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Les forêts sont hantées par des gens de l'autre monde, différents
de ceux qui, condamnés à des pénitences posthumes,
ont pour caractéristique de manifester leur présence par des sons
d'instruments ou par des cris de vénerie.
Des anciens gardes ou des seigneurs qui ont été jaloux
de leur chasse ou de leurs arbres reviennent encore la nuit pour les
surveiller.
Un marquis d'Ormenans qui, de son vivant parcourait journellement la
forêt, continuait sa surveillance après sa mort.
On le voyait, à minuit, assis sur un tertre élevé
d'où il inspectait du côté du village :
quand les femmes allaient chercher du bois ou emporter des fagots qu'elles avaient
faits dans la journée à l'insu des gardes, il fixait sur
elles un il terrible et les menaçait du doigt.
Un garde-chasse, assassiné par un braconnier, revient tous les ans, à l'anniversaire du crime, faire sa ronde dans une forêt du Morvan, et cette nuit, aucun braconnier ne s'aventure à la poursuite du gibier.
Le jour des Morts, après le coucher du soleil, une voix crie
dans les Grands Taillis de Montigny-aux-Amognes :
« Rends-moi mon enfant ! »
et le passant voit apparaître une femme sans tête qui tend
les bras vers lui en répétant ce cri.
c'est l'ombre d'une dame qui, faussement accusée d'infidélité,
fut décapitée là par son mari qui, auparavant, avait
tué l'enfant supposé adultérin.
Celui qui, la nuit, traversait la forêt de Breyva, près de Belfort, sans avoir une pincée de sel dans sa poche, serait infailliblement attiré hors de sa route par une puissance surnaturelle, et il rencontrerait le fantôme de la dame de Breyva, une clé rougie à la bouche, qui l'inviterait à la lui retirer avec les lèvres.
Un grand seigneur, tout souillé de sang, se montre quelquefois
après le soleil couché dans les sentiers de la forêt de
Bonlieu;
un soir qu'il y passait, il fut assailli, prit à la gorge et étranglé
par des chats qui tenaient leur sabbat.
Des revenants qui, d'ordinaire, sont condamnés à des pénitences
posthumes, manifestent leur présence d'une façon bruyante.
On entend chaque nuit dans les bois de Beaucourt (Picardie) les longs gémissements
et les cris confus que poussent les chevaliers à la Croix Rouge
qui doivent y revenir jusqu'à la fin du monde.
Parfois il s'y mêle un bruit de pas, de branches froissées, de
galops furieux et des hurlements, et, si la lune est dans son plein,
on voit des milliers de fantômes, vêtus d'une longue robe
rouge de sang, poursuivis par des jeunes filles habillées
de robes blanches;
les fantômes épouvantés s'enfuient à travers les
taillis, toujours pourchassés par les spectres des jeunes filles
qui autrefois se noyèrent de désespoir dans l'Hallue, quand
les Templiers leur eurent fait violence.
Le chêne rosé qui s'élevait dans un carrefour de
la forêt de Loudéac (C.-d'A.) passait pour être hanté.
Un garçon des environs promit à une servante de lui donner une
paire de beaux souliers si elle consentait à aller, à minuit,
crier quelque chose sous le chêne;
la jeune fille partit, mais on attendit en vain son retour.
Le lendemain, on trouva au pied de l'arbre sa coiffe tachée d'une
goutte de sang et ses sabots;
depuis on assure que l'on entend parfois, en plein midi, sortir du chêne
une voix qui crie :
« Rends-moi mes souliers ! »
On raconte dans le Puy-de-Dôme une légende analogue de fille
hardie qui avait parié de se rendre à un endroit dangereux
de la forêt de l'Arbre;
on ne la revit plus :
une statuette sur le piédestal d'une croix en pierre, qui représente
une femme en prières, perpétue, dit-on, le souvenir de
cette aventure.
Aux environs de Pontarlier, on attribue au « Pleurant des bois » des accents plaintifs que l'on prend tantôt pour les appels d'une créature humaine qui se meurt dans un précipice, tantôt pour ceux d'un esprit infortuné qui promène sa mélancolie dans les plus profondes solitudes.
