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Le peuple ne cherche guère à expliquer par des légendes
la formation des grands massifs, et ils lui semblent remonter aux temps lointains
de la création générale.
Cependant on raconte dans le Luxembourg belge que des géants,
qui autrefois habitaient les entrailles du globe, se battirent avec tant
de fureur que, sous leurs efforts répétés, la croûte
terrestre se souleva en certains endroits :
les montagnes sont le résultats de ces boursouflures.
Des traditions plus répandues attribuent l'origine de certains sommets
remarquables à d'autres géants qui vécurent à ciel
ouvert :
lorsque Gargantua creusait le lac de Genève, il avait soin d'entasser
les mottes et les rochers sur un point spécial de la rive gauche.
Ceux qui voyaient l'amas augmenter à vue d'il criaient de temps
à autre :
« Eh ! ça lève ! »
et c'est cette exclamation qui aurait donné le nom de Salève à
cette belle montagne constituée par les débris accumulés
par le géant.
En Bretagne, le géant Hok-Braz construisit en s'amusant la chaîne
d'Arhez, depuis Saint-Cadou jusqu'à Berrien, et il y planta même
le mont Saint-Michel de Braspartz.
Le diable lui-même joue le même rôle que Gargantua
dans une légende valaisanne :
un jour qu'il avait enlevé la cloche de Sion, il l'emporta dans
une hotte;
arrivé au sommet du Mont-Joux, elle était si lourde, que le diable,
hotte et cloche roulèrent sur la pente, et ne s'arrêtèrent
qu'aux environs de Montigny, pour former le mont Catagne qui, vu des bords du
Léman, présente assez la forme d'une hotte renversée.
En Savoie, un passage près des Grands-Plans a été fait par Gargantua qui enleva à cet endroit un énorme rocher que l'on voit sur une montagne voisine.
Un géant entreprit autrefois de délivrer le Dauphiné d'un
loup terrible;
mais lorsqu'il le vit s'avancer vers lui, la gueule sanglante et montrant ses
crocs, il eut peur;
au lieu de le frapper de son épée, il en donna un coup sur le
flanc de la montagne, et s'ouvrit une brèche derrière laquelle
il se blottit.
On la voit, non loin de Sassenage, et elle s'appelle le Saut du Loup.
C'est aussi vraisemblablement un géant discobole qui figurait
autrefois dans la légende corse du Mont Tafonato (Mont
Troué) comme celle de la Norvège où les Jutuls accomplissent
le même exploit.
Cette montagne est percée d'un trou que l'on distingue assez bien
au soleil levant;
le diable l'a fait en lançant son marteau, furieux de n'avoir pu réparer
la charrue qu'il avait brisée contre un rocher, pendant qu'il écoutait
les railleries de saint Martin.
D'après une autre version, quand il labourait avec ses
bufs sur le plateau supérieur de Campotile, il eut une dispute
avec le saint, qui lui reprocha de ne pas savoir tracer un sillon.
Le diable soutint le contraire, et prétendit qu'il allait en creuser
un si droit que saint Martin lui-même ne trouverait rien à y redire.
Il se mit à l'uvre, mais comme ses bufs n'allaient pas bien,
il les piqua avec sa fourche.
Dans le mouvement qu'ils firent, le soc heurta contre un rocher et se
brisa.
Pris de colère, il le lança dans les airs avec une telle force
qu'il alla frapper le Mont Tafonato, y perça l'ouverture que l'on voit
encore maintenant et retomba dans la mer du côté de Filosorma.
Certains aspects des montagnes où les jeux de l'ombre et de la
lumière dessinent des espèces de figures, que l'imagination
complète aisément, ont éveillé un peu partout l'idée
de représentation de personnages gigantesques et de héros très
connus.
En Dauphiné, des profils de montagnes paraissent de loin ressembler à
un géant étendu et dormant :
pour les paysans, c'est Gargantua qui se repose après avoir mangé
des animaux entiers.
Une illusion d'optique analogue a donné naissance à l'opinion
d'après laquelle le Mont-Blanc reproduit, vu sous un certain angle,
la figure de Napoléon.
