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Les eaux stagnantes ne sont pas seulement fréquentées par les
morts, condamnés à des expiations posthumes, qui manifestent
leur présence en promenant des lumières ou en frappant le linge
avec leurs battoirs;
d'autres personnages, dont le classement n'est pas toujours facile, mais semblent
se rattacher à l'innombrable et dolente tribu des revenants, les hantent
aussi.
Certains se montrent seulement au-dessus des étangs et des marais, mais
au lieu de marcher sur les ondes, comme les saints et les héros
de la mer, ils planent au-dessus, ou glissent en effleurant à
peine la surface.
Leur apparence est souvent celle d'êtres vêtus de robes blanches,
aussi indécis que des brouillards.
On les regarde alors comme des âmes en peine, soumises à une pénitence
moins rude que celle des lavandières de nuit.
« La femme blanche des marais est une noble châtelaine qui
revient de nuit visiter ses anciens domaines et glisse sans radeau ni barque
sur les eaux tranquilles des marais de l'Ouest.
Les soirs d'automne, quand l'air est calme et chaud, on la voit grandir
et toucher du front les étoiles.
Si le vent des nuits se lève, elle se met à osciller lentement,
puis les plis de sa robe deviennent diaphanes;
la lune perce les longs flots de ses cheveux.
Le lieu où elle se tient d'ordinaire est situé au milieu des marais.
tout près de là, l'Oust et une autre rivière croisent leurs
courants, ce qui détermine un torrent fort dangereux en tout temps, et
qui devient, lors de la crue des eaux, un véritable gouffre;
le jour on le voit de loin bouillonner et lancer vers le ciel une vapeur
blanchâtre ou teinte des couleurs de l'arc-en-ciel;
la nuit on ne voit que la femme blanche.
On raconte que la dame Ermengarde de Malestroit, pour sauver son père
poursuivi par les Français, se laissa entraîner par le torrent,
et y périt, et à sa suite ceux qui la poursuivaient, montés
sur un autre chaland.
depuis elle revient chaque nuit planer au-dessus du gouffre qui fut son
tombeau, parce que sa mort fut volontaire et qu'elle sauva son père au
moyen d'un péché. » P. Féval
On voyait aussi la nuit une grande dame blanche, enveloppée d'un manteau de brume, glisser rapidement sur les eaux de l'étang de Saint-Saud (Dordogne) puis se promener, en prononçant des paroles mystérieuses, sur les débris d'un dolmen voisin.
Suivant une autre légende, au 15 juillet, quand sonne minuit, on voit
apparaître sur la surface de l'étang Saint-François, dans
la forêt de Fougères, deux âmes réprouvées
qui, enlacées, tourbillonnent dans une sorte de ronde et finissent par
s'évaporer en fumée.
Ce sont les spectres d'un moine et d'une femme du voisinage qui avaient
autrefois des rendez-vous galants, la nuit, dans une barque;
un soir le mari outragé prit une faux fraîchement affilée,
monta sur une autre barque et, ayant pu s'approcher sans bruit des amants, leur
trancha la tête.
Bien des gens ont vu la nuit, au-dessus de la Mare aux Messieurs en Saint-Pôtan
(C.-d'A.), deux grandes ombres blanches s'élancer avec rage, l'une
sur l'autre, l'épée à la main, et au même moment,
l'on entend un bruit de ferraille.
Ces fantômes sont ceux de deux seigneurs, qui se battirent en duel
sur ses bords, et s'enferrèrent si bien qu'ils moururent de leurs blessures.
Plus nombreux sont les personnages qui se montrent, non pas au-dessus
des eaux stagnantes, mais dans leur voisinage.
Quelques-uns, bien que paraissant appartenir au monde des morts, s'y livrent
à des ébats qui n'ont rien de lugubre.
Sur les bords de la Mare à Cornu, à Neuville Chant d'Oisel (Seine-Inf.),
on voyait apparaître et danser les Demoiselles, c'est-à-dire les
Dames blanches.
Les religieuses d'un couvent englouti viennent quelquefois, après
le soleil couché, se laver dans les eaux du Puiset (Ardennes), puis elles
dansent en se tenant par la main et vont ensuite se perdre dans les bois.