L'hutzeran dont le nom patois vient de husti,
hucher, appeler à grands cris, est un grand gaillard tout habillé
de vert, qui se cache dans les bois. |
Dans la colline boisée de Beauregard (Auxois), on n'osait prendre la
nuit un ancien chemin appelé la Comme-du-Vau, à cause des
apparitions qu'on y voyait;
on entendait sous les taillis des voix terribles crier aux passants :
« Comme-du-Vau, y seu ! »
d'autres répétaient :
« Si tu n'avais ni pain, ni sau, dans lai Comme-du-Vau tu resteraus.
»
Le pain et le sel étaient regardés comme des préservatifs
contre les mauvais esprits.
Une sorte de farfadet, tout de rouge habillé, dansait
la nuit dans les bois de Warnecourt (Ardennes) en criant :
« Ah ! Oh ! »
et en modulant ces cris sur les notes la fa ré;
on l'avait surnommé le bauieux du bois de Prix.
Au Moyen Age, les forêts étaient une des retraites favorites
des loups-garous que Marie de France assure avoir été nombreux
autrefois.
(voir le Bisclavaret et page faune 2, loups et loups-garous))
Cette même croyance subsistait au 17ème siècle;
un jour que le musicien Pierre Gaultier, qui avait le visage très basané,
traversait une forêt, il rencontra « une troupe de paysans qui cherchoient
un enfant, que suivant leur opinion, le loup-garou avoit mangé;
ayant aperçu le visage noir de cet illustre moricault, ils le
prirent pour le loup-garou dévorateur de cet enfant, et le lui
demandèrent;
monsieur Gaultier ne voulant aucunement avouer qu'il fût un loup-garou,
et moins encore leur revomir cet enfant qu'il n'avoit pas mangé,
ils le jetèrent du haut de son cheval et l'accablèrent
de coups.
Les loups-garous des forêts, dont on parle maintenant, se contentent
d'ordinaire de mener les loups.
On croit encore, dans beaucoup de pays de France, surtout dans l'Ouest
et dans le Centre, que des gens ont le pouvoir de se faire accompagner
par des loups qui obéissent à toutes leurs volontés.
Dans le Nord et dans l'Est, où les forêts sont pourtant
nombreuses, ces conducteurs de bêtes paraissent à peu près
inconnus.
Au milieu du siècle dernier, on disait en Bourbonnais que les loups-garous,
perdant la forme humaine à minuit, conduisaient à travers
la campagne des meutes de loups et les faisaient danser autour
d'un grand feu;
partout on trouve cette tradition d'un homme qui arrive au milieu de
cette assemblée hurlante, et qui est reconnu par le conducteur de loups,
qui le fait accompagner par deux de ses chiens et lui recommande de ne
pas se laisser tomber et de les récompenser en arrivant.
Le voyageur oublie sa récompense, mais il revoit à la porte les
deux loups et leur tire, en vain, des coups de fusil, car les balles
s'aplatissent sur leur peau;
leurs yeux brillent comme des éclairs, et leur gueule laisse échapper
des flammes.
Et dans sa frayeur, il leur donne un énorme pain qu'ils emportent
au milieu des bois.
Dans les forêts morvandelles, tout flûteur
est soupçonné de mener les loups, d'employer sa virtuosité
à les assouplir et à les dompter. |
Les sorciers du Berry avaient la puissance de fasciner les loups,
de s'en faire suivre et de les convoquer à des cérémonies
magiques dans les carrefours des forêts;
ils pouvaient se transformer en loups-garous.
On les appelait aussi serreux de loups, parce que, disait-on, ils les
serraient dans leurs greniers quand il y avait des battues.
George Sand a rapporté en détail les croyances
qui les concernent.
« Une nuit, dans la forêt de Châteauroux, deux hommes, qui
me l'on, dit-elle, raconté, virent passer sous bois une grande bande
de loups.
Ils en furent très effrayés et montèrent sur un arbre,
d'où ils virent ces animaux s'arrêter à la porte
de la hutte d'un bûcheron.
Ils l'entourèrent en poussant des cris effroyables.
