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La malédiction d'une fée, suivant une légende,
a donné naissance à un étang.
Autrefois, le château du Mas appartenait à un puissant seigneur
qui, après une absence de plusieurs années, reparut sans qu'on
sût d'où il venait, ramenant avec lui une belle jeune femme
qu'il avait épousée aux pays lointains.
Elle portait toujours des robes si longues que personne, même son mari,
ne pouvait se vanter d'avoir vu ses pieds.
Ce n'est du reste qu'après avoir juré solennellement de ne jamais
chercher à les voir qu'il avait pu devenir son époux.
Il vécu très heureux jusqu'au soir où, aux mépris
de ses serments, il profita du moment où sa femme préparait sa
toilette de nuit dans un cabinet voisin, pour se hâter de prendre place
dans le lit conjugal, après avoir recouvert d'une épaisse couche
de cendres les marches de l'estrade sur laquelle était posé
le lit.
La dame entra bientôt dans la chambre. A l'instant où elle posait
le pied sur la première marche, elle se rejeta brusquement en arrière
en poussant un grand cri : un charbon ardent, caché dans la cendre, l'avait
brûlée.
Un autre cri avait répondu au sien;
son mari avait vu imprimé en creux sur la cendre, la trace d'une patte
d'oie.
Emportée par la colère et la douleur, la dame du Mas, qui était
une fée très puissante, lança d'une voix terrible cette
malédiction :
Du Mas,
Tu m'épias,
Tu périras,
Toi et ton Mas,
Puisque tu as,
Vu ma patte d'oie.
A peine avait-elle fini de parler que le château s'abîmait
dans la terre avec tous ses habitants et était recouvert par les eaux.
L'emplacement qu'il occupait jadis forme un étang dont personne n'a jamais
pu sonder la profondeur.
Quand on passe au point du jour sur ses bords, on entend le bruit d'une servante
qui barattait, d'autres disent d'un serviteur qui brayait du chanvre, dans les
communs du château, au moment où il a été engloutit,
et qui continu sa besogne depuis des siècles, comme les habitants
de la ville d'Ys.
Le peuple explique par des légendes les disparitions d'étangs ou de lacs, qui sont souvent le résultat de phénomènes géologiques ou de travaux d'assèchement exécutés à des époques reculées.
Suivant une tradition il y avait un lac à la Bourboule avant l'arrivée
des Romains;
leur venue déplut à des fées, moitié femmes et moitié
bêtes, qui habitaient les trous que l'on voit encore sur les hauteurs.
Elles firent disparaître l'eau du lac, se réfugièrent dans
leurs cavernes, puis s'envolèrent.
Il y a une cinquantaine d'années on racontait que des fées l'avait
mis à sec en coupant le rocher pour donner une issue à
ses eaux.
On rencontre en plusieurs pays des explications analogues des ruptures que l'on
remarque dans les chaussées naturelles qui formaient des lacs en des
endroits où l'on voit aujourd'hui des terres fertiles et verdoyantes.
En Franche-Comté, où des parallèles de la légende d'Héro et Léandre sont populaires sur plusieurs points de la Loue, on dit que l'amoureux s'étant noyé en allant voir la châtelaine, celle-ci pour retrouver son cadavre fit percer la montagne qui formait digue et faisait un lac de la partie du bassin de cette rivière que l'on appelle aujourd'hui le Val d'Amour.
Dans l'Aude, une femme légendaire amena le dessèchement accidentel
d'un petit lac :
une reine Blanche habitait le château de Puivert, alors entouré
d'un vaste étang.
Quelquefois les eaux grossies par les orages envahissaient un trône de
marbre situé au bout de la jetée et sur lequel la reine se plaisait
à rêver.
Elle fit percer à une certaine profondeur l'immense roche qui retenait
le lac captif, pensant que le trop-plein s'écoulerait par cette ouverture
et laisserait le lac au même niveau.
Mais le rocher céda à l'énorme pression des eaux qui s'engouffrèrent
dans la gorge de la vallée et engloutirent les seigneurs et la reine
elle-même.
Cette catastrophe a eut lieu en effet;
elle est due à un seigneur de Puivert qui, voulant dessécher le
lac, manqua de prudence dans ses travaux.
Suivant des traditions recueillies dans plusieurs pays, mais principalement
en Bretagne et dans le Midi, une sorte de monde fantastique existe au-dessous
des eaux dormantes.