Tous les cent ans, une dame se montre au bord de l'étang d'Offémont.
Elle tient serrée, entre ses dents, une clé de feu.
Si on pouvait la lui enlever, elle serait sauvée de la damnation.
Certains noyés n'ont point quitté les lieux où
ils ont disparu sous les eaux, mais les récits populaires ne disent pas
toujours avec netteté pourquoi ils reviennent, parfois bien des
années après l'événement.
Tous ceux qui ont péri dans le vaste marécage de la grande Brière
(Loire-Inf.) errent la nuit, cherchant un chrétien qui veuille
les retirer de l'eau;
toutefois on ne sait s'ils implorent la sépulture, où s'ils pourraient,
moyennant certaines conditions, revenir à la vie.
Les enfants morts sans baptême se montrent aux passants dans divers
endroits, pour leur demander de les baptiser;
aussi est-il assez naturel de les rencontrer dans le voisinage des eaux, attendant
l'âme charitable qui voudra bien leur rendre ce service.
Une tradition des environs de Dinan présente une donnée un peu
différente.
Suivant elle, ils sont condamnés à se tenir sur le bord
d'une grande mare;
ils battent l'eau pour essayer de s'en jeter des gouttes sur la tête.
S'ils pouvaient y réussir, ils seraient pour ainsi dire baptisés,
mais leurs petits pieds sont mal assurés, et comme à chaque
pas, ils croient glisser, ils essaient en vain de se tenir debout, et ne peuvent
parvenir à se jeter de l'eau.
Quelques lacs qui passent pour être en relation avec le monde infernal
portent des noms conformes à cette croyance.
Sur la cime du Diable, dans les Alpes Maritimes, près de la frontière
d'Italie, les Laghi d'Inferno sont si profonds que l'on assure
qu'ils communiquent avec l'enfer.
Si on y lance une pierre, au lieu de bulles d'air, on fait monter à
la surface des milliers de vrais démons.
Un des étangs de la Montagne Saint-Barthélemy dans l'Ariège, dont les bergers ne s'approchent qu'en tremblant, porte le nom d'étang du Diable. (Si l'on y jette une pierre, il en sort des nuages avec leur odeur de soufre.)
Suivant plusieurs traditions contemporaines, des personnages, que l'on supposait
diaboliques, se montrent parfois, en prenant des formes variées,
au-dessus des eaux dormantes ou dans leur voisinage immédiat.
Après le soleil, de noires vapeurs se dégageaient d'une sorte
d'étang qui était près de Beuray-les-Faverney et dont jamais
on ne connut la profondeur;
des pêcheurs, voulant y jeter leurs filets pendant la nuit, avaient été
chassés par un long diable velu, des passants attardés
avaient été poursuivis, saisis et précipités dans
l'eau.
Aussi, après le crépuscule, personne n'en approchait.
Comme on parlait de ces hantises dans un château voisin, un jeune seigneur
déclara qu'il irait à l'étang et qu'il reviendrait sain
et sauf.
Il commanda son carrosse et ordonna à son cocher de le conduire au lieu
hanté.
Celui-ci, plus mort que vif, récita ses patenôtres tout
le long de la route. Lorsqu'ils arrivèrent à l'étang, il
s'éleva d'abondantes vapeurs de sa surface, et il en sortit un grand
spectre noir qui, en trois enjambées, fut devant la voiture, dont l'attelage
se cabra.
Le cocher avait sauté de son siège; le spectre le remplaça
et conduisit le carrosse jusqu'au milieu de la région vaporeuse, où
le domestique le vit disparaître.
Les sorciers se réunissent, assure-t-on encore dans plusieurs
pays, sur le bord des étangs, encore plus que sur celui des eaux
courantes, pour la fabrication des orages.
Legier constatait, au commencement du XIXème siècle, la croyance
au pouvoir des tempestaires, dont on citait alors les noms :
« Dans les environs de Jouy, Ligny et autres lieux circonvoisins, certaines
familles ont le secret de créer à leur gré des orages.
Il leur suffit de vouloir le changement de temps pour qu'aussitôt le plus
beau ciel devienne nébuleux et que le tonnerre gronde.
