de forme oblongue;
de temps immémorial on a, pour la faire résonner, frappé
sur l'une de ses extrémités avec un caillou rond, et le
frottement a fini par y creuser une espèce de cuvette.
C'est Gargantua qui les a déposées.
Un jour qu'il était à Dinan, on lui dit que, dans une carrière,
on avait trouver des pierres sonnantes.
Il demanda aux Dinannais de les lui donner, pour les emporter à
Plévenon, où il voulait les faire sonner pour s'amuser.
Afin de les transporter plus commodément, il les avala, et se
mit en route, en passant par la mer, car son intention était de les placer
sur le rivage pour ne gêner personne.
Malheureusement, à l'embouchure de l'Arguenon, le vent lui porta l'odeur
des raies de Saint-Jacut, et il eut si mal au cur qu'il vomit
toutes ces pierres.
Lorsque les fées de la grotte de la Chanouette, qui est voisine, avaient dansé au clair de lune, et qu'elles avaient envie de se rafraîchir, elles cognaient sur la pierre sonnante en criant :
« Au bon lait ! à la bonne galette !
»
(la formule complète est : Au bon lait ! à la
bonne galette ! mon cul brûle !)
et aussitôt, à son extrémité, elles trouvaient les mets qu'elles avaient demandé.
A Noirmoutier, une pierre en équilibre sur des blocs entassés,
non loin de la grotte de saint Philibert, se nomme la Roche qui sonne
:
frappée avec un caillou, elle rendait un son argentin;
il est vraisemblable qu'elle était autrefois l'objet de quelque tradition
oubliée aujourd'hui.
Bien qu'un grand nombre de rochers qui se voient sur les falaises ou au bas de leurs escarpement aient un aspect anthropomorphe, il est assez rare qu'ils passent, comme on le constate si souvent dans les pays de montagne, pour être des personnages pétrifiés en punition de leurs méfaits.
On raconte pourtant au Port-Blanc qu'un rocher qui représente, dit-on, un évêque avec sa mitre et sa crosse, fut un prélat, et qu'il fut changé en pierre pour avoir mené une vie fort peu canonique.
A Penmarc'h, un rocher fendu en deux a une légende qui rappelle
celles des Sauts de la Pucelle;
(suivant des récits, recueillis surtout
dans le Centre et dans le Midi, des jeunes filles, pour prouver leur innocence
ou pour échapper à des persécuteurs, s'élancent
d'une hauteur considérable, et retombent saines et sauves au bas
de l'escarpement, grâce à la protection des saints, sur
un rocher où, la plupart du temps, elles laissent des traces,
qui pour les gens du pays, est celle de leurs pieds.)
le diable, s'étant retiré sous forme d'ermite sur cette
côte, poursuivit un jour une jeune fille et il arriva en même temps
qu'elle sur ce roc;
il était sur le point de la saisir lorsqu'elle fit un signe de
croix et sauta sur l'autre bord.
Le rocher se fendit en deux et le faux moine fut englouti dans les lames;
son corps fut rejeté sur le rivage où il se pétrifia.
A Guernesey, on raconte plusieurs légendes sur l'origine d'un
rocher anthropomorphe qui se dresse au bord de la mer, non loin du Cap
de Jobourg, et qu'on appelle le Petit Bonhomme Andriou ou simplement
Andrillot.
Suivant l'une, il cherchait un trésor caché parmi les rochers
des Tas de Pois, lorsque le génie qui en avait la garde le changea
en pierre.
D'autres disent que c'était le dernier druide qui ait lutté
contre le christianisme;
mécontent de l'apostasie de ses frères, il vint vivre dans une
caverne de la pointe de Jobourg, et son occupation favorite était de
regarder la mer.
Un jour, voyant un navire en danger au milieu d'une violente tempête,
il pria ses dieux d'arrêter l'ouragan et de sauver le vaisseau.
Ils ne tinrent pas compte de ses prières et le navire s'approchait de
plus en plus des récifs.
Désespéré, il promit au Dieu des chrétiens de se
convertir et d'élever une chapelle à la Vierge si le navire
était sauvé.
La tempête s'apaisa aussitôt et le vaisseau put rentrer au port.
Andrillot accompli sa promesse.
Quoi qu'il en soit, cette petite figure debout qui regarde la mer a été
pétrifiée en cet endroit pour porter chance à
ses marins chéris;
il est encore regardé par eux avec respect, et, en passant auprès,
ils lui offrent des spiritueux, et le saluent avec leurs pavillons.