Trois jouvencelles, qui venaient folâtrer sur les bords du joli lac de
Forneil et se plaisaient à s'y baigner, chantaient parfois et disaient
en s'adressant au lac : « lac, lac, prends la plus belle de nous trois
! »
Un jour d'été, vers le soleil couchant, lorsqu'elles répétaient
ce refrain en se baignant les pieds, la plus jeune poussa un cri de détresse,
et attirée par une force invincible jusqu'au milieu du lac, elle disparut.
La fée du lac avait pris la plus belle des trois filles et ne l'a jamais
rendu.
Dans la vallée d'Azun, une fée était condamnée
à demeurer au fond du lac jusqu'à ce qu'un jeune homme,
ayant mangé quelque chose, sans cesser d'être à jeun,
fut venu l'épouser.
Un adolescent qui se promenait dans le voisinage prit un grain de blé
et le rompit avec ses dents pour voir s'il était mûr;
ayant ainsi résolu le problème, il épousa la fée;
il en eut des enfants, mais l'ayant appelée par mégarde hade
ou dame d'eau, elle retomba sous le charme, parce qu'il ne faut jamais appeler
un esprit par son nom.
Quelques fois ces personnages aquatiques étaient assez mal définis,
comme celui que vit un ermite qui faisait pénitence sur les bords
du lac de Saint-Laurent, non loin d'Ancenis.
S'étant réfugié pendant un orage dans un chêne creux,
il n'en put sortir parce que le vent avait tordu l'arbre et l'y avait enfermé;
il chercha à se dégager en grattant la terre près des racines,
trouva des marches, et finit par descendre dans un souterrain obscur,
au bout duquel on voyait une petite lumière.
Lorsqu'il en eut atteint l'extrémité, il sortit en plein soleil,
juste au-dessous du milieu de l'étang, dans un jardin, où se trouvait
une dame en blanc, d'une beauté merveilleuse.
De même que beaucoup de divinités des eaux, certaines dames
lacustres ne sont pas d'une nature bienveillante, et ceux qui, surtout la nuit,
s'aventurent sur leur domaine, expient, parfois cruellement, leur imprudence.
Du côté de Saint-Martin-de-la-Bretonnière étaient
deux fées.
L'une, espèce de sirène, attirait par sa voix les passants
pour les dévorer, l'autre guettait dans les ténèbres ceux
qui s'attardaient près des étangs et les entraînaient sous
les eaux.
Les fantômes femelles, appelés Dames blanches ou dames
vertes, qui peuplaient les rives des nombreux étangs qui couvraient le
territoire de Cognes (Franche-Comté), fascinaient les voyageurs par leurs
agaceries et les précipitaient ensuite au fond.
Suivant une légende, jusqu'ici unique, un être malfaisant se plaisait
à faire couler les bateaux qui naviguaient sur les étangs
du Bas-Poitou;
la dame de l'étier revenait sous forme de fantôme et nouait sa
chevelure aux nioles pour les attirer au fond.
Les esprits assez mal définis, que l'on désignait en Berry sous
le nom de Demoiselles, s'envolaient de mare en mare et d'étang
en étang à mesure qu'on leur ôtait le brouillard
dont elles se nourrissent.
Un des endroits où elles se tenaient s'appelait la Gâgne-aux-demoiselles;
c'était une fosse herbue et vaseuse qui avait bien un demi-quart de lieue
de long.
Quelquefois les dames se contentaient de simples espiègleries :
on voyait jadis autour de l'étang de Bèche, à la Chapelle
Volant (Haute-Saône), trois demoiselles qui arrêtaient les voyageurs,
les faisaient tourner, tourner, puis disparaissaient.
Dans le Beaujolais, des Dames Noires, noires et hideuses, frôlaient par les nuits obscures ceux qui se trouvaient dans le voisinage des mares.
Les lacs et les étangs à eau claire ne sont pas d'habitude, en
France du moins, fréquentés par les lutins ou les nains;
on les voit, au contraire, assez souvent au bord des étangs marécageux
et surtout près des mares et des marais.
En Basse-Bretagne, on désigne par des noms particuliers les esprits des
eaux stagnantes :
les nains qui se tenaient dans les lieux bas et humides s'appelaient Poulpicans,
parce qu'ils avaient leurs terriers dans des lieux bas.