Mais il est une mesure préalable, c'est que ceux des membres de
ces familles privilégiées pour faire le mal se réunissent
dans un étang, trois au moins à la fois.
L'étang de Boisgibault a plus de charmes malfaisants que tout autre.
C'est dans cet étang qu'a été créé l'orage
du 13 juillet 1788 par des gens dont on ne se doutait pas, un de la Ferté
Saint Aubin, un de Jouy et un d'Ardon.
Les sorciers ont de grands battoirs avec lesquels ils battent l'eau et
la font jaillir dans l'air à plus de trente pieds en faisant des cris
et des hurlements affreux.
Cette préparation, pour mieux dire cette formation du mauvais temps,
se fait plus spécialement la nuit, avant le lever du soleil qui
retourne de frayeur sur ses pas et n'ose paraître de trois ou quatre jours.
(Dans la Beauce, la mare de la Grande Lüe était réputée
pour ce maléfice).
Cette superstition existait aussi en Berry, à une époque plus voisine de la nôtre.
Dans la Brenne, on montre certains étangs sur les bords desquels ont l'habitude de se rendre les fabricateurs d'orage pour battre la grêle.
Souvent des familles entières se vouent à cette industrie
qui ne s'exerce qu'au sein des plus profondes ténèbres.
Armés de longues perches ou d'énormes pelles de bois, les grêleux,
toujours au nombre de trois, battent vigoureusement et en cadence la
surface liquide.
Bientôt sous l'action frénétique de leurs bras, qu'accompagnent
des imprécations et des cris sauvages, l'eau s'élance en sifflant
dans les airs.
Ses parties les plus ténues se volatilisent, gagnent les hautes régions
de l'atmosphère, s'y assemblent, s'y condensent, et quand paraît
le jour, le fléau est enfanté.
On disait autrefois en Saintonge que les curés (voir page astres
3 - la grêle) pouvaient produire la grêle eux-mêmes, sans
le secours de personne, et sans aller au sabbat :
il leur suffisait de battre avec une petite verge merveilleuse les eaux
d'un étang, d'une rivière ou d'une fontaine.
Cette croyance est également répandue en Gascogne :
d'après un récit de ce pays, trois curés s'assemblent
au bord d'une mare, ils en troublent l'eau, la mêlent avec la vase, et
en composent un levain de grêle qui ravage toute la contrée.
C'est aussi auprès des eaux stagnantes que s'accomplissent des opérations
qui ont pour but de détourner le bien d'autrui.
Les cremettes ou soutireuses de beurre du Loiret, versent dans une mare
le matin du premier mai, avant le lever du soleil, en prononçant une
conjuration, le contenu d'un pot de crème.
On peut se garantir de ce maléfice en allant le soir du même jour
jeter de l'eau bénite sur le bord de la mare, en remuant l'eau avec un
bâton.
En Franche-Comté, quand on soupçonnait une vache d'être
traite à distance par un armailli sorcier, on mettait dans un
trou de ses cornes un peu de cierge pascal;
ses cornes en se reflétant dans l'eau détruisait l'influence diabolique
des moyens magiques déposés par les sorciers au fond des abreuvoirs.
Les fermières de Puisaye (Yonne), qui veulent que leurs vaches aient du bon lait et en abondance, s'en vont le premier mai, avant le jour, écrémer secrètement l'eau du marchais (mare) de leurs voisines.
Des esprits malfaisants, pour mieux tromper les hommes, se présentent
à eux sous l'aspect d'une monture à l'air doux et tranquille.
Dans plusieurs récits, ce coursier est doué de la faculté
de mettre sur son échine autant de personnes qu'il s'en présente.
On raconte en Artois qu'il y a bien longtemps, pendant que de jeunes garçons,
au lieu d'aller à la messe de minuit, s'amusaient à jouer,
un magnifique âne gris parut sur la place de Vaudricourt.
Comme il ne semblait pas méchant, on s'approcha de lui :
il allongea son encolure pour être caressé.
Un garçon plus hardi que les autres monta sur son dos, l'animal partit
à un galop très doux, fit le tour de la place, et s'arrêta.
