(page 7/9)
Jusqu'ici on n'a trouvé que rarement, et à un état assez fruste, des traditions apparentées à celles du groupe des houles de la Manche, entre Cancale et Saint-Brieuc, ou de celles de Guernesey et du Cotentin.
Cependant les légendes qui suivent, bien qu'isolées, semblent montrer que des croyances, assez voisines de celles du pays de langue française, ont dû exister sur la côte de la Manche bretonnante, et sur l'Océan.
A l'île de Groagez, l'île aux Femmes ou l'île aux Fées,
à un kilomètre de Port-Blanc, une sorte de caverne est habitée
par une Groac'h vor.
Une nuit, une femme qui passait par là aperçut une lumière
dans le creux.
Elle y entra, et vit, tout au fond, une vieille qui filait.
Celle-ci lui fit signe d'approcher, et lui remit sa quenouille, en lui
disant qu'elle en tirerait des avantages, à condition de ne dire à
personne comment elle se l'était procurée.
La bonne femme promit, et, de retour à la maison, elle fila pendant des
mois;
la quenouille ne diminuait point, et, à mesure que son fil était
filé, elle le vendait.
Elle aurait bientôt fait fortune, mais la langue lui démangeait
de raconter son aventure.
Un jour qu'une voisine lui demandait comment elle s'y prenait pour avoir du
si beau fil, elle lui dit qu'elle le tenait de la fée de la Mer.
A l'instant même la quenouille s'épuisa, et tout l'argent
qu'elle avait gagné disparut.
Une autre caverne, appelée Toul ar Groac'h, le Trou de la fée,
à Loguivy-Ploubazlanec, pays peu éloigné du Port-Blanc,
était aussi la résidence de fées qui n'avaient pas
la réputation d'être bienveillantes;
on racontait en 1875, que moins de trente ans auparavant, les pêcheurs,
plutôt que de passer devant à pied, en revenant au village,
retournaient leur bateau sur la grève, et se couchaient dessous
en attendant la marée.
Mais le pouvoir de ces dames ne s'étendait pas, semble-t-il, sur les
femmes;
si celles de Loguivy venaient à la rencontre de leurs hommes,
ils n'avaient rien à craindre en passant devant Toul ar Groac'h.
On rencontre sur l'Océan, entre la Loire et la Vilaine, un groupe de
cavernes, moins bien enquêtées que celles de la Manche,
mais dont les noms supposent des légendes;
quelques-unes ont d'ailleurs été recueillies.
Certaines de ces excavations se prolongent aussi fort loin sous les terres.
La grotte du Chat à Piriac s'appelle ainsi parce qu'un chat qui y avait
été jeté, et ne pouvait en sortir à cause
de la mer qui en fermait l'entrée, reparut près d'un village,
à près d'une lieue de là.
Un souterrain qui partait d'une grotte de Batz allait jusqu'à Guérande. (?)
Ces cavernes n'étaient pas la résidence des fées, mais celle de petits êtres apparentés aux Fions et aux Jetins de la Manche.
La plus grande partie des grottes de Painchâteau a servi d'habitations
à des petits hommes, et c'est une opinion vulgaire reçue
dans le pays qu'il a existé jadis sur la côte une tribu de nains
appelés Kouricans, qui faisaient leurs demeures dans les rochers.
Ce nom de Kourican n'est qu'une forme dialectale de Korrigan, terme qui
désigne, outre des nains terrestres, de mystérieux petits personnages
qui habitaient aussi des cavernes à l'extrémité du Finistère
et sur le littoral des C.-d'A..
Voici une légende guérandaise sur les Korrigans très arrangée mais avec des traits d'origine populaire.
Une mendiante, repoussée de partout et traitée de sorcière,
finit par trouver l'hospitalité chez un paludier;
pour le remercier, elle lui remit une petite clé toute rouillée
en lui disant d'aller, la nuit suivante, à la grotte des Korrigans de
la falaise près de Trégaté, de frapper avec la clé
le rocher qui est au fond et qui s'ouvrirait aussitôt, laissant
voir un trésor immense;
mais elle lui recommanda d'en sortir avant l'aurore, et elle lui donna
aussi un anneau qui devait le rendre invisible.