Voici le résumé d'une légende, fort arrangée,
mais dont le fond est probablement populaire;
elle a pu être imaginée pour expliquer l'origine de la configuration
d'une partie de la falaise en granit rose de l'île de Bréhat, qu'on
a surnommée « L'Enclume et le Marteau ».
Les deux méchants fils d'un comte de Goello, ayant tué
leur père au moment où, porteurs des trésors de l'abbaye
de Beauport qu'ils avaient comploter de piller, il avait atteint l'île
par un passage secret, le chargèrent sur leurs épaules pour le
précipiter dans les flots.
Mais ils furent pétrifiés, et une voix leur cria du fond
de la mer :
« Durant une éternité, vous porterez votre victime
au bord de l'Océan, et ce rocher, simulant votre père, retombera
sur vous à chaque flux de la mer, comme le rocher qui vient frapper
l'enclume. »
Sur la côte de Piriac (Loire-Inf.), des rochers qui découvrent à marée basse sont des géants métamorphosés dans des circonstances aujourd'hui oubliées.
On parle à Guernesey de la métamorphose d'un vieillard et sa femme qui, pendant des années, vinrent dans la baie du Moulin Huet, regardant vers le large s'ils ne voyaient pas revenir leur fils, et furent à la fin transformés en deux roches anthropomorphes.
On racontait au Moyen Age une légende qui rentre dans la catégorie,
fréquente sur terre, des sauts accomplis par bravade, et
qui était peut-être attestée par une dépression.
Dans un certain endroit de Normandie est un lieu appelé le Saut Gautier,
parce qu'un insensé appelé Gautier s'y précipita
du haut d'un rocher dans la mer, pour montrer à celle qu'il aimait que
son affection était si grande pour elle qu'il ne reculait devant aucun
danger.
De son côté elle avait promis de le suivre partout, mais
lorsqu'elle le vit se noyer, elle ne tint pas sa parole, et peu après
se maria à un autre.
On ne connaît pas de rocher auquel on attribue, comme sur la terre
ferme, un rôle fatidique qui se lie à un cataclysme futur;
on peut toutefois citer, dans un ordre d'idées voisin, une croix
de granit sur la Lieue de Grève, entre Saint-Michel-en-Grève et
Plestin, dont le socle est enfoncé dans le sable :
elle avance verts la côte d'un pied tous les cent ans, et
elle a déjà fait un grand trajet.
Quand elle aura franchi le petit quart de lieue qui la sépare encore
du rivage, la fin du monde arrivera.
Suivant d'autres, elle s'enfonce, tous les cent ans, de la longueur d'un
grain de froment.
L'origine des baies et des ports tient peu de place dans les légendes
françaises.
Du Laurens de la Barre, qui embellissait volontiers ses récits,
raconte que le géant Hok-Bras, plus grand encore que Gargantua,
ayant eu envie de posséder un petit étang pour s'y baigner,
se mit à l'ouvrage en se servant de chalands en guise d'écuelles
:
il creusa le premier jour un bassin de Dalouas à Lanvéoc, le second
jour de Lanvéoc à Roscanvel, le troisième jour il donna
un grand coup de pied dans la butte qui fermait le goulet de Brest, et
la mer entra par cette ouverture.
Quelquefois des rochers s'ouvrent pour permettre à des bateaux
de passer ou d'entrer dans un petit port.
Une brèche se forma tout à coup dans la chaussée
de Beg ar Gador, la pointe de la Chaise, dans l'anse de Morgate, devant
une barque dont l'équipage en détresse avait invoqué
sainte Marine.
Un rocher, heurté par le navire qui portait saint Mathieu, se sépara en deux.
Une légende de Provence raconte que des rochers vinrent obstruer
l'entrée d'un port.
Un méchant ermite, ayant vainement tenté de séduire
la femme d'un pêcheur dont le mari était absent, pris une poignée
de sable et la jeta dans la mer en proférant tout bas des paroles
mystérieuses.
aussitôt l'onde s'agita, les vagues s'enflèrent en bouillonnant,
et soudain l'entrée de la baie se trouva fermée par une chaîne
de rochers qui s'éleva du fond de la mer.
Le soir lorsque le pêcheur revint, plein de confiance, sa barque fut brisée
contre les pierres, et il fut englouti par les vagues.