Le bûcheron sortit, leur parla dans une langue inconnue, se promena
au milieu d'eux, puis ils se dispersèrent sans lui faire aucun mal.
Ceci est une histoire de paysan.
Mais deux personnes riches, ayant reçu de l'éducation,
vivant dans le voisinage d'une forêt où elles chassaient souvent,
m'ont jurer sur l'honneur avoir vu, étant ensemble, un vieux garde
forestier de leur connaissance s'arrêter à un carrefour écarté
et faire des gestes bizarres.
Les deux personnes se cachèrent pour l'observer et virent accourir
treize loups, dont un énorme, alla droit au chasseur et lui fit
des caresses;
celui-ci siffla les autres comme on siffle des chiens, et s'enfonça
avec eux dans l'épaisseur des bois.
Les deux témoins de cette scène étrange n'osèrent
pas l'y suivre, aussi surpris qu'effrayés. »
>Ainsi qu'on l'a vu, les meneurs de loups
n'étaient pas toujours des garous, mais des sorciers ou
des gens qui avaient fait un pacte avec le diable et ne subissait aucune
métamorphose. |
Dans le Bas-Maine, les meneurs de loups vivaient au milieu d'une bande qu'ils
dressaient à piller les environs.
Si un passant était suivi par l'un de ces carnassiers, il devait
courir au plus vite à sa demeure, en prenant bien garde de tomber;
une fois arrivé, il fallait donner au loup un chanteau de pain,
pour lui et un pain de douze livres pour son maître.
Quiconque aurait essayé de se soustraire à cette taxe eût
été dévoré dans l'année par le loups.
Dans le pays de Gennes (Ille-et-V.), des individus élevaient
secrètement des bandes de loups, destinés à ravager
les terres et à détruire les troupeaux de ceux qu'on leur désignait.
Ces animaux étaient très fidèles à leur maître
:
pour se venger de quelqu'un, ils n'avaient qu'à les lâcher
sur ses terres, sûrs que dans une nuit tout aurait été
dévasté.
Le diable fréquente aussi les forêts, et on lui attribue
un certain nombre de méfaits.
Un syndic de la Suisse romande, s'étant avisé jadis d'aller couper
du bois à son profit dans les forêts communales, se mit,
sa besogne faite, à vider quelques verres, et, dans une pensée
de fanfaronnade, il porta une santé au diable et à tous
les sorciers des environs.
Aussitôt un bruit épouvantable de voix, de cris et de tonnerre
retentit dans les airs, et il s'enfuit épouvanté.
Vers le commencement du 19ème siècle,
un pauvre domestique qui passait par la forêt de Chassagne
(Doubs) se lamentait sur son malheureux sort, et il disait qu'il se damnerait
volontiers pour avoir sa part de biens de ce monde. |
Une nuit de novembre, un meunier qui traversait la forêt de Ramier, près
de Lectoure, s'endormit sur son cheval qui allait au pas.
Quand il se réveilla, il était prisonnier, serré
de tous côtés par de grands chênes, par des arbres couchés
et des branches mortes, par des ronces et des épines si pressées
qu'un serpent n'eût pu y trouver passage.
Les feuilles sèches tremblaient, les branches se rompaient ou claquaient.
Le meunier comprit alors qu'il était tombé dans une assemblée
de Mauvais Esprits, qui prennent toutes sortes de formes.
Il tira sur la bride, n'éperonna plus sa bête, et attendit le jour
en priant Dieu.
Jusqu'à la pointe de l'aube, il fut tourmenté de mille
façons.
Quand le chant du coq mit les mauvais esprits en fuite, il se trouva,
sans savoir comment, au milieu d'un grand chemin.
Pendant la nuit du 24 juin, Satan présidait dans le Bouie
de los Mascos, en Aveyron, la réunion des fées auxquelles
on attribue des actes de sorcellerie;
il s'asseyait, puis il jouait du violon et faisait danser les
fées jusqu'au jour.