Le paludier arriva à la grotte, la nuit suivante, et il entendit le bruit
de l'or et de l'argent que l'on remuait.
Il présenta sa clé au rocher, qui tourna sur lui-même,
et il pénétra dans une salle immense où brillaient partout
l'or et les pierreries.
Une multitude de petits hommes noirs, aux pieds de bouc, à la
tête cornue, s'agitait dans le palais, où le roi, assis sur son
trône, faisait l'inventaire de ses trésors :
dans un énorme coffre étaient toutes les richesses des navires
que les Korrigans avaient fait s'échouer à la côte
depuis un an.
Le paludier remplit son sac d'or et de diamants, et sortit en regrettant de
ne pouvoir en emporter davantage.
Il alla cacher son butin dans un menhir qui s'ouvrit au contact de sa
clé, puis il retourna dans la grotte dont la porte lui livra encore
passage.
Il puisa de nouveau dans le grand coffre, mais quand il présenta
sa clé au rocher, il ne tourna plus sur lui-même;
il faisait jour, et comme son anneau avait perdu sa vertu, il cessa
d'être invisible, et il fut aperçu par les Korrigans qui l'amenèrent
à leur roi.
Celui-ci ordonna de l'ensevelir dans l'or qu'il avait si fort convoité,
et sa sentence allait être exécutée, lorsque parut la vieille
mendiante qui se changea en une belle princesse, devant laquelle s'inclinèrent
les Korrigans.
Elle dit au paludier qu'elle avait voulu l'éprouver, et que, pour avoir
été trop cupide, les richesses qu'il avait emportées
la première fois resteraient éternellement cachées
dans le menhir.
Mais elle lui fit présent d'un petit plat en étain qui,
trois fois par jour, se remplirait de mets qu'il souhaiterait.
Les nains des cavernes de Basse-Bretagne ne sont pas, comme ceux du
pays de Guérande, des gardiens de trésors.
La grotte des Korandons, à l'anse de Portzmoguer, est hantée par
des Korrigans ou Korandons;
ils ont pour jambes des pattes de chèvre dont les sabots sont
en fer.
Ils exécutent, la nuit, des danses bruyantes;
le fracas des galets remués par les vagues est attribué au piétinement
de leurs pieds de fer.
Des trous dans les falaises de Bilfot, près de Paimpol, sont
habités par des familles de Korandons, et on retrouve ces nains sur plusieurs
parties de la côte :
entre l'embouchure du Trieux et Lannion, il y en a dans presque tous les trous.
Les cavernes des groupes étudiés jusqu'ici étaient habitées
par des personnages appartenant au monde de la féerie, et les
faits qui les concernent sont en assez grand nombre pour que chaque région
ait pu être traitée à part.
Mais les grottes marines sont l'objet d'autres légendes qui se
rencontrent à l'état isolé, en divers pays.
Il est assez rare que des saints aient habité ces grottes;
pourtant une tradition ancienne rapporte que saint Maudez, quand tout
le monde dormait au couvent établi dans l'île qui porte
son nom au pays de Tréguier, se rendait au bord de la mer, dans une caverne
connue de lui seul, qu'on appelait Guele Sant Modez, lit de saint Maudez.
Il s'y dépouillait de son froc, et se couchait sur la pierre humide,
couverte de quelques herbes sèches.
Un jour il ne parut pas à la prière du matin, et les moines firent
pour le retrouver des recherches inutiles.
Cent ans après sa disparition, un pêcheur naufragé fut jeté
par les flots en fureur dans la grotte, où il vit le cadavre parfaitement
conservé d'un moine;
quand on l'eut transporté au monastère, on reconnut à son
anneau le saint abbé Maudez.
Chaque année, à l'époque du pardon, de nombreux pèlerins
vont visiter la caverne et y prient pour obtenir la guérison des douleurs.
Le malade se couche sur les pierres qui servaient de lit au saint, dans
la persuasion qu'il s'en retournera guéri.
D'après une légende dont quelques parties sont arrangées,
une sorte de monstre qu'on appelait Rô résidait parfois
dans les grottes de la côte saintongeaise.