Voici comment Topffer décrit l'une d'elles :
« De Morney au Mont Salève, la tête de Napoléon parait
exactement formée, comme aussi Morillon ou de Pregny, mais de plus la
disposition des montagnes est telle qu'il y a comme l'apparence d'un corps étendu.
La ressemblance tient particulièrement au chapeau qui est très
exactement dessiné, et qui est à lui seul un signe suffisant pour
rappeler l'Empereur. »
Le nom de Sposata a été donné à une des
montagnes des environs de Vico.
Les gens du pays trouvent qu'elle ressemble à une femme ayant
son enfant à côté d'elle.
Ils racontent qu'une jeune paysanne étant allée au bois et s'étant
mise à jurer contre ses fagots, Dieu pour la punir enfonça
ses pieds dans la terre, dessécha sa peau et ses chairs, grandit jusqu'au
ciel la partie osseuse de sa personne et en fit une femme de pierre.
Un rocher dans la chaîne des monts de Sassenage, dont le sommet est composé
de trois éminences en forme de dents canines, est aussi connu
sous le nom de Dent de Gargantua;
on appelle aussi Dent de Gargantua le pic de Chamechauve, dans le massif de
la Chartreuse, qui vu d'un certain côté, paraît être
une gigantesque molaire, et l'on raconte que c'est une grosse dent qui
faisait souffrir le géant et qu'il extirpa lui-même.
Suivant des légendes populaires dans toute la Suisse, les montagnes
aujourd'hui les plus désolées furent jadis d'une fertilité
exceptionnelle.
On disait dans la partie romande qu'au temps de cet âge d'or les vaches
étaient d'une grosseur monstrueuse :
elles avaient une telle abondance de lait qu'il fallait les traire dans des
étangs qui en étaient bientôt remplis.
C'était en bateau qu'on allait lever la crème sur les vastes
bassins.
Un coup de vent fit chavirer la nacelle d'un berger qui faisait son ouvrage
et il se noya.
Les jeunes gens de la vallée cherchèrent longtemps son corps;
il ne se trouva que quelques jours après en battant le beurre
au milieu des flots d'une crème écumante qui se gonflait dans
une baratte haute comme une tour, et on l'ensevelit dans une large caverne
que les abeilles avaient remplie de rayons de miel grands comme des portes de
ville.
A cette description du doyen Bridel, qui ne se piquait pas d'une exactitude
rigoureuse, on ajoute que la prospérité des montagnards était
si grande qu'il leur arrivait de prendre des mottes de beurre en guise de boules
pour leurs jeux de quilles, et qu'il jouaient au palet avec des fromages;
les fruits eux-mêmes avaient des proportions gigantesques, si bien que
pour couper la queue des poires on était obligé d'employer la
scie.
Cette période fabuleuse prit fin à la suite de diverses circonstances
surnaturelles.
Les paysans de Fourcha disent que lorsque le Juif-Errant,
chassé de Jérusalem, dut se choisir un itinéraire, il voyagea
particulièrement d'Italie en France.
La première fois qu'il franchit les Alpes, il trouva leur sommet couvert
de moissons.
Dieu, voyant la route qu'il avait prise, changea les champs cultivés
en forêts de sapins; puis, comme en dépit de cette transformation,
l'éternel voyageur reprenait toujours le même chemin, parce qu'il
lui plaisait, il recouvrit les sapins d'un glacier :
« Ah ! dit le Juif, la neige et la glace fondront, je repasserai
l'an prochain. »
Mais Dieu l'entendit et dit :
« Rien ne fondra, jusqu'au jour du jugement dernier la neige restera.
»
Voilà pourquoi le Juif Errant ne voyage plus d'Italie en France.
Le glacier qui couvre le versant N.-O. de l'aiguille de Charbonnel,
la plus haute cime de la Maurienne, s'est formé à la suite
d'une malédiction.
Ce lieu s'appelait autrefois la montagne de Blanche-Fleur, et l'on y
voyait des chalets avec des vaches, des chèvres et des moutons;
l'un d'eux était gardé par une femme de Vincendières; elle
le quitta un matin pour assister à la fête de sainte Marie-Madeleine;
elle passa la journée à danser, et quand le soir, en, revenant
à la maison, elle vit ses bêtes malades, elle maudit la
montagne en disant :
« Herbe, herbette, tu fais crever mes bêtes; le glacier reviendra
ici, et jamais l'herbe n'y reverdira. »
Les éboulements qui ont modifié l'aspect de certaines
parties des Alpes ont été provoqués par la dureté
de leurs habitants.