Des sabbats se tenaient dans la nuit qui précédait les
dimanches et les grandes fêtes, surtout celle de Noël, sur un plateau
dans une forêt de châtaigniers au Crau di Bouki, dans la
Suisse romande;
un vieillard disait que, de 1830 à 1840, on y entendait un grand bruit,
mais que l'on osait pas aller voir ce que c'était.
A Hautfays (Luxembourg belge), des sorcières
habillées de blancs se réunissaient autrefois dans le taillis
de Bricheau; |
On raconte, dans les villages de la forêt de Clairvaux (Aube), des récits
de sabbats qui se rapprochent de celui-ci :
un ménétrier qui revient d'une noce se voit tout à
coup, dans un bas-fond du sous-bois, devant un grand feu d'épines qui
projette des flammes fantastiques, près duquel des gens dansent,
boivent, en surplis, en chemise, etc.
On veut lui faire jouer une valse, mais troublé et tremblant, il commence
un Inviolata. (hymne en l'honneur de la Vierge Marie)
Aussitôt il reçoit un grand soufflet, qui l'étend
par terre tout étourdi, et quand il se relève, diables et sorciers
ont disparu;
il ne reste plus qu'un tas de cendres noires et mouillées.
Les loups, qu'ils obéissent à leurs conducteurs experts
en sorcellerie, ou qu'ils soient des hommes subissant une métamorphose
temporaire, tiennent de beaucoup le premier rang parmi les bêtes
légendaires des forêts;
mais on y connaît d'autres animaux, dont les boisiers racontent
les gestes surnaturels ou simplement singuliers.
Suivant une tradition de la Savoie, le diable avait pris, pour ravager la contrée,
la forme d'un énorme sanglier;
Amédée II, le comte Rouge, le poursuivit dans la forêt de
Lones et engagea avec lui une lutte terrible;
son coursier épouvanté se cabra, s'élança au plus
profond des bois et quand il s'abattit, son maître se fit une blessure
dont il mourut.
Le seigneur de Langin fut plus heureux contre un autre sanglier qui dévastait
le pays, mettait les voyageurs en pièces et qui était aussi une
incarnation de Satan.
En Franche-Comté, la légende associe aux forêts des chevaux
fantastiques :
le cheval sans tête du bois de Commenailles venait tantôt
poser sans bruit ses deux pieds sur les épaules des gens;
tantôt il fondait sur eux ventre à terre, les jetait sur
son dos et les emportait par la campagne et par les bois.
Le cheval Trois Pieds, qui se montrait aux environs de Besançon,
n'obéissait que quand on avait pu l'assujettir à un frein;
s'il s'en débarrassait, il filait comme un trait et retrouvait
son allure naturelle au fond des bois.
Le cheval Gauvin suivait chaque soir le ruisseau de Vernois pour se montrer sur la place et disparaître ensuite dans la forêt de Chaux.
On parlait, dans les Ardennes, de la Chèvre d'or, ainsi nommée
parce qu'elle avait sur le front deux cornes en or.
Elle vivait dans les bois d'Auchamps, et les loups même affamés,
la respectaient.
Elle fut prise une nuit par un bricoleur, et depuis les moutons et les
chèvres devinrent la proie des loups.
Une forêt, près des ruines du château
de Montfort (C.-d'Or), est hantée par une biche blanche que les
paysans appellent la baronne;
c'est l'âme de la baronne Amélie de Montfort, qui devint folle
en apprenant la mort de son père et se précipita du haut d'une
des tours du château.
Des oiseaux domestiques se plaisaient à faire endêver
(enrager) les passants ou même à leur nuire.
Un bûcheron de Chaumercenne aperçut un soir un coq superbe
qu'il essaya vainement de prendre, puis de décapiter avec sa hache;
mais le coq semblait le narguer et se fit poursuivre par lui jusqu'à
la pointe du jour.
Une poule et ses poussins picoraient du matin au soir à l'abri
d'un grand chêne dans la forêt de Boulzicourt (Ardennes),
tout proche d'un précipice que dissimulaient des branchages.
Si un passant mal avisé, étranger au pays, voulait s'emparer d'eux,
il les voyait s'enfuir sans qu'il fut possible de les saisir.