Ses compagnons montèrent sur son dos qui s'allongea progressivement,
et vingt finirent par s'y placer.
Quand la messe fut terminée, le baudet, qui caracolait d'une façon
vertigineuse, bondit jusqu'à l'abreuvoir, et tous les garçons
furent noyés.
Pendant certaines nuits de Noël, le baudet infernal se montre, portant
ses victimes qui semblent torturées par la souffrance.
Lorsqu'il a fait, en galopant sans bruit, le tour du village, il se trouve
à minuit à son point de départ, et rentre avec sa charge
dans l'abreuvoir d'où il est sorti.
Quelquefois ces animaux noyeurs se font voir à une certaine distance
des eaux, de sorte qu'on ne se méfie pas d'eux.
A Plouguenast (C.-d'A), un cheval se présente aux enfants, s'allonge
avec complaisance pour que quatre ou cinq puissent trouver place sur son échine,
et va ensuite les noyer dans les étangs.
On voit encore, près des eaux stagnantes, des animaux d'espèces variées, qui parfois étaient redoutées de tout un canton.
Une chienne noire qui erre sur le marécage près du Mont Saint-Michel de Braspartz est une fée qui, à la mort du géant Hok-Bras, s'est ainsi métamorphosée.
Un chien noir sans tête rôde, après le soleil couché, aux alentours d'un étang du Bourbonnais, à la recherche de ses maîtres.
La nuit, une belle oie, grasse et dodue, se promenait en se dandinant
au bord de celui du Mont Botrel près de Flers.
Un paysan, ayant eu la mauvaise idée de l'emporter, ne parvint qu'avec
peine au seuil de sa maison.
Comme il allait ouvrir la porte, l'oie lui dit
« Reporte-moi où tu m'as prise »
et poussé par une force invisible, il dut refaire le chemin qu'il avait
si péniblement parcouru.
Au déchargeoir de l'Etang à la Truie de Relans, on a toujours vu une poule noire, fort grasse, mais en même temps si fine, si agile, qu'il est impossible de la tuer ou de la prendre.
Pline a rapporté avec une certaine précision une croyance
qu'il regardait comme particulière à la Gaule, et qui s'y
est assez bien conservée.
Pendant l'été, une quantité énorme de serpents
se réunissaient en boule, s'étreignaient et se collaient les uns
aux autres au moyen de la bave et de la sueur qui suintaient de leurs gueules
et de leurs corps, et ils formaient ainsi l'uf de serpent, renommé
par ses vertus merveilleuses.
La tradition des monstres de l'eau est restée vivante jusqu'à
ces derniers temps dans les régions lacustres de la Suisse.
Pendant l'hiver un dragon colossal se cachait dans les eaux des lacs alpestres,
et c'est lui qui, au printemps, à son réveil, faisait craquer
la glace sous laquelle il était enfermé.
Ainsi qu'on a pu le voir au début de ce chapitre, des personnages inhospitaliers, méchants ou impies, disparaissent dans des lacs, des étangs ou des mares qui se forment tout exprès pour les engloutir.
Jadis les bufs d'un paysan qui labourait sur le plateau qui avoisine
le Gour d'Enfer, pris de peur, s'emportèrent et roulèrent
au fond du gouffre, entraînant l'araire et le laboureur dont la main n'avait
pu se détacher de la charrue.
Vainement on essaya de les retirer.
Mais quand le soleil brille d'un vif éclat, et qu'aucun souffle ne ride
la surface de l'eau, on peut apercevoir au fond de l'eau un objet poli
qui semble refléter la lumière : c'est l'araire.
On distingue aussi deux masses noires et une face blanche, l'homme
et les bufs.
A l'époque de la fenaison, le calme des nuits est souvent troublé,
aux environs du pré de la Font Compain (Centre), par des cris de laboureurs
en péril qui excitent et gourmandent leurs bufs, puis on entend
des voix désespérées, des sanglots, et des lamentations
de femmes et d'enfants.
C'est là que s'enfonça jadis, dans une fondrière,
une charrette chargée de foin, avec tout son attelage et ceux qui poussaient
aux roues.