Le Teuz ar Pouliet, ou l'espiègle de la mare, habitait les eaux
et pouvait prendre toutes les formes qu'il voulait, à moins qu'il ne
préférât se rendre invisible;
mais son apparence véritable était celle d'un petit nain, vêtu
de vert et portant de belles guêtres.
Dans le même pays, le Droug-Speret, ou Aëzraouant,
est un esprit assez mal défini et protéiforme, qui se loge
dans les puits et dans les étangs, où comme les anciens
dracs du Rhône, il tâche d'attirer les femmes et les enfants, en
les trompant par l'apparence d'un collier, d'un bracelet, d'une bague, etc.,
qu'il leur fait voir au fond des eaux.
souvent il les allèche par la vue d'un miroir qu'il fait flotter
à fleur d'eau.
L'Aëzrouant, caché sous les herbes, entraîne dans son palais de cristal l'imprudent qui se baisse pour le saisir et il l'enchaîne à jamais en le soumettant aux plus durs travaux.
Plusieurs récits parlent de lutins qui se montrent parfois, près
des eaux stagnantes, sous une forme animale, pour s'amuser aux dépens
des voyageurs :
on raconte, dans l'Aveyron, qu'un jour le drac prit celle d'un petit mouton
égaré qui bêlait au milieu d'une mare .
Un paysan retroussa ses chaussures, traversa avec peine le marécage et
le chargea sur ses épaules;
mais au milieu du marais, il ne pouvait aller ni en avant, ni en arrière,
tellement ses jambes se trouvaient prises et comme enchaînées
aux roseaux.
Quand il fut débarrassé, la petite bête devint terriblement
lourde;
lorsqu'il arriva à l'autre bord, le jeune agneau se trouva une énorme
chèvre qui, d'un bond, s'élança vers la rive et
lui cria : « M'as plo cariouta ! »
Parmi ces esprits, les plus connus, comme les plus redoutés, sont ceux
qui manifestent leur présence par une flamme bleuâtre ou
par une sorte de lumière.
Elle est produite par les exhalaisons phosphorescentes des eaux; mais
les gens de la campagne n'admettent pas que ces lueurs, auxquelles ils donnent
souvent des noms significatifs, se promènent ainsi toutes seules dans
la nuit.
Elles sont portées par des êtres de petite taille qui appartiennent
soit au monde des lutins, soit à celui des âmes en peine.
Si le feu follet appelé en Basse-Bretagne Letern noz (lanterne
de nuit), Tan noz (feu de nuit), Keleren (follet), voit le premier
un voyageur, il lui fait perdre son chemin, et le conduit dans un étang
où il le noie.
Pour le conjurer, il faut ouvrir son couteau de manière à
ce que la lame forme un angle aigu avec le manche, le planter en terre le plus
près possible du feu, et avoir soin aussi de retourner son bonnet.
Dans les Vosges, si l'on passe près d'une mare, ou si l'on entre dans
ces terrains marécageux, connus sous le nom de feignes, d'où
le voyageur a tant de peine à sortir, on a de grandes chances pour voir
le lutin Cula se montrer à dix pas.
Il prend mille formes, chandelle, cierge, lanterne, boule de feu, bouc
aux yeux flamboyants, et il cause la perte de celui qui a l'imprudence de le
suivre, donnant à l'eau l'apparence de la terre ferme, à la terre
ferme l'apparence de l'eau.
Le seul moyen de se débarrasser de ses importunités est de jurer
comme un charretier : Cula, qui a horreur des blasphèmes, se précipite
dans la première flaque d'eau venue, et l'on voit s'allumer tout à
l'entour de l'endroit où il a plongé une multitude de petites
flammes vertes, jaunes, bleues et rouges, tout cela dansant et sautillant de
manière à donner le vertige et à aveugler.
En Poitou, les feux follets des marécages courent après ceux qui les évitent, mais s'enfuient si on les poursuit.
En Picardie, les Fioles, comme d'autres esprits de la nuit, sont surtout
dangereux pour ceux qui sifflent le soir;
ils se dirigent vers eux pour les entraîner dans l'eau.
Ce feu follet y est aussi appelé Fofu, feu fou;
pour se débarrasser de lui, on fiche en terre un bâton, un couteau
ou une aiguille : le fofu essaie de passer par le trou et abandonne le
voyageur.
Dans quelques endroits de l'Yonne, on croyait naguère que les feux follets étaient des chandelles que des danseuses invisibles tenaient à la main.
