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Les fées des montagnes et des collines, comme celles de la plaine
des bois, prenaient plaisir à former des rondes.
On disait autrefois en Dauphiné que les linges blancs que l'on
apercevait de loin sur le plateau de la Montagne Inaccessible étaient
les robes enchantées d'une troupe de fées qui, la nuit,
dansaient sur l'herbe.
Dans les Alpes vaudoises, et principalement sur le territoire des Ormonts, les pâtres voyaient les bonnes dames faire des rondes, et parfois ils les surprenaient endormies à l'ombre des sapins.
Des fées venaient dans les anciens temps danser au clair de lune, pendant les belles nuits d'été, sur la vaste étendue de pâturages qui couronnent la haute montagne de Hohneck.
En Gascogne, les fées Blanquettes dansaient à minuit
sur le sommet des collines;
dans l'Aude, le plateau Donnezan est appelé la Danse des fées,
ce qui suppose une légende.
On voyait souvent sur une colline, près de Ruffach, des dames blanches dansant autour d'un feu.
Une petite légende de la Loire-inf. montre qu'il était dangereux
de troubler leurs divertissements.
Sur le tertre de Rohouan qui domine le village d'Avressac, des fées bienfaisantes
se réunissaient pour former des rondes, au clair de lune;
mais les chants qui réglaient leurs pas troublaient le sommeil
des habitants, qui allèrent détruire leurs maisons de pierre;
ils en furent punis, car une famine survint aussitôt dans le pays,
et elle dura de longues années.
A Guernesey, les fées du Creux des Fées sortaient de ce dolmen,
la nuit de la pleine lune, pour danser sur le Mont-Saint jusqu'au moment où
paraissait le jour.
Cette croyance n'est pas encore éteinte; lorsqu'en 1896 une dame
de l'île voulut bâtir une maison sur cette hauteur, les paysans
des environs lui dirent que c'était un lieu dangereux, et qu'il
était imprudent de chasser le peuple des fées des endroits où
il s'assemblait pour danser.
Quelquefois ces danseuses contraignaient les passants à prendre
part à leurs ébats;
mais presque toujours on les considérait alors comme des fées
dégénérées ou des sorcières.
Il y a cent ans environ, un homme qui passait près du Suc vit trois
demoiselles assises, jasant et caquetant.
Il s'en retournait en grande hâte, invoquant son patron, lorsque les fées,
l'ayant aperçu, le forcèrent à danser avec elles
jusqu'au jour.
Le pic du Puy-Chamaroux à Mongreleix est habité par des fades qui appellent les jeunes gens pendant la nuit et les font danser follement jusqu'à ce qu'ils meurent.
Dans cette même région du Cantal, des fées venaient former
leur ronde sur la montagne auprès du lac des fées;
une légende romantique raconte qu'un garçon, qui passait par là
un samedi, fut aperçu par elles et dut entrer dans le tourbillon
magique;
épuisé de fatigue, il tomba presque anéanti sur
le sol, pendant que la ronde continuait.
A minuit, la lune se voila davantage, et en cet instant, ces belles filles se
métamorphosèrent et il ne vit plus que des squelettes
hideux dont la tête creuse lançait des flammes par ses ouvertures.
Le corps fétide d'un enfant mort sans baptême fut apporté,
et la troupe allait se livrer à un festin épouvantable,
lorsque l'homme se signa en se recommandant au grand saint Geraud : aussitôt
un désordre se manifeste parmi la bande infernale.
Celle des fées qui lui avait paru la plus séduisante s'approche,
exhale sur sa tête un souffle enflammé, le feu calcine ses cheveux
et une main brûlante imprime sur sa joue un stigmate aux reflets
sanglants.
L'homme avait perdu connaissance, il ne put voir la fin de cette vision satanique
: quand il se réveilla, la colline avait repris son aspect accoutumé,
mais il conserva ses plaies.
Actuellement les fées et leurs congénères se montrent
rarement sur les montagnes;
quelques légendes racontent à la suite de quelles circonstances
elles les ont abandonnées.
Les Lamignac ont disparu de la partie basque des Pyrénées depuis
que Roland les écrasa à coup de pierres un jour qu'ils
faisaient bombance avec les vaches qu'ils lui avaient volées.