Suivant des traditions communes à beaucoup des eaux dormantes qui passent
pour recouvrir des villes englouties, les riverains entendent, à
certaines époques de l'année, mais presque toujours au moment
des grandes fêtes, le son des cloches qui sortent de leurs profondeurs.
Il semble que les cités gisent sous la couche liquide, non pas bouleversées
et ruinées, mais presque dans l'état où elles se trouvaient
au moment où elles disparurent.
Il en est même que l'on peut apercevoir à travers la transparence
des eaux, comme celles que la mer a ensevelies :
les églises sont encore debout, et quelquefois, à l'instant où
les cloches carillonnent pour annoncer les solennités chrétiennes,
de mystérieux sonneurs mettent en branle celles des cités maudites.
Aux environs de Fougères, où presque tous les étangs un peu considérables passent pour recouvrir des villes submergées, les cloches carillonnent la nuit qui précède les grandes solennités, et parfois l'on voit même émerger une pointe de clocher.
Il en est de même de celles d'une ville ensevelie sous les eaux de l'étang du Lou-du-Lac près de Montauban (Ille-et-Vilaine).
La cloche du Creux de l'Abîme sonne pendant les Avents, mais pour l'entendre,
il faut être en état de grâce.
Voici comme elle se trouve là :
« un bouvier qui amenait sur sa charrette une cloche destinée
à la chapelle de la Certenue se trouva embourbé dans une fondrière;
mais ayant piqué ses bufs et les ayant dégagés par
une vive secousse, il s'écria :
" Que Dieu veuille ou non, nous voici hors accident ! "
A ces mots, la cloche sautant du char alla s'enfoncer d'elle-même
dans la vase;
en vain on essaya de la retirer; elle s'y enfonça de plus en plus et
finit par y disparaître. »
Les eaux dormantes figurent en bon rang dans la nombreuse catégorie
des endroits qui recèlent des trésors :
le plus habituellement elles recouvrent des objets précieux ou des espèces
monnayées, et cette croyance n'a rien de surprenant dans un pays où
jadis les Gaulois jetaient des richesses dans les lacs, soit pour les
y conserver, soit pour les offrir à des divinités.
D'après les légendes actuelles, la plupart de ces trésors appartenaient à des seigneurs qui, se voyant vaincus, ont voulu les soustraire à la rapacité de leurs ennemis.
En Franche-Comté, des trésors que l'on voulait empêcher de tomber au pouvoir de l'ennemi ont été précipités dans le lac d'Antre.
A Sainte-Colombe, le seigneur a jeté au fond du lac un tonneau
rempli d'or;
une barrique d'or est au milieu de l'étang du château de Montauban
de Bretagne, si profond que les plus longues perches ne peuvent en atteindre
la vase.
Ces richesses ne sont pas faciles à extraire de l'endroit où
elles se trouvent, et il est nécessaire, pour elles comme d'ailleurs
pour la plupart des trésors, d'observer certaines conditions et
surtout de garder un silence profond.
On ne pourra reprendre le tonneau plein d'or et d'argent qui gît dans
un marais près de l'étang de Bossac, en Pipriac, qu'en attelant
dessus quatre bufs d'une blancheur immaculée;
de plus le bouvier ne devra proférer aucune parole avant d'être
sorti du territoire de Bossac.
Jadis un homme s'était procuré ces quatre bufs et les avaient
attelés sur le précieux tonneau.
Excités du geste et de l'aiguillon, les bêtes firent leur service
comme à la charrue, et l'homme voyait déjà le trésor
glisser sur la vase et venir à lui, lorsqu'il ne put retenir un cri de
joie;
un bruit de chaînes se fit entendre, les roseaux s'agitèrent
d'une façon surprenante, et le tonneau recula, malgré la résistance
des bufs et les efforts désespérés du maître.
Bientôt tout disparut dans l'abîme.
Depuis on voit l'ombre attristée du pauvre homme qui, par certaines
nuits, erre sur les bords de l'étang et pleure sa fatale imprudence.