Le 4 mars 1585, la montagne qui domine le cirque de Luan se mit en mouvement;
dans une glissade colossale de pierres et de boue, elle recouvrit le village
de Corbeyrier, et se précipita vers la plaine en engloutissant le beau
village d'Yvorne.
Quelques jours avant la catastrophe, une femme avait été
vue dans la contrée, allant de maison en maison pour trouver un gîte
et un peu de nourriture;
elle finit par être accueillie par une famille qu'elle eut soin
d'avertir de la ruine qui allait fondre sur le village.
Le bourg florissant de Thora, situé dans la vallée d'Aoste, où
l'on parle français, fut détruit en 1564, par la chute
de la montagne de Becca-France, à la suite d'un tremblement
de terre.
La veille, un pauvre homme alla, de porte en porte, demander du pain et un asile
pour la nuit.
Repoussé de partout, il se présenta à l'entrée
d'une misérable chaumière, habitée par une pauvre veuve.
Celle-ci lui offrit de se reposer chez elle, mais s'excusa de ne pouvoir lui
donner du pain, le dernier morceau venant d'être mangé par
elle et par ses enfants.
Le mendiant remercia la veuve, lui dit de monter à son grenier
et qu'elle y trouverait du pain en abondance.
Elle obéit et en descendit plusieurs miches.
Lorsque le repas fut terminé, il dit à la veuve :
« Demain, à pareille heure, Thora sera détruit. Avant
que le jour arrive, prenez vos enfants, sortez du village et mettez-vous en
lieu sûr. »
Ces paroles achevées, le vieillard mystérieux disparut, et la
veuve et ses enfants, ayant suivi son conseil furent épargnés.
En Savoie, le sommet de la montagne Granier glissa et détruisit
la ville de Saint-André et seize villages environnants, pour punir
Bonnivard, auquel le pape, pour avoir son aide dans une guerre, avait donné
le prieuré de Saint-André (1240).
Lors du désastre, des blocs de rochers vinrent s'arrêter aux pieds
des moines, et l'on entendit le diable crier à ses démons :
« Poussez les pierres plus loin » ;
et ils répondaient :
« La Dame Noire de Myans nous le défend. »
(lien
sur cette catastrophe)
Des fées ou des lutins avaient aussi, pour diverses causes,
enseveli des endroits fertiles et verdoyants sous des amas de rochers.
La Perrausaz ou la Pierreuse, maintenant couvertes d'éboulis, fut autrefois
un des plus beaux pâturages de la contrée, ainsi que l'indiquait
son nom primitif de la Verda.
Il était d'usage de mettre de côté un petit baquet de lait
que les fées venaient boire;
mais elles n'aimaient pas à être épiées, et l'on
disait qu'il arriverait malheur à celui qui, prenant le sentier des fées,
aurait osé aller jusqu'à leur grotte.
Un jour, un jeune garçon voulut les contraindre à lui révéler
la place de la mine d'or de Rably;
quand à l'entrée, il alluma une torche, il vit passer deux formes
sombres et voilées qui lui firent signe de s'éloigner.
A peine eut-il commencé à prononcer sa formule magique que la
montagne se mit à trembler jusque dans ses fondements, un bruit
terrible retentit, des éclairs sillonnèrent le ciel.
Bientôt une des aiguilles, celle où habitaient les fées,
oscilla sur sa base et se précipita avec fracas sur les prés verdoyants.
Le beau pâturage de la Verda avait disparu; à sa place était
entassés des débris sans nombre, des roches immenses.
Un très joli lac, le lac Vert, existait jadis où l'on
voit sur le Mont-blanc, après avoir dépassé Passy, une
plaine assez vaste, mais bouleversée, dénudée et parsemée
de gros blocs aux sinistres reflets.
Ses eaux tranquilles et transparentes étaient témoins des ébats
de jeunes fées qui habitaient ses bords fleuris.
