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Les cavernes que l'action des flots a creusées dans les falaises
se présentent sous des aspects variés :
parfois elles ressemblent à de grandes niches d'une profondeur médiocre,
et les personnes étrangères au pays passent devant sans se douter
que des légendes y placent la demeure des fées;
mais il arrive aussi que ces excavations atteignent des proportions assez monumentales
pour exciter l'étonnement, mêlé de crainte, des primitifs
et l'admiration des civilisés.
L'Antiquité classique avait fait des grottes marines la résidence de gracieuses nymphes, ou le mystérieux couloir qui conduit à Hadès.
Sur le littoral de la Manche, depuis Cancale jusqu'à la limite du français et du breton, à Tréveneuc (C.-d'A.), on racontait encore, il y a une trentaine d'années, nombre de légendes qui se rattachaient très nettement aux cavernes des falaises, auxquelles on donne le nom de « houles », ou plus rarement de « goules ».
Sur toute cette côte pittoresque, les grottes à peine ébauchées de la baie de la Fresnaye et de l'embouchure de l'Arguenon étaient la demeure des fées, aussi bien que les cavernes incomparables qui s'ouvrent, parfois grandioses comme des cathédrales, dans les hautes falaises du cap Fréhel.
Si on s'étonnait de la petitesse de certaines, les vieilles gens
disaient qu'elles n'avaient pas toujours été ainsi :
quelque cataclysme les avaient ruinées, ou elles s'étaient effondrées
quand elles avaient cessé d'être habitées.
C'est ainsi que l'entrée de la houle de la Teignouse fut presque
bouchée par un écroulement, la nuit où les fées
et les féetauds la quittèrent pour s'en aller en Angleterre.
Quand on pénétrait dans ces houles, on y voyait des bancs,
des tables, des berceaux, tout un ménage de pierre qui
avait servi ou servait encore à leurs mystérieux habitants.
Les plus considérables ne se composaient pas seulement de la partie que
l'on peut visiter à mer basse;
ce n'était pour ainsi dire que l'antichambre.
Elles se prolongeaient bien avant dans les terres, jusque sous les bourgs,
d'où l'on entendait chanter les coqs des fées :
l'une d'elles aboutissait à Notre-Dame-de-Lamballe, à quarante
kilomètres de son entrée.
Suivant quelques récits, quand on avait franchi une sorte de tunnel, on voyait un monde pareil au nôtre, qui avait son ciel, son soleil, sa terre et ses arbres, et même de beaux châteaux au bout de longues avenues.
Mais le plus habituellement ces demeures ne comprenaient que la caverne elle-même;
Quand on en avait dépassé l'entrée, que fermait parfois
une porte de pierre gardée par une vieille portière couverte
de varechs et fort laide, on se trouvait en face des fées :
c'étaient de belles personnes, vêtues comme des dames ou
Bonnes Vierges.
Les féetauds ou fées mâles, leurs maris ou
leurs frères, vivaient à côté d'elles, moins nombreux,
semble-t-il, et inférieurs en puissance.
Quelquefois on y voyait aussi les fions, qui n'appartiennent pas à
la même race;
ils étaient de si petite taille que leurs épées n'étaient
guère plus longues que des épingles de corsage.
Ils remplissaient les fonctions de pages ou de domestiques;
il n'y avait pas de fions femelles, du moins dans les houles.
A part leur pouvoir surnaturel, les fées et les féetauds vivaient
à peu près comme des seigneurs, ou tout au moins comme
des propriétaires aisés :
les femmes boulangeaient et cuisaient leur pain, elles filaient,
faisaient la lessive, et on les voyaient étendre sur l'herbe des falaises,
ou sur les rochers du rivage, du linge d'une blancheur si remarquable
que l'on dit encore en proverbe :
« Blanc comme le linge des fées. »
Seulement il disparaissait dès qu'en s'approchant on avait remué
les paupières.
Les bonnes dames possédaient aussi des animaux domestiques qui
allaient pâturer, invisibles, dans les champs des hommes;
quelquefois elles prenaient, pour les garder, des patours et des bergères.
La nuit tout le monde pouvait voir les fées, mais le jour ce
privilège n'était donné qu'à un petit nombre de
personnes;
celles qui avaient eu les yeux frottés avec des pommades magiques
les reconnaissaient sous tous les déguisements.