Les lutins appeleurs, que l'on rencontre sur le bord de la mer et dans
le voisinage des rivières, sont aussi, mais plus rarement, en relation
avec les eaux stagnantes.
Le Lupeux du Berry manifeste sa présence par une petite voix claire
qui répète ah ! ah !
celui qui est assez curieux pour lui dire jusqu'à trois fois «
Quoi donc ? » ou « qu'est-ce qu'il y a ? » l'entend
babiller comme une pie, raconter des aventures étranges ou scandaleuses.
Il finit par conduire le voyageur au bord d'une eau trompeuse et lui dit : «
Regarde ! »
Alors le lupeux pousse l'imprudent, et perché sur une branche
au-dessus de l'eau, il dit à sa victime qui se noie : « Ah ! ah
!
Eh bien voilà, ce que c'est. » (G. Sand)
Les traditions de lessives faites en plein jour, plus souvent la nuit, par
des personnages surnaturels ou par des revenants se rencontrent
partout où il y a de l'eau, mais leur caractère varie suivant
qu'elle est limpide, courante ou stagnante.
C'est dans le voisinage des étangs ou des mares qu'on en a constaté
le plus grand nombre;
elles se distinguent des autres par la tristesse des laveuses, par la
nature horrible des actes qu'elles y accomplissent, et qui ont en effet quelque
rapport avec les exhalaisons des étangs et des marécages.
En Gascogne, le Drac s'occupe aussi à des lessives nocturnes;
un homme qui revenait seul de Lectoure entendit, en passant à la nuit
close près d'une mare, de grands bruits comme ceux que font les battoirs
de lavandières;
il se demanda quelles étaient les sottes qui lavaient à pareille
heure.
Ce n'était pas des lavandières, mais bien le Drac.
Celui-ci fut tellement irrité d'être surpris à cette besogne
qu'il couvrit de vase l'indiscret de la tête aux pieds.
A un lavoir près d'Oberbronn, en Alsace, une dame blanche se
montrait depuis un temps immémorial aux lavandières qui y allaient
la nuit;
elle ne regardait personne, ne parlait à personne, et s'asseyait à
une place écartée pour laver des chemises, que l'on croyait
être celles des trépassés.
Son apparition présageait la mort d'un membre de la famille d'une
des laveuses.
A Nercia, en Franche-Comté, d'invisibles lavandières chantaient sur les bords de la Mare Branlante.
Avant qu'on eût desséché l'étang de la Haye (Brie),
on entendait chaque nuit, d'un village voisin, le bruit d'un battoir.
On se rendait à pas comptés vers l'étang, on n'y voyait
rien.
Si on s'éloignait, le bruit recommençait aussitôt
: « Retirons-nous, disaient les gens, c'est l'heure de la laveuse. »
L'étang de Maillebois, non loin de Dreux, est hanté par Jeanne La Laveuse, qui se promène la nuit et rentre au jour dans les souterrains du château.
Suivant une hypothèse, émise du reste incidemment, certaines
de ces femmes, qui sont aujourd'hui considérées comme des revenantes,
furent jadis d'une autre race que les hommes.
Si, à l'heure actuelle, certaines lessives nocturnes sont faites par
des esprits de diverses natures et parfois assez imprécis, elles passent,
bien plus ordinairement, pour être imposées comme punition
à des mortes.
D'après une croyance très répandue, elles expient un crime ou un péché grave commis pendant leur vie.
En Berry, ce sont des mères coupables qui battent et tordent incessamment
quelque chose qui ressemblent à du linge mouillé, mais qui, vu
de près, est un cadavre d'enfant.
Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle.
(G. Sand)
Un métayer vit au lavoir de la Font-de-Fond, un matin avant le jour, trois femmes, dont l'une lui tendit un objet livide et impalpable, en l'invitant à le tordre : à la lueur d'un éclair, il reconnut que c'était l'image du plus jeune de ses fils qui s'était, l'année précédente, tué en tombant d'un arbre.
Le linge, que les Kannererz-Noz de Basse-Bretagne présentent aux passants, contient parfois un enfant nouveau-né qui crie et dont le sang coule.