Il avait des formes animales, mais une intelligence presqu'humaine.
il faisait sa nourriture des êtres de la région, surtout des hommes
auquel il tendait des pièges.
Il répandait la terreur dans tout le voisinage, et nul n'osait s'attaquer
à lui.
La côte était d'ailleurs couverte de forêts impénétrables
où il trouvait de sûres retraites, ainsi que dans les cavernes
creusées en forme de puits au milieu des rochers de la côte.
Les flots amenèrent un jour une barque montée par sept
guerriers idolâtres.
A leur vue la bête recula, en regardant ses adversaires, jusqu'au moment
où elle se trouva acculée au pont de la Pierre.
Les sept flèches l'atteignirent, deux lui percèrent les yeux,
deux autres les oreilles, deux se logèrent dans les narines, la septième
vint clouer les lèvres de la bête qui, furieuse de son impuissance,
se mit à pousser d'effroyables hurlements.
On voyait encore, il y a un certain nombre d'années sur la pointe du
Chai, sept pierres de granit disposées en forme de cercle autour d'une
cavité arrondie dont on ne connaissait pas la profondeur.
Ces pierres servirent de sièges de justice aux sept guerriers.
L'animal Rô, privé de tous ses sens, fut contraint par ses juges
de se réfugier dans cette profondeur insondable et fut condamné
par eux à demeurer là jusqu'à la fin des temps.
Quand Rô hurle vers le nord Maumusson est bouleversé, quand il
envoie vers le nord ses cris de rage, c'est le gouffre de Chevarache, dans le
Pertuis breton, qui soulève les vagues profondes.
Certaines grottes avaient été la retraite de dragons,
disparus depuis longtemps, mais dont on montrait encore les traces;
en face du Guéodet, à l'embouchure du Léger, on disait
qu'une excavation avait caché le dragon dont saint Thuriau débarrassa
le pays en le noyant.
A Saint-Suliac, on appelait Trou du serpent ou de la Guivre une caverne qui se trouvait près de l'endroit où saint Suliac avait précipité un serpent qui déchirait le sein d'un de ses moines, en punition de sa gourmandise.
Jusqu'en 1793, le clergé de la paroisse venait, l'un des jours des Rogations, plonger par trois fois dans la grotte le pied de la gand-croix d'argent.
La teinte sanguinolente des parois d'une houle des environs de Granville
est la marque du sang des victimes qu'un dragon y a dévorées autrefois;
la végétation, qui a l'aspect et la couleur du sang desséché
dans le Trou Baligan, (photo)
sous la falaise du nez de Flamanville, a la même origine.
Cette caverne a été le repaire d'un serpent gigantesque, qui en
sortait de temps en temps pour s'empare des enfants qu'il emportait dans
son antre où il les dévorait.
La bête faisait tant de ravages que les habitants, désespérés,
se décidèrent, pour faire sa part au monstre, à lui abandonner
chaque semaine un enfant désigné par le sort.
Saint Germain de la Rouelle en délivra le pays;
il porta un coup de crosse à l'animal qui se tordit, fit quelques mouvement
convulsifs et s'incrusta dans un bloc de granit, où on a pu le
voir jusqu'au commencement du 19e siècle.
A Carteret (Manche), les vieilles racontaient que Satan s'étant battu
avec saint Georges dans une caverne appelée le Tombeau du diable;
le grand saint l'avait terrassé sous son cheval de guerre, et
l'avait atteint d'une blessure qui le cloua contre un de ces rocs.
Ceux qui racontaient ces choses montraient à leurs enfants des marbrures
rougeâtres qui sillonnaient la pierre bleue, comme une incrustation de
sang du démon.
Le diable fréquentait une autre grotte normande :
celui qui s'aventure dans le Trou Baligan, qui s'étend, dit-on,
jusque sous l'église de Flamanville, y trouve une table magnifiquement
servie, mais s'il a le malheur de s'y asseoir, le diable survient
et l'enlève.
Des traditions que l'on rencontre sur la côte du Finistère et à Nice, mais paraissent inconnues ailleurs, racontent que certaines cavernes étaient hantées par des revenants et des âmes en peine.