(E. Sue)
Suivant une singulière légende, des poissons faisaient
une garde très efficace aux approches du port de la Meulle dans
l'île d'Yeu, près d'un rocher où se trouvait une chapelle.
Voici comment elle est rapportée dans le Grand Routtier :
« Cette entrée est renfermée toujours
de mer et il y a grosse garde tant de jour que de nuyt, et les gardes dudit
lieu sont gros raniers, pailliers, abjans, hyraynnes, roy langoust, langoustes
et grandes macres et grosses jambles et sont par-dessus tout des gros bulgaulx
avecques leurs cors couvrans jusqu'à la symme dudit rochier, et illec
font le guet, et nul sans le congié dudit seigneur n'auseroit entrer
dedans, car il seroit dévoré de ces cruelles bestes inhumaines
et d'aultres monstres marins. »
Les pointes de sable qui forment des espèces de promontoires très bas et portent le nom de flèches ou de sillons, et celles qui constituent un isthme étroit entre le continent et un plateau rocheux qui, sans cette circonstance, serait une île véritable ont parfois une origine légendaire.
Le sillon de Talbert, qui, partant de la côte de Pleubihan, s'avance
dans la mer à plus d'un kilomètre, est très redouté
des marins.
Il se compose en entier, disent-ils, des os des naufragés, et
c'est pour cela qu'il est blanc;
sa pointe est un aimant qui attire les bateaux;
aussi les marins trécorrois récitent une prière
qui rappelle celle usitée au passage du Raz, lorsqu'ils naviguent en
vue de ce dangereux écueil.
La partie maritime de Saint-Jacut-de-la-Mer fut entièrement cernée
par les eaux jusqu'au jour où le patron du lieu y fit un miracle;
poursuivi par les soldats d'un seigneur hostile aux chrétiens, le saint
se voyait sur le point d'être atteint sur le rivage, lorsqu'il fit une
prière, et, posant la main sur l'eau, il dit :
« Je désire qu'une terre relie cette île au continent »
Aussitôt une langue de sable sortit de la mer, et forma une sorte de route sur laquelle il put marcher à sec.
Les monticules des dunes sont souvent en forme de cônes
et ressemblent assez à de gigantesques tas de blé vanné.
Il est vraisemblable qu'ils ont des noms en rapport avec cet aspect,
et que la légende qui suit, inspirée par cette assimilation, se
retrouve ailleurs que sur le littoral du Finistère.
On dit à Portzall que des fées, ayant commis un meurtre,
furent condamnées, pour l'expier, à aller chercher du sable dans
la mer et à en compter les grains jusqu'à ce qu'elles
fussent arrivées à un chiffre que l'imagination peut à
peine concevoir.
Les monticules entre Portzall et Lampaul représentent le tas que
chaque fée eut à compter.
En raison de leur isolement, ces petits déserts de sable passent
pour être, surtout à certaines heures, le domaine d'êtres
surnaturels.
A Guernesey, les dunes et les hougues, petits monticules de sable qu'on appelle
hoguettes en Haute-Bretagne, étaient le rendez-vous favori de toutes
les fées de l'île;
celles du Creux des fées sortaient, la nuit de la pleine lune, de leur
grotte pour danser sur les dunes qui avoisinent la baie du Vazon.
Les mielles de la Hoguette, près de Paramé, étaient
la salle de bal des fées du voisinage qui, jadis, y venaient tous
les soirs former des rondes.
Elles avaient un refrain très court, et peu varié puisqu'elles
répétaient toujours en dansant :
Vendredi,
Samedi,
Et dimanche !
Une couturière bossue qui avait entendu dire qu'elles danseraient jusqu'à la fin du monde, si elles n'arrivaient pas à trouver une finale à leur couplet, entra un soir dans leur ronde et eut l'idée de le compléter en disant :
Et dimanche,
Et lundi !
Les fées en furent si ravies que, pour la remercier, elles lui enlevèrent sa bosse.
Tout près du bourg d'Ars-en-Ré s'élèvent des dunes,
hautes parfois d'une quinzaine de mètres;
c'est sur leurs sommets, appelés les Peux ou Puys (monticules)
de la Combe à l'eau, que résidaient jadis les Fois, petits
hommes minuscules comme les Fions des grottes de la Haute-Bretagne;
On croyait encore au début du siècle dernier à leur existence,
et les restes d'habitations, les pierres calcinées que l'on rencontrait
en remuant les sables passaient pour les débris de leurs demeures.