Grâce à ce mystérieux onguent, les fées pouvaient
se rendre invisibles ou se transformer;
quelques-unes en profitaient pour voler.
Elles semblaient considérer que certains larcins leur étaient
permis :
si elles prenaient des huîtres dans les parcs, si elles enlevaient du
poisson ou du bétail, elles indemnisaient largement, par des dons
variés, ceux qui se plaignaient, ou elles favorisaient les gens assez
avisés pour les laisser faire sans trop murmurer.
En général, elles se montraient secourables :
les mauvaises fées, et on les nommaient ainsi, étaient une exception;
les autres s'appelaient les « bonnes dames » ou « nos bonnes
dames les fées ».
Les récits du littoral racontent longuement leurs bienfaits :
elles possédaient, comme les châtelaines, des secrets pour
guérir les enfants, même du croup, ou pour cicatriser
les blessures.
Ordinairement charitables, elles donnaient aux pauvres gens qui venaient les
implorer, ou qui leur avait rendu service, du pain qui ne diminuait pas
c'était leur présent habituel , des objets inépuisables
ou inusables;
mais ces dons si précieux perdaient leur vertu si on observait pas la
condition imposée par elles et qui consistait à n'en parler
à personne et à ne pas les partager avec des étrangers.
Parfois elles accordaient une partie de leur puissance à ceux
qu'elles avaient pris en affection, et surtout aux enfants dont elles avaient
voulu être marraines;
elles les emmenaient aussi dans leurs grottes, où la vie était
si plaisante que vingt ans y paraissait un jour.
Comme les fées des autres groupes, celles des houles s'emparaient
parfois des enfants des hommes pour y substituer les leurs;
c'est ainsi que l'une d'elles prend une petite fille jolie comme les
amours, et met à sa place une petite créature laide comme les
péchés capitaux et qui avait l'air vieux;
une autre enlève un petit garçon, et lui substitue un poupon
qui avait la mine d'un vieillard.
Les gestes de ces fées, dont la demeure est si voisine de la mer
que les vagues en lèchent souvent l'entrée, sont rarement en relation
avec les eaux.
Nulle légende ne fait même allusion à leurs bains,
alors que les fées terrestres prennent fréquemment leurs
ébats dans les fontaines ou les rivières.
Elles ne s'occupent guère non plus à capturer le poisson
par des procédés naturels ou magiques;
mais elles volent celui que les pêcheurs ont pris ou mis dans leur
réserve.
Un seul conte parle d'un « féetaud » pêcheur :
il possède un bateau qui a le privilège de s'agrandir assez
pour que plusieurs fées puissent y prendre place ou bien de se rapetisser
suffisamment pour qu'il le porte sous son bras aussi aisément
qu'un panier.
Les fées et les féetauds n'avaient pas sans doute le privilège
de marcher sur les eaux sans s'y enfoncer, qui ne leur est attribué
expressément que dans un seul récit;
toutefois c'est peut-être de cette manière que les dames de la
Houle de Poulifée se rendirent de la côte de Bretagne en Angleterre.
Les fées des houles étaient de belles personnes, aussi
belles que des Bonnes Vierges, disaient certains conteurs, sans donner
de plus amples détails de physionomie ou de costume.
Elles ne vieillissaient point et n'étaient pas exposées
aux maladies :
toutefois, quand elles étaient en mal d'enfant, elles avaient recours
aux bons offices des matrones du voisinage.
Elles devenaient sujettes aux infirmités et à la mort dès
qu'on leur avait mis du sel dans la bouche;
c'est parce que le sel touche les lèvres dans la cérémonie
du baptême que celles qui devenaient chrétiennes cessaient d'être
immortelles.
(Suivant la littérature orale de Haute-Bretagne,
elles avaient des vers dans la bouche tant qu'elles n'avaient pas été
baptisées.)
Une plus grande quantité de cette substance odieuse aux esprits pouvait
les faire périr aussitôt :
toutes les fées du pays de Plévenon moururent même
à la fois parce que, pour se venger de l'une d'elles, un garçon,
la voyant dormir la bouche ouverte, lui lança dedans une poignée
de sel.
Une légende, insérée dans un livre qui n'est point écrit
par un traditionniste, raconte comment fut formée la Goule-ès-Fées,
caverne familière aux baigneurs de Dinard.