Il les poursuivait ainsi jusqu'au précipice, dans lequel il tombait
sans en pouvoir ressortir, car il devenait la proie des fées malfaisantes
qui s'y cachaient.
Il y avait des animaux importuns ou nuisibles
qui ne pouvaient, par suite de circonstances surnaturelles, habiter soit
une forêt toute entière, soit un de ses cantons. |
Un voyageur du 17ème siècle nous a conservé une
curieuse coutume en rapport avec les droits d'usage que possédaient
les gens du voisinage des forêts :
« Dans un petit bois de Béarn nommé Gelot, toutes personnes
des environs peuvent prendre telle quantité de bois qu'il leur plaît,
mais à condition qu'ils entrent dans iceluy (celui-ci) tout nuds
en chemise, y comptent leur bois et en sortent de mesme car autrement
s'ils sont revestus de leurs habits, ils sont confisqués. »
(Voyage de L. Godefroy en Gascogne, Bigorre et Béarn)
Dans sa célèbre description de la forêt de Marseille, Lucain dit que, depuis un temps immémorial, les Gaulois n'osaient en couper les arbres, et les Romains n'y portèrent la hache qu'en tremblant, parce que sans doute ils avaient entendu dire aux gens du voisinage que la hache reviendrait blesser le sacrilège.
On rencontre encore dans la tradition contemporaine des traces
de cette antique croyance.
Ainsi qu'on l'a vu, les fées punissaient ceux qui se permettait
de toucher à leurs arbres favoris.
Dans les forêts de plusieurs pays, il est des arbres qu'il faut bien se
garder de couper, si l'on veut éviter des malheurs.
Un ouvrier qui avait abattu un chêne séculaire
de la forêt de Rennes, près d'une fontaine de Saint-Roux,
éprouva depuis, jusqu'à la fin de ses jours, un tremblement
dans les membres.
Un homme ayant porté la serpe dans le taillis du Buisson Saint-Sauveur
(Seine-Inf.) fut frappé de paralysie.
Vers 1840, un bûcheron, sur l'ordre réitéré de l'administration des forêts, abattit le Chêne Marié, près duquel on échangeait les serments, et l'on assure qu'il en fut puni peu de temps après et qu'il se tua en tombant du haut d'un peuplier qu'il élaguait.
Avant 1830, existait près de Cuse une forêt, aujourd'hui détruite,
dans laquelle depuis des siècles on respectait une douzaine de
chênes énormes que l'on appelait les Chênes Bénits;
on y allait en procession et en pèlerinage, et plusieurs étaient
ornés de croix et de madones;
le jour de Saint-Pierre, on venait aussi danser à leurs pieds.
Vers 1832, l'administration les fit abattre, et les bonnes femmes de
Cuse, qui considérèrent cette mesure comme une impiété,
disaient tristement :
« On a coupé nos chênes bénits, nous allons avoir
de mauvaises récoltes. »
Et les vieilles femmes prétendent que depuis on n'a pas eu d'aussi
abondantes moissons ni d'aussi belles vendanges qu'auparavant.
On rencontre encore dans les forêts de France des vestiges
du culte des arbres;
d'ordinaire ce sont eux et non le massif lui-même qui en sont l'objet;
plus nombreux encore sont les arbres isolés dans les campagnes
près desquels se passent des observances variées.
Les forêts sont, dans les contes populaires français, l'un des théâtres les plus habituels des aventures merveilleuses ou terribles.
Plusieurs récits placent sous le « couvert » la résidence
de personnages redoutés qui, souvent, sont anthropophages :
de même que le classique Petit Poucet, ses congénères
rustiques y sont exposés à la voracité des ogres
friands de chair fraîche.
En Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-du-Nord, il faut ajouter aux anthropophages
sylvestres les sarrasins, dont le nom y est synonyme d'ogre.
Le Tartaro ou Tartare des récits basques, haut de taille,
velu de tout le corps et pourvu d'un seul il au milieu du
front, enlève pour les dévorer les petits enfants qui s'aventurent
dans la forêt ou les personnes égarées qui viennent
lui demander l'hospitalité;
mais quelquefois elles réussissent à le rendre aveugle
par des procédés qui rappellent ceux que l'ingénieux Ulysse emploie pour échapper au cyclope.