A Audierne, les Corriks, auxquels on attribue la construction des dolmens, habitaient les dunes aussi bien que les landes.
Des lutins s'amusaient à étaler sur les « mielles
» de la baie de Saint-Malo des objets qui brillaient comme de l'or
et ressemblaient à des pièces frappées;
si on s'approchait pour les ramasser, on ne voyait plus que de simples coquillages.
Aux environs du cap Sizun des lutins, différends des Corriks,
se promenaient le soir sur les landes et sur les dunes en prenant l'apparence
de feux errants.
Si quelqu'un avait l'imprudence de les appeler, ils accouraient aussitôt
pour se battre avec lui.
A Keleourou, en face de l'île de Sein, les Begou-Noz sont des
feux qui voltigent et parlent;
mais ils répètent toujours les paroles qu'ils entendent.
Les dunes de Normandie sont aussi hantées par des êtres
surnaturels.
Les muletiers qui traversaient celles de la Manche rencontraient le Moine
trompeur qui, assis sur une pierre, montrait des piles d'or et proposait
au passant de lui jouer son âme;
il avait des cartes qui gagnaient toujours.
A Carteret était un esprit qu'on appelait le Criard.
La veille de quelque tempête, un homme dont personne n'a jamais vu le
visage, enveloppé d'un manteau brun, et monté sur le dos
nu d'un cheval noir, à tous crins, parcourait les mielles et les
rochers, en les emplissant de cris sinistres.
Ni sable mouvant ni varech glissant, ni fosse d'eau, ni pic de rochers n'arrêtaient
le vagabondage rapide de cet homme et de son cheval noir, dont les fers,
rouges comme s'ils sortaient d'une forge infernale, ne s'éteignaient
pas dans l'eau qui grésillait et qui fumait noircie, longtemps après
qu'ils l'avaient traversée.
(Barbey d'Aurevilly)
Les habitants de l'île d'Arz voient quelquefois de grandes femmes
blanches, venues du continent ou des îles voisines en marchant sur les
eaux, s'asseoir sur le rivage;
tristes et penchées, elles creusent le sable avec leurs pieds
nus, ou effeuillent les branches de romarin qu'elles ont cueillies sur
la dune.
Ce sont les filles de l'île qui, mariées ailleurs et mortes
dans le péché, loin de leur sol natal, y reviennent pour demander
des prières à leurs parents.
Les « mielles » de Saint-Cast, où se livra la bataille
de 1758, sont le théâtre de diverses apparitions :
des feux, des lances brillantes se montrent près de la Cassière
des damnés où des Anglais ont été enterrés,
et un prêtre, ancien recteur du village, s'y promenait autrefois
en chantant.
A Noirmoutier, une procession des morts, si longue qu'elle s'étend parfois d'un village à l'autre, a lieu dans les dunes, la nuit de la Toussaint, et l'on assure que la mère qui a trop pleuré son enfant le voit en arrière de la foule, portant une lourde cruche remplie des larmes qu'elle a versée.
Les mares des parties basses des dunes de Noirmoutier, où flottent
des fleurs blanches au cur d'or appelées herbes de crapauds,
sont fréquentées par des lavandières de nuit, qui,
de même que celles de la terre ferme, brisent les bras des passants
qui acceptent de les aider à tordre le linge, et les emportent
on ne sait où.
(voir " les lessives merveilleuses " : eaux douces
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Les sables amoncelés sur le rivage recouvrent, comme les Rats, des cités maudites, dont les légendes rappellent celles, beaucoup plus nombreuses et plus détaillées, qui s'attachent aux villes que la mer a englouties.
Les paysans de la Vendée appellent Belesbat le territoire qui
relie Jard à Saint-Vincent.
Belesbat, ou la ville de plaisir, attirait par ses fêtes une multitude
d'étrangers, mais un grand nombre y trouvaient la mort.
Un jour un pauvre pêcheur affamé va frapper à l'une
des portes de la ville.
Il est reçu à bras ouverts par les gardiens et conduit, à
travers les salles resplendissantes, jusqu'au lieu où un banquet l'attendait.
Mais il suit d'un il attentif les pas et les démarches de ceux
qui lui offrent en apparence une si généreuse hospitalité.
Resté seul un instant, il entrouvre une porte dérobée
qui le conduit dans de vastes cours environnées de hautes murailles.