Par une nuit de tempête épouvantable, un pêcheur, dont la
barque à moitié brisée était jetée
de rocher en rocher, vit tout à coup, à la lueur d'un éclair,
une sorte de forme humaine, blanche et vaporeuse, se dresser au seuil
d'une ouverture que la foudre venait de pratiquer dans la falaise, et
presque aussitôt sa barque, entraînée par une force surnaturelle,
se précipita dans ce gouffre qui semblait une « gueule »
immense.
La lame, venant s'y engouffrer à son tour, la fit disparaître;
mais le lendemain le pêcheur fut trouvé endormi au fond d'une jolie
barque neuve, et remplie de poissons, à quelques brasses de cette
grotte, que l'on crut depuis habitée par les fées.
Il n'est pas certain que le directeur du Casino de Dinard auquel ce
récit est emprunté, ait rapporté sans surcharge
ce qu'il avait pu entendre dire, et l'intervention de la foudre est certainement
de son invention.
Cette circonstance était ignorée des personnes du pays
et ne figure pas non plus dans un autre récit qui présente une
variante de la dernière partie.
Un soir d'automne, alors qu'une brume épaisse recouvrait les rochers
de la côte, un pêcheur vit une femme habillée de blanc qui,
de la main lui faisait signe d'approcher.
Il voulut s'éloigner du rivage, mais une force invincible l'y ramena
malgré lui.
Sa barque alla s'engouffrer et se briser dans la Goule-ès-Fées,
et, lancé contre les parois de la grotte, il perdit connaissance.
Le lendemain, il s'éveilla, frais et dispos, dans un charmant
bateau rempli de poissons et d'engins de pêche, amarré à
un gros rocher à l'entrée de la Goule-ès-Fées.
(A. Orain, l'auteur ajoute que bien des marins
ont aperçu, au milieu des récifs, une procession de jeunes filles
vêtues de blanc, se dirigeant vers l'ouverture de la houle.)
Voici le résumé d'un épisode de la vie des fées
de Dinard.
Une sage-femme est appelée auprès d'une femme en mal d'enfant
qui résidait dans cette grotte.
On lui remet, pour frictionner le nouveau-né, une boîte pleine
d'onguent, en lui recommandant d'éviter de s'en frotter le tour
des yeux.
Elle désobéit, alors tout change autour d'elle;
elle voit la houle belle comme un château, et les fées qui
semblent habillées comme des princesses.
Elle ne manifeste aucun étonnement et retourne chez elle bien
payée.
Quelque temps après, comme elle pouvait, grâce à la pommade
magique, voir les fées, invisibles pour d'autres, elle en aperçoit
une en train de voler;
elle ne peut s'empêcher de le dire tout haut, et la fée lui arrache
l'il qui avait été frotté avec l'onguent merveilleux.
Cet épisode se rencontre dans les légendes des fées terrestres.
(On connaissait, au Moyen Age, en Provence,
une légende dans laquelle figure l'épisode de l'il rendu
clairvoyant par un procédé analogue.)
Le plus ordinairement, il s'agit d'une femme qui, ayant été opérer la délivrance d'une fée, porte involontairement à ses yeux un onguent ou un objet qu'on lui a remis pour oindre ou frotter le nouveau-né.
Un conte de la Haute-Bretagne ne présente pas cette circonstance :
un pêcheur voit deux fées, au sortir d'une houle, se frotter
les yeux avec une espèce de graisse qui les fait immédiatement
changer d'aspect et paraître semblables à des femmes du
pays.
Il entre dans la grotte et, ayant vu sur la paroi un peu de pommade qui
avait servi à la transformation des fées, il s'en met tout autour
de l'il gauche pour savoir si par ce moyen il pourrait acquérir
leur science.
Il les reconnaît en effet sous leurs divers déguisements;
mais, comme dans les légendes similaires, l'une d'elles, se sachant devinée,
lui crève avec sa baguette l'il devenu clairvoyant.
Les nombreuse légendes des fées des houles les
représentes comme vivant en famille, et formant parfois une sorte
de clan.
Il y avait tout au moins une exception, ainsi que le montre cette tradition
de la Rance maritime, racontée sous une forme romantique dont
est reproduit ici les parties les moins suspectes.