Un grand nombre de lacs formés à la suite d'une punition
divine sont réputés sans fond, et l'on raconte, ainsi qu'on l'a
vu, que les plus grandes perches, les plus longues cordes ne parviennent pas
à atteindre le sol vaseux, mais d'ordinaire cet acte est sans danger
pour ceux qui l'accomplissent, et il ne provoque pas de prodiges comme
ceux dont fut témoin un villageois qui s'aventura un jour jusqu'au milieu
du lac du Bouchet pour en sonder la profondeur.
Il employa pour cela une marmite attachée à une corde prodigieusement
longue, mais quand il la retira, elle était pleine de sang.
D'autres disent qu'elle était rouge comme braise, et qu'elle avait
été chauffée par le feu qui ne cesse de brûler au
fond de ce lieu maudit.
Les riverains des eaux stagnantes leur accordent, plus rarement il est vrai, les mêmes vertus prophétiques qu'aux fontaines et aux rivières.
Suivant un voyageur du XVIIème siècle,
« le lac qui est dans le duché de Vendosme regorge d'eau
pendant sept ans et reste à sec les sept autres années
pendant lesquelles on voit ses cavernes profondes.
Les paysans reconnoissent à certaines remarques de la hauteur de l'eau
si ces sept années d'absence de l'eau seront abondantes ou stériles.
»
Cette croyance avait été constaté quelques années
auparavant par Jodocus Sincerus.
Lorsqu'une petite mare, près de l'église de Boos (Seine-Inf.)
est pleine le jour des Rameaux, c'est signe d'abondance;
si elle est sèche, la récolte de l'année sera mauvaise.
Plus les eaux du lac Bouchet sont basses, meilleure sera la moisson.
Quoique le lac de Grandlieu ne soit pas sujet au flux et reflux, il arrive
quelquefois que sans cause apparente ses eaux éprouvent une agitation
extraordinaire.
De fortes vagues viennent inonder la plage auparavant à sec.
Des bateaux en traversant cette petite mer ont quelquefois péri
par l'effet des tempêtes.
Le peuple des environs les expliquent par une cause surnaturelle.
A la pointe orientale du lac se trouve une petite île sablonneuse,
de forme à peu près ronde, qui se nomme l'île d'Un.
Il y a au milieu une pierre debout, d'environ cinq pieds de hauteur.
Elle parait profondément enfoncée en terre, et est percée
d'un trou rond, à environ deux pieds du sol.
Elle sert, suivant une vieille tradition, à boucher l'entrée du
gouffre qui a vomi l'eau du lac;
le gouffre renferme un géant énorme qui, par les efforts
qu'il fait pour se délivrer de sa prison, excite ces tempêtes.
Il doit resté enfermé jusqu'à ce qu'une jeune fille vierge
puisse enlever cette pierre.
Elle devra pour cela, d'après un manuscrit qui a disparu pendant la Révolution,
passer le bras gauche dans le trou de la pierre et tenir de la main droite une
ceinture bénie, à laquelle sera pratiqué un nud
coulant qu'elle tâchera de passer au cou du géant, qui, ainsi lié,
deviendra souple et, qui plus est un fervent chrétien.
Alors plus de tempêtes à craindre. (Thomas de Saint-Mars)
Les particularités des poissons qui vivent dans les eaux dormantes sont l'objet de plusieurs croyances singulières.
« Le lac de Paladru produit un poisson extraordinaire qu'on nomme Dorada,
à cause de ses écailles dorées qui sont si éclatantes
qu'elles éblouissent presque la vue.
L'écume de ce lac étant jetée dans des étangs
ou des rivières y engendre toute sorte de poissons.
Le lac de Blchen en Alsace est peuplé d'une foule de poissons bizarres et effrayants, dont le plus curieux est une énorme truite qui porte un petit sapin sur son dos, tout couvert de mousse.
On assurait jadis que l'Etang Noir contenait des grandes truites, douées
de surprenantes propriétés;
mises à frire dans une poêle, elles sautaient et s'échappaient
par la cheminée.
On observait avant la Révolution la singulière coutume juridique
qui suit :
Le lac de Grandlieu (Loire-Inf.) avait haute, basse et moyenne justice;
le tribunal siégeait dans un bateau à deux cents pas du
rivage, et lorsque le juge prononçait sa sentence, il devait, de son
pied droit, toucher l'eau.
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