Mais des esprits méchants, qui demeuraient dans les cavernes de la montagne,
passaient leur temps à épier les fées.
Furieux de voir toutes leurs avances inutiles, ils résolurent de se venger.
Dirigeant le Nant Noir dans le lac, ils inondèrent les pelouses;
ils ébranlèrent la montagne qui s'abîma à son tour.
Tout fut enseveli sous cet amas de décombres, et ce lieu, jadis si riant,
devint tel qu'on le voit aujourd'hui.
Quelquefois des gens sont préservés miraculeusement du
désastre qui détruit tout le voisinage.
Auprès du village de Bonnevaux, un colossal quartier de roche, détaché
de sa base, roula du haut de la montagne et se précipita dans la vallée
:
un laboureur était en ce moment assoupi avec un jeune enfant sur
le bord de la route.
Ni l'un ni l'autre n'entendit le bruit effroyable que produisit le choc de cette
masse de pierre, et le roc, lancé comme la foudre, s'arrêta
subitement près d'eux.
On a placé dans ce rocher une statue de la Vierge en souvenir de cet
événement.
Dans les Alpes vaudoises, un berger qui, lors d'un éboulement, était à prier dans son chalet, n'eut aucun mal grâce à deux roches qui formèrent au-dessus de lui une sorte de voûte.
Plusieurs des êtres surnaturels qui ont leur résidence
sur les montagnes ne sont pas bienveillants :
aussi ils n'aiment pas que l'on raconte leurs gestes.
C'est pour cela qu'il est difficile d'avoir des renseignements sur eux.
Les guides se méfient des questionneurs, et sont très discrets
sur les faits et gestes des génies, parce qu'ils ont peur de les irriter
par des indiscrétions.
Sur le pic d'Anthie est un esprit mélancolique, solitaire et
inhospitalier; sa taille dépasse celle du plus haut sapin;
son jardin qu'il cultive avec soin, et dont il écarte la neige
et les frimas, est situé sur le haut du pic.
Là croissent des végétaux dont le suc a des puissances
surnaturelles;
la liqueur qui en provient décuple les forces des hommes, quelques gouttes
suffisent pour éloigner les démons gardiens des trésors
que renferment les caveaux et les vieux châteaux.
Si des étrangers voulaient les cueillir ou visiter la demeure du génie,
celui-ci susciterait aussitôt d'effroyables tempêtes.
Les habitants de la vallée d'Aspe redoutent encore les terribles
effets de la colère de ce dieu du mont escarpé.
Un vieux pâtre des Ormonts, que Bridel trouva dans un chalet voisin
du glacier de Pillon, lui raconta l'histoire suivante :
un jeune berger quittait souvent les troupeaux de son père, pour aller
à la chasse au chamois sur les pointes nébuleuses des Alpes
voisines;
en vain ses parents le lui avaient défendu; il se livrait avec passion
à ce dangereux plaisir.
Un soir qu'il était au milieu des plus horribles précipices,
il fut surpris par une violente tempête;
la neige et la grêle lui firent perdre sa route et il s'étendit
sur un rocher, pris de peur, de fatigue, de froid et de faim.
Tout à coup l'esprit de la montagne s'approcha de lui dans un
tourbillon, et lui cria d'une voix menaçante :
« Téméraire ! qui t'a permis de venir tuer les troupeaux
qui m'appartiennent ?
Je ne vais pas chasser les vaches de ton père : pourquoi viens-tu
chasser mes chamois ?
Je veux bien te pardonner encore cette fois; mais n'y reviens pas. »
Alors il fit cesser l'ouragan, il remit le chasseur dans le sentier de
son chalet, et dès ce jour le jeune berger ne quitta plus son troupeau.
Les fées alpestres paraissaient aussi jalouses de leurs plantes
:
un jeune homme avait escaladé un rocher qui surplombe un abîme,
pour cueillir des fleurs aux clochettes blanches, lorsqu'il se trouva
subitement en face d'une belle jeune femme vêtue d'une robe de neige et
couronnée d'un feuillage de sapin.
« Ne touche pas à ces fleurs, lui dit-elle, elles sont à
Dieu; Dieu seul peut les cueillir. »
Méprisant cet avis, le jeune homme cueillit un bouquet de fleurs blanches.