Souvent au coucher ou au lever du soleil, on voit sortir de la grotte
de la Fée du Bec-Dupuy une vapeur blanche, bleue, rose, verte,
qui s'élève, s'abaisse, grandit, s'évapore et laisse enfin
voir une femme divinement belle.
On l'appelle dans le pays la Fée ou la Dame du Puy;
elle se promène sur les grèves, et ses vêtements
brillent de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.
Elle s'assied parfois sur le gazon des falaises, ou passe, légère
comme l'oiseau, sur les hautes tiges des landes;
elle ne parle à personne, et fuit la vue de l'homme.
Autrefois elle était souveraine en ces lieux; aujourd'hui elle pleure
sur les rochers déserts sa puissance détruite.
A sa voix jadis, les vents soufflaient moins fort ou se calmaient.
Aussi voyait-on chaque marin, en partant pour la pêche, venir sur
la grève offrir ses hommages à la fée qui lui rendait
le vent favorable et la pêche abondante.
Les femmes, les surs, les filles, les amantes des absents, déposaient
des guirlandes de fleurs à l'entrée de sa grotte, gardée
par une meute de chiens invisibles, toujours prêts à dévorer
l'imprudent qui se hasardait à en forcer l'entrée.
Depuis que le culte des idoles a disparu, la fée ne se montre
plus souvent;
sa vue n'annonce rien de bon, et elle laisse souvent sur les grèves de
sanglants souvenirs de son passage.
Le clergé de Saint-Suliac alla l'exorciser dans sa grotte;
depuis, on la voit encore se promener au clair de lune; mais elle s'enfuit
aussitôt qu'on s'approche d'elle, et elle n'a plus aucun pouvoir.
Dans certaines houles, des nains habitaient avec les fées, dans
un état voisin de la domesticité;
parfois, et cette circonstance se rencontre aussi à Guernesey, des cavernes
étaient tantôt le séjour des fées, tantôt celui
des lutins.
De même que leurs voisins de la Manche bretonne, les Guernesiais
ne faisaient pas remonter le départ des fées à une
époque éloignée :
un pêcheur dit à Madame Clarke qu'il ne les avait pas vues, mais
qu'elles s'étaient montrées plusieurs fois à son
grand-père.
Elles étaient mâles et femelles et on les appelait
faïes et faitiaux, ce dernier nom, à part sa forme
plus patoise, est identique à féetauds que l'on donne,
aux environs de Saint-Malo, aux fées mâles.
Les pêcheurs de Guernesey n'étaient pas certains que les habitants des grottes les eussent quittées, et, la nuit, ils ne s'aventuraient pas volontiers dans leur voisinage.
Le Creux des Fées, sur la péninsule du Houmet, était
une de leurs principales résidences.
C'est une caverne de peu de dimension, creusée par les flots dans un
rocher granitique très friable, et abondant en particules de mica,
qui reluisent au soleil comme des paillettes d'or, circonstance qui a peut-être
donné lieu aux croyances qui s'y rattachent.
On ne peut y pénétrer qu'à mer basse, et en grimpant
sur de grosses masses de rochers entassés à l'entrée.
Un passage souterrain difficile à trouver conduit, à deux
milles de distance, à une voûte sous l'église de
Saint-Sauveur, où aboutit aussi un long couloir qui part du Creux Mahié,
dans la paroisse de Torteval, particularité qui se retrouve dans les
légendes des houles de Bretagne, et en Basse-Normandie.
Dans cette grotte, un trou, pas plus grand que la bouche d'un four, donne
accès à une salle spacieuse taillée dans le roc
:
au milieu est une table de pierre sur laquelle sont étalés
des plats, des assiettes et des gobelets, ustensiles destinés aux fées
et analogues à ceux qui se voient dans les houles du cap Fréhel.
Mais à Guernesey, personne n'avait osé aller s'assurer
de la réalité de la chose.
Ce Creux des Fées était l'objet de plusieurs récits
merveilleux :
une ménagère d'Albecq, qui était garde-malade et sage-femme,
fut réveillée une nuit par un inconnu, qui lui dit qu'on
avait besoin de ses services pour un enfant en danger.
Elle le suivit, et arriva à l'entrée du Creux des Fées;
à mesure qu'elle avançait, tout changeait d'aspect;
les rudes parois de la caverne devinrent polies, et une lumière
brillante éclairait l'entrée d'une demeure magnifique.