Un garçon qui passait près d'une fosse ronde dans une prairie
de l'Indre, réputée pour être le rendez-vous des
lavandières de nuit, vit une femme qui lavait, et il lui adressa la parole,
croyant la reconnaître pour une vieille voisine : aussitôt une sorte
de grande femme de couleur rougeâtre s'élança sur
lui en l'entortillant de linges ensanglantés.
D'autres fois ces laveuses saisissent l'imprudent, le battent dans l'eau
et le tordent ni plus ni moins qu'une paire de bas.
Bien que la croyance aux lavandières de nuit soit probablement ancienne,
la première mention écrite remonte seulement à la fin du
XVIIIème siècle.
La voici : « Les laveuses, ar cannerez-noz (les chanteuses de nuit)
vous invitent à tordre leur linge, vous cassent les bras si vous les
aidez de mauvaise grâce, et vous noient si vous les refusez. » (Cambry)
Boucher de Perthes parle d'une femme, qu'il appelle aussi cannerez-nooz
(en traduisant fautivement ce mot par laveuse, au lieu de chanteuse de nuit),
qu'on aperçoit quelques fois près des fontaines;
elles présente un drap à tordre au voyageur, elle le tourne toujours
du même côté que lui, et finit par lui couper les mains.
Actuellement on dit que si on a l'imprudence de répondre à
l'invitation des laveuses qui demandent qu'on les aide à tordre, il faut
avoir grand soin de ne pas se tromper et d'observer la précaution indiquée
par les anciens et qui est tout opposée.
Un garçon du pays de Léon qui, au lieu de prier pour les défunts,
avait passé joyeusement la nuit de la Toussaint, vit, en arrivant à
une douez, les Kannerez-noz qui frappaient leur draps mortuaires en chantant
leur triste refrain.
Elles accoururent à lui, en lui présentant leurs suaires
et en lui criant de les tordre.
Il accepta, et pour éviter d'être broyé, il tordit d'abord
dans le même sens qu'elles;
mais pendant ce temps, d'autres lavandières, parmi lesquelles il reconnut
ses parentes défuntes, lui reprochèrent de les avoir laissées
manquer de prières.
troublé par ces paroles, il tordit de l'autre côté;
le linceul serra à l'instant ses mains, et il tomba mort, broyé
par les mains de la lavandière.
Bien que les laveuses qui invitent le passant à les aider soient surtout
connues en Bretagne, on les retrouve en d'autres contrées.
Dans l'Autunois, les lavandières qui lavaient les linceuls des morts
obligeaient les paysans à les tordre avec elles, et, le matin
on retrouvait le malheureux évanoui sur le pré, les bras tordus;
heureux s'il survivait à l'aventure.
Les Gollières à noz, les lavandières de nuit de
la Suisse romande, sont des filles belles, mais méchantes, que
l'on voit au clair de lune faire leur lessives près des fontaines et
des mares solitaires.
Elles invitent les passants à les aider, mais si, par distraction, ils
tordent à rebours, elles leur tordent le cou.
On a essayé d'expliquer, par des raisons d'ordre naturel, l'origine
de la superstition des lavandières de nuit, l'une de celles qui terrifient
le plus le paysan :
ce bruit de battoir serait produit par le cri d'une sorte de grenouille
ou d'un petit crapaud.
En réalité, le prétendu revenant n'est autre parfois qu'une
femme très vivante qui va laver la nuit, parce qu'elle n'a pas eu le
temps de le faire pendant le jour, ou qu'elle ne veut pas être vue s'occupant
de cette besogne au-dessous de sa condition.
Cette croyance a été, comme beaucoup d'autres, exploitée
par des malfaiteurs.
Dans un village du Vaucluse, on racontait qu'on voyait à un certain endroit
des lavandières de nuit :
le garde-champêtre s'y rendit et il aperçut deux formes blanches
qui tordaient du linge.
Il leur intima l'ordre de cesser leur besogne, mais les laveuses se mirent
à ricaner, et l'une d'elles lui cria de venir les aider, tandis que l'autre
le saisissait au collet, en lui disant ce seul mot : « Tords !
»
Il tordit toute la nuit, et il s'aperçut que le linge était magnifique.
A l'aurore, les lavandières s'en allèrent, et dans la journée
on appris qu'un vol considérable avait été commis dans
un château voisin.
Le linge étant sale, les voleurs avaient eut l'audace de passer la nuit
à le laver, après s'être affublés de peignoirs blancs,
comptant sur la superstition pour ne pas être dérangés.
(H. Vaschalde)
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