Quand il y a des naufrages dans la baie de Douarnenez, la mer transporte
les noyés dans la grotte de l'Autel, près de Morgate.
Leurs âmes y séjournent pendant huit jours avant de partir
pour l'autre monde.
Celui qui troublerait leur solitude en s'aventurant dans cette grotte
durant cette période y périrait de male mort.
A Nice, derrière le Château anglais, se trouve la batterie des
Sabatiés, qui a remplacé l'ancien barri dei Sabatiè,
défendu au Moyen Age par la corporation des cordonniers.
Au-dessous, la mer a creusé les grottes des Sabatiès, où
l'onde réveille sans cesse des échos qui se fondent en
un bruit sourd.
Les marins disent que ce sont les revenants, compagnons de saint Crépin,
qui continuent à battre des semelles revenantes.
Il est assez rare que les grottes marines passent, comme la plupart de celles de la terre ferme, pour receler des richesses.
Deux seulement, parmi les nombreuse légendes des houles en parlent et
presque incidemment :
un château du monde souterrain, auquel on accédait en passant
par la houle de la Corbière, avait des coffres d'or dans ses caves
que seule pouvait ouvrir une clé magique.
Un pêcheur, s'étant aventuré sur les rochers du Cap qui
abrite La Ciotat, tomba à la mer et ne se fit aucun mal, ayant
invoqué au moment de sa chute sainte Madeleine ou notre-Dame de
la Garde;
il pénétra dans une grotte qui renfermait les plus belles branches
de corail que l'on puisse voir;
mais ce jour-là, il ne songea pas à dérober les
richesses qui l'entouraient, et voyant un rayon de soleil qui lui indiquait
la voie à suivre, il se hâta de sortir de la caverne.
Quelques jours après il y retourna, mais, suivant les uns, il
ne put en retrouver l'ouverture;
d'après les autres, quand il eut ramassé le corail, il ne revit
plus le rayon lumineux qui devait lui servir de guide, et il mourut de faim
à côté de sa richesse.
Cette tradition a été rapportée sous une forme moins légendaire
dans le premier quart du 19e siècle :
un nageur, ayant été entraîné dans une grotte, y
vit des branches du plus beau corail, et s'en étant chargé, fut
assez heureux pour trouver une ouverture.
Toute la ville de La Ciotat était alors persuadée de cette
découverte, mais personne n'en a connu l'auteur, et on a essayé
en vain de retrouver cette mine merveilleuse.
A Guers, non loin de Toulon, la caverne du Loup est remplie de trésors;
mais il n'est pas facile d'y arriver, car l'entrée en est gardée
par un loup de mer gigantesque (labrax lupus ou bar) prêt à
s'élancer sur les chercheurs.
On va ramasser, dans les houles de Saint-Cast, des herbes auxquelles
on attribue la vertu de guérir toutes sortes de maladies.
Elles y étaient autrefois cultivées secrètement
par les fées qui les employaient à fabriquer la pommade qui servait
à leurs enchantements.
C'est pour cela qu'on les appelle Herbes à sorciers.
La Goule du Loup, grotte auprès de la Briantais, à l'embouchure
de la Rance, avait peut-être été le théâtre
de quelque aventure tragique, qui s'est transformée en une sorte de facétie,
que l'on raconte aux enfants de Saint-Servan pour les engager à se tenir
tranquille pendant qu'on leur fait leur toilette.
Guichard, qui ne voulait pas se laisser peigner, fut attiré dans
la grotte par ses poux qui avaient soif;
c'est là qu'il s'endormit et qu'il fut avalé par les vagues.
On n'a relevé, à l'époque contemporaine, aucun acte superstitieux
ou culturel qui se rattache aux grottes marines.
Le trait qui suit est peut-être très moderne, et il semble
que la coutume était surtout pratiquée par les civilisés.
Jusqu'à ces dernières années, quand les bateaux allaient
en excursion à l'île de Césambre, on ne manquait
jamais de visiter la grotte de saint Brandan qui s'ouvre dans la falaise,
et l'on disait que le saint faisait trouver des maris aux filles.
Autres thèmes : |
Accueil |