On la conduisit dans une belle chambre où un enfant était couché
dans un berceau.
Elle lui donna tous ses soins, et il ne tarda pas à se rétablir.
Avant de le quitter, elle voulut l'embrasser, mais un peu de salive
lui étant tombée sur les yeux, elle vit tout aussitôt une
transformation, mais opposée à celle qui s'opère
en pareil cas en Haute-Bretagne :
le palais somptueux où elle avait demeuré près d'un mois
redevint une caverne sombre et humide, et ses habitants de pauvres hères
misérablement vêtus.
Elle eut la prudence de ne pas laisser voir qu'elle s'était aperçue
du changement, et quand elle retourna chez elle, après avoir reçu
une bonne gratification, elle ne parla à personne de son aventure.
Le samedi suivant, en entrant dans une boutique de la ville, elle aperçut
son hôte mystérieux du Creux des Fées, qui, évidemment
sans être vu que d'elle, remplissait son panier des meilleures
provisions.
Elle comprit d'où venait l'abondance qui régnait dans la caverne,
et elle s'écria sans réfléchir :
« Ah ! méchant voleur, je te vois !
Tu me vois, dit-il, et comment ?
De mes yeux ! »
Aussitôt il lui cracha au visage et elle devint aveugle
sur-le-champ.
Comme les fées des houles de la côte bretonne, celles des cavernes de Gernesey faisaient aussi des substitutions d'enfants.
Un pêcheur de l'Erée avait placé près d'un bon feu
des patelles qu'il venait de ramasser sur la grève, et il s'était
éloigné un moment en attendant qu'elles fussent cuites;
sa femme, qui s'occupait dans la maison, entendit sortir une étrange
voix du berceau où était son enfant nouveau-né.
Elle se retourna et le vit debout, regardant le foyer avec attention
et disant d'un ton de surprise :
Je n'sis de chut (cet) an, ni d'antan,
Ni du temps du Rouey Jehan,
Mais de tous mes jours et de tous mes ans,
Je n'ai vu autant de pots bouillants.
Elle avait entendu raconter aux vieilles femmes que les fées
profitaient de l'absence des mères pour voler leurs enfants endormis
et leur substituer leurs propres poupons, et que le moyen de les forcer à
la restitution était de jeter l'enfant par terre.
Dès qu'elle l'eut fait, l'enfant se mit à crier, et aussitôt
la fée, sautant par-dessus le « hec » ou demi-porte, lui
restitua son nourrisson, et emporta le sien.
On connaissait autrefois dans le pays de la Hague des légendes sur les grottes de la mer.
Jadis on appelait « houles » comme en Bretagne les trous des
fées, et certains endroits des falaises étaient leurs jardins;
les trous n'étaient pas considérables, et on y aurait malaisément
logé une famille.
Mais les fées du Cotentin étaient toutes petites, presque
aussi minuscules que les fions de la Haute-Bretagne;
il y avait parmi elles des hommes et des femmes.
On ne voyait pas leur travail, mais elles travaillaient pourtant.
Elles venaient la nuit frapper aux portes, et parlant français
comme à la ville, au lieu de s'exprimer en patois, elles demandaient
qu'on leur prête des charrues et des chevaux.
Il fallait leur répondre oui, où l'on s'exposait à leurs
maléfices.
Elles prenaient la charrue et les chevaux et labouraient leurs champs avec.
Quelquefois elles empruntaient les chevaux pour leurs courses, et comme
les fées sont des êtres très petits, elles montaient sur
leur cou et non sur la selle, et se faisaient des étriers de leurs
crins, qu'on trouvaient singulièrement emmêlés.
Ces fées étaient très soigneuses, et si l'objet
qu'on leur prêtait était un peu gâté, on le retrouvait
en bon état.
Quelques-unes avaient, comme les Martes du Berry, les seins tellement allongés
qu'elles les rejetaient par-dessus leurs épaules pour donner à
téter à leurs petits qu'elles portaient sur le dos.
On les entendait aussi parler sous terre, et crier que le four était
chaud, et quand on leur demandait poliment de la galette, on en trouvait
de très bonne dans une serviette, avec du beurre sans sel et un
couteau.
Mais il fallait avoir bien soin de remettre tous ces objets sans rien
distraire.
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