Le ciel s'assombrit aussitôt, il lui sembla que le sol se dérobait
sous ses pas, et, meurtri, ensanglanté, il roula dans l'abîme.
C'est depuis ce temps que la rose des Alpes est rouge comme le sang dont
elle est née.
L'homme sauvage des Pyrénées habite les abîmes des
montagnes et les forêts;
son corps est couvert de longs cheveux soyeux; il tient à la main
un bâton et court plus vite que les isards.
Il se nourrit de racines et dérobe le lait aux pasteurs qui l'appellent
le Bassa Jaon.
C'est lui qui crie dans les montagnes à l'approche des tempêtes,
pour avertir les pâtres : « Arretiret, bacquié. »
Les paysans des Landes disent que l'homme noir paraît sur les
sommets pyrénéens, lorsque la grêle et les orages enlèvent
les moissons; les grêlons semblent tomber de sa main.
Ce rôle de tempestaire est plus nettement attribué à
un génie infernal que les bergers ont souvent vu, sur le pic du Nethou,
appeler les tempêtes et jeter sur la plaine les ouragans, les foudres,
des torrents de pluie ou de grêle.
Cette montagne, d'après eux, n'a jamais pu être gravie par
personne.
D'autres hauteurs de la même région ne peuvent être atteintes
qu'avec l'aide des esprits.
On disait dans le pays de Barèges, à la fin du 18ème siècle,
qu'un seul homme était parvenu à la cime du Mont
Perdu, et encore, avec l'aide de Satan, qui l'y avait mené par
dix sept degrés, et qui l'avait ensuite jeté de haut en bas, après
lui avoir volé son âme.
Les passages difficiles, où un étroit sentier surplombe
de profondes crevasses dans lesquelles bien des voyageurs ont trouvé
la mort, sont hantés par des êtres méchants qui se
font un malin plaisir de troubler ceux qui osent s'aventurer sur leur domaine,
et de les forcer à se précipiter dans le vide.
Suivant la croyance des montagnards dauphinois, il y a dans tous les abîmes
des esprits invisibles qui tiennent leurs regards fixés
sur ceux des passants, afin de les fasciner et de les entraîner dans leur
demeure humide.
Dans les Pyrénées, chacun des rochers dangereux des gouffres est
sous l'invocation d'une fée malfaisante appelée la fée
des Vertiges.
Ces sirènes, aux regards de flamme, aux provocations ardentes, fascinent
le voyageur imprudent qui ose contempler leur sauvage beauté.
Eperdu, le cur serré d'effroi, il sent bien tout à coup
un pressentiment de malheur prochain courir dans ses veines avec le frisson.
Mais il n'est plus temps, il paie de sa vie les imprudences de sa curiosité
et l'on entend les rires d'une joie satanique se mêler aux rumeurs
du vent.
Dans l'Ain, on donne le nom de Pierrettes à des esprits féminins qui font rouler des morceaux de roc sur ceux qui passent dans la gorge des Hôpitaux, dominée par de hauts rochers.
De même que la plupart des fées à résidence locale,
celles qui, suivant des traditions assez répandues, ont vécu sur
les montagnes jusqu'à une époque récente, en étaient
en quelque sorte les génies bienfaisants.
Vers le milieu du siècle dernier, des personnes âgées prétendaient
que leurs grand-pères les avaient vues, et qu'ils les dépeignaient
comme des créatures à la fois gracieuses et bienveillantes.
On croyait même, il y a moins de cent ans, que certaines n'avaient pas
abandonné les cimes et les hautes vallées de la région
pyrénéenne :
vêtues de blanc, couronnées de fleurs, elles habitent encore
le sommet du mont de Cagire;
elles y font naître les plantes salutaires qui soulagent nos maux.
On les entend, la nuit, chanter d'une voix douce et plaintive, à
Saint-Bertrand, au bord de la fontaine qui porte leur nom.
Quelquefois elles entrent dans l'intérieur du pic de Bergons,
et transforment en fil soyeux, en vêtements de prix, le lin grossier que
l'on dépose à l'entrée de leur grotte solitaire.