Le Basa-Jaun ou seigneur sauvage a parfois le même aspect
physique et ses aventures sont sensiblement pareilles.
Dans une version alsacienne du Petit Poucet, une vieille sorcière qui habite dans le bois une maisonnette de pâte, dont le toit est couvert d'omelette, y attire les petits enfants pour les manger.
L'épisode des enfants conduits au milieu des bois, et volontairement
perdus par leurs parents, figure dans la plupart des versions qui rappellent
le thème du Petit Poucet;
quelquefois c'est une jeune fille que l'on y égare parce qu'elle est
plus belle que sa sur, ou parce que sa marâtre est jalouse
de sa beauté.
Cet abandon est aussi fait, comme dans la légende de Geneviève
de Brabant (voir page
25 n° 498, texte et musique), par des gens qui, chargés
de tuer une fille ou une femme et de rapporter son cur, y substituent
celui d'un animal.
Parfois les chercheurs d'aventures arrivent à un château
situé au milieu d'une épaisse forêt, et qui, bien que n'étant
pas en ruines, semble inhabité;
à certaines heures il reçoit la visite d'un nain d'une
force prodigieuse, dont ils ont beaucoup de mal à venir à bout;
des châteaux, où tout semble préparé pour un repas,
quoiqu'on y voit personne, sont hantés à minuit par des
diables gardiens d'une princesse métamorphosée.
Un château dangereux est signalé de loin
par une éblouissante clarté au milieu des arbres;
aucun de ceux qui y sont allés n'en est revenu, parce qu'une vieille
qui en a la garde les a changé en statues.
(F.-M. Luzel, Contes bretons)
Dans une version basque, il n'est visible que la nuit,
et quand vient le jour, il est remplacé par une caverne où se
tient un dragon.
Le taureau bleu, qui transporte une jeune fille persécutée
par sa belle-mère, lui recommande de ne pas toucher aux feuilles
de trois bois qu'ils doivent traverser;
ceux du premier sont en cuivre, ceux du second en argent et ceux
du troisième en or, et elles rendent un son qui réveille
des bêtes féroces ou venimeuses.
En Basse-Bretagne la forêt est une des résidences habituelles
des ermites qui y font pénitence dans une cabane tout à
fait primitive, mais sont doués d'une grande puissance et présentent
diverses particularités surnaturelles.
Cette donnée a été aussi relevée en Berry.
Le souvenir des voleurs, qui ont en effet eu souvent
leur repaire dans les endroits les plus cachés des grands bois,
est resté dans la tradition populaire;
mais d'ordinaire, leurs aventures ne sont pas merveilleuses;
ils y habitent une maison ou un château abandonné, et ceux
qui viennent leur demander l'hospitalité sont égorgés
par eux, si par ruse, ils ne parviennent à leur échapper;
cependant, par exception, ils se montrent compatissants à l'égard
de pauvres gens.
Plusieurs personnages enchantés sous forme animale subissent leur pénitence dans les forêts, comme la « biche au bois » d'un conte littéraire du 17ème siècle, la biche blanche des récits contemporains, le lièvre argenté, un lion, des personnages métamorphosés en cerfs, etc.
La forêt sert aussi de lieu de réunion
à des êtres surnaturels, à des sorciers sous la forme humaine
ou celle de fauves;
ils se tiennent sur les branches d'un arbre touffu ou près d'un
énorme tronc, et se racontent ce qui leur est arrivé depuis
leur dernière conférence, qui parfois n'a lieu que tous les ans;
un voyageur égaré ou un pauvre aveugle abandonné les écoute
sans être aperçu d'eux, et fait son profit des secrets
qu'il a surpris.
C'est aussi dans les forêts que des personnages divers, qui cependant
paraissent être des lutins ou des diables, répètent,
croyant être seuls, le nom bizarre que doivent se rappeler ceux
auxquels ils ont rendu service en stipulant qu'ils lui appartiendront
s'ils n'y parviennent pas.
(E. Cosquin, Contes de Lorraine)
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