Il voit des bras et des jambes coupés par morceaux, des cadavres mutilés
et des crânes sanglants.
Il recule d'horreur, et, pour échapper au danger qui le menace,
il va trouver ses hôtes et leur dit qu'il a oublié ses filets,
qui sont toute sa fortune, qu'il court les ramasser pour les mettre en lieu
sûr à Belesbat.
On le laisse partir, et lui s'enfonce aussitôt dans la forêt,
où il pousse des cris d'alarmes et fait appel à toutes les autorités
divines et humaines.
On accourt : la ville est cernée, envahie, et mise à feu et à
sang, tandis que les pontifes profèrent l'anathème contre
ses habitants.
A la voix des ministres de la religion, la mer entre en fureur, et vomit
sur Belesbat une pluie de sable qui achève sa destruction.
Depuis lors, le génie de la mort n'a cessé de planer sur
ses ruines, et les chardons et les ronces croissent sur ses remparts reversés.
Les fradets sont maintenant les seuls êtres qui l'habitent et ces
lutins veillent à la conservation des immenses richesses qui y
sont enfermées.
Il y a une quarantaine d'années, on voyait encore émerger
au milieu des dunes le coq du clocher d'Escoublac (Loire-Inf.).
Les habitants de ce village, autrefois grand et florissant, s'étaient
enrichis en faisant le commerce du sel, mais ils étaient devenus
corrompus.
Une nuit, on entendit une voix qui les avertissait de se convertir promptement.
Ils ne l'écoutèrent pas;
l'Océan couvrit tout le village, et en se retirant, il le laissa enseveli
sous une montagne de sable.
On raconte aux environs que, longtemps après la catastrophe, on entendait
encore sonner les cloches de son église.
Des traditions localisées dans le nord du Finistère parlent de
cités perverses que les sables sont venus recouvrir, et
qui ne semblent pas bouleversées de fond en comble, ou englouties
à jamais.
Lors de quelques nuit privilégiées, la lourde chape sablonneuse
qui recouvre leurs édifices s'écarte, et les trésors
et les talismans cachés pendant le reste de l'année peuvent être
pris par les aventuriers audacieux et habiles.
Voici les deux versions que Souvestre donne de cette légende.
Près des rives de la Lew Dréz, ou lieue de grève, avait
autrefois existé une cité opulente, maintenant ensevelie
sous les dunes.
Tous les ans, à la Toussaint, s'ouvrait dès le premier
coup de minuit une porte qui conduisait à une salle éclairée
où se trouvait les trésors de la ville morte;
mais au dernier tintement de l'horloge, les lumières s'éteignaient,
la porte se refermait avec un grand bruit et tout restait clos
et obscur jusqu'à l'année suivante.
A l'endroit où s'étend aujourd'hui la dune de Saint-Efflam,
voisine de la lieue de grève, était jadis une ville puissante;
ses flottes couvraient la mer et elle était gouvernée par un roi
ayant pour sceptre une baguette de noisetier, avec laquelle il changeait
toute chose suivant son désir.
Mais la ville et le roi furent damnés pour leurs crimes, si bien
qu'un jour, par l'ordre de Dieu, les grèves s'élevèrent
comme les flots d'une eau bouillonnante et engloutirent la cité :
chaque année, la nuit de la Pentecôte, au premier coup de
minuit, un passage s'ouvre sous la montagne de sable et permet d'arriver
jusqu'au palais du roi.
Dans la dernière salle se trouve suspendue la baguette de noisetier
qui donne tout pouvoir;
mais il faut se hâter car, aussitôt que le dernier son de minuit
s'est éteint, le passage se referme et ne doit se rouvrir qu'un
an après.
(voir page 3 cette
légende plus détaillée)
C'est probablement à la même ville que se rapporte la tradition
suivant laquelle la montagne du Roch Karlès, entre Saint-Efflam
et Saint-Michel-en-Grève, sert de tombe à une ville magnifique;
le récit n'est pas très précis, ne dit pas en quelles circonstances
elle fut engloutie :
la montagne s'entrouvre tous les sept ans pendant la nuit de Noël,
et par la fente on entrevoit les rues splendidement illuminées
de la ville morte.
Elle ressusciterait si quelqu'un s'aventurait dans les profondeurs de la montagne
au premier coup de minuit et était assez agile pour en être
sorti au moment où retentirait le dernier coup.
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