Celui qui veut des richesses doit s'adresser à la fée d'Escout.
Là, sous un chêne millénaire, s'ouvre un antre profond,
et le vase déposé près de cet impénétrable
asile est rempli de métaux précieux par cette fée puissante;
mais il faut que la demande soit faite en termes qui lui plaisent, et si l'on
a deviné cette forme de langage, le succès est certain.
Des fées demeuraient dans un palais de cristal construit sur
la colline du Taich, dans l'Aude.
Les fées des Alpes vaudoises, dont on ne parle plus guère qu'au
passé, et qui s'appelaient Faïes, Fatas, Fadhas, avaient
surtout choisi pour séjour les sites silencieux et écartés,
les excavations moussues des rochers, les lieux élevés, les cavernes
ou barma.
C'est là qu'elles avaient, bien au-dessus de la demeure des hommes,
leurs plans ou petits plateaux verdoyants, leurs scex (rochers),
leurs tannes (grottes), leurs clairs ruisseaux et leurs « reposoirs
».
Plutôt bonnes que méchantes, elles présidaient au printemps,
veillaient à la protection des pâturages et intervenaient dans
les actes importants de la vie des bergers.
Elles ne dédaignaient pas de s'unir à eux, non sans leur
avoir fait subir de malicieuses épreuves, et le mariage contracté,
elles les emmenaient dans leurs grottes où elles leur communiquaient
les mystères de la nature et le secrets des arts magiques.
Le lien conjugal se rompait fort souvent et quelquefois tout à
coup, soit du côté de l'épouse par le fait d'une fierté
on d'une susceptibilité exagérées, soit, chez l'époux,
en raison d'un manque de délicatesse ou de bons procédés;
souvent la condition consistait à ne pas se servir, à l'égard
de la fée, de paroles rudes ou malsonnantes.
Voici le résumé d'une légende qui montre comment
ces unions étaient heureuses jusqu'au moment où le mari
manquait à sa promesse.
Elle est populaire dans plusieurs villages du Bas-Valais.
Sur les pentes des montagnes, il y avait, dans le vieux temps, de nombreuses
fées bienfaisantes et douces qui rendaient service aux hommes.
Un jeune homme de Clebe, devenu amoureux de l'une d'elles, la rencontra au printemps
et lui demanda de l'épouser.
La fée, après quelques résistance, y consentit, à
la condition qu'il jurerait que, quoi qu'il put arriver après le mariage,
il n'élèverait jamais la voix sur elle, et que surtout il ne prononcerait
jamais cette phrase :
« Tu es une mauvaise fée. »
Lorsqu'il eut juré, ils se marièrent à l'église,
et ils eurent de beaux enfants.
Un jour, pendant que le mari était sorti, la fée, prévoyant
une grêle terrible, moissonna son blé encore vert,
et, à l'aide de toutes les fées des montagnes, elle le
rentra dans la grange.
A peine ce travail était-il achevé qu'une grêle épouvantable
ravagea tout le pays.
Le mari étant rentré, au lieu de remercier sa femme, lui
dit :
« Qu'ai-je donc fait d'épouser une mauvaise fée ! »
Il n'avait pas fini de prononcer ces mots qu'il vit sa femme disparaître
en faisant un bruit pareil à celui d'un serpent qui glisse parmi
les pierres.
L'homme, en arrivant à la grange, vit des épis les plus beaux
du monde.
En rentrant le soir, il trouva le souper servi, et ses enfants lui dirent que
leur mère l'avait préparé, et qu'elle désirait qu'il
rétracte ses paroles.
L'homme s'y refusa d'abord, puis il consentit.
La fée dit à l'aînée des fillettes qu'elle reviendrait,
à la condition que son père embrasserait ce qui se présenterait
à ses yeux derrière la porte de la cuisine.
Il entendit sortir des dalles le même bruissement qu'il avait ouï
lors de la disparition de la fée.
Il vit un serpent qui s'enroula autour de son corps jusqu'à ce
que sa tête fût à la hauteur de la sienne.
Il rejeta la bête vigoureusement sur le sol, et vit apparaître
sa femme qui lui reprocha sa faiblesse et lui dit qu'elle allait retourner chez
ses compagnes.
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