Les fées des Alpes vaudoises quittèrent le pays parce qu'on leur
manquait d'égards.
Un berger, marié à l'une d'elles, l'ayant menacée
de la frapper avec son bâton, elle s'enfuit de la maison pour se
rendre avec ses compagnes dans une autre région.
La jolie fée de Tannes de Javerne, qui s'était mariée avec un homme à la condition qu'il ne prononcerait jamais devant elle trois mots interdits, l'abandonna quand il eut manqué à sa parole.
Plusieurs légendes des Ormonts et des vallées voisines disent que les fayes s'en allèrent lorsque les bergers eurent souillé la source où elles faisaient leur toilette, ou le baquet de crème que, suivant un antique usage, on mettait de côté pour elles.
Les lutins des montagnes, dont on ne parle plus guère qu'au passé,
étaient jadis fort nombreux, et s'ils se permettaient quelques
espiègleries, elles étaient rarement méchantes.
Beaucoup de récits, qui ne diffèrent que par des détails,
parlent de la bienveillance de ceux qui vivaient dans le voisinage des
chalets ou des pâturages;
mais ils représentent ces petits êtres comme très susceptibles
et qui se plaisent à exercer leur vengeance sur ceux qui osent leur manquer
d'égards.
Les « servants » des Alpes et des Pyrénées, qui étaient
des esprits amis du foyer, pénétraient dans les maisons
pendant l'absence des montagnards et leur rendaient une foule de menus services.
En Alsace, on racontait ainsi leurs gestes, vers le milieu du 19ème
siècle.
Dès que le dernier pâtre a quitté la montagne de
Kerbholz, qui domine la vallée de Munster, les nains avec leurs magnifique
bétail et, munis de tous les ustensiles nécessaires à la
confection du beurre et du fromage, s'installent dans les chalets abandonnés
et y travaillent nuit et jour.
Puis, au fort de l'hiver, ils descendent dans la vallée et passent inaperçus
dans les cabanes des pauvres pour y déposer des pelotes de beurre
le plus délicieux, des miches du fromage le plus aromatique.
Dans les Alpes vaudoises, des lutins ou servants protégeaient
aussi les chalets et les gardaient des voleurs;
ils rendaient maints services aux pâtres; ils menaient les vaches
au champ et jamais elles ne se décrochaient.
Le premier qui conduisait le troupeau disait :
« Pommette, Balette ! passe par où je passe, tu ne tomberas
pas des rochers. »
Elles broutaient l'herbe jusque sur les sommets les plus élevés.
Lorsque les fouletots des Alpes jurassiennes voyaient la bergère
endormie, ils attiraient au fond des bois la plus belle des vaches;
puis, après la lui avoir fait chercher longtemps, la lui ramenaient
rassasiée de nourriture, et le pis gonflé.
Les servants n'étaient pas difficiles à contenter, mais
ils tenaient à la petite rémunération traditionnelle
qu'on leur accordait pour leurs bons offices;
dans les montagnes du pays de Vaud, il était d'usage de leur donner la
première levée de la meilleure crème du soir ou
du matin.
Un jour, sur les bords du petit lac Lioson, le maître vacher avait quitté
le chalet après avoir bien recommandé de ne pas oublier
la part du servant.
Pendant son absence, un jeune pâtre ne la mit pas de côté,
pour voir ce qui arriverait.
La nuit qui suivit le retour du vacher, un ouragan s'élève,
pendant lequel il entend une voix qui lui crie :
« Pierre, lève-toi, lève-toi pour écorcher ! »
Au matin, lui et les vachers vont à la recherche du troupeau qu'ils
retrouvent broyé au fond d'un abîme :
le servant s'était vengé.
De même que les fées, ces petits génies détestaient la malpropreté et ils quittèrent le pays le jour où des gens mal avisés salirent le lait placé pour eux sur le toit dans un baquet.
Il y avait aussi des lutins qui n'étaient pas d'une bonne nature :
à la montagne de Coucu, l'esprit follet faisait dégringoler
sur les pieds des passants d'énormes cailloux et l'on entendait
comme l'écroulement d'un vieux mur.
Le follet des Pyrénées grimpait sur le dos des chevaux dans les pâturages, les faisait bondir à travers les rochers et les blessait avec une lance invisible.
Les géants, que la légende représente comme ayant
contribué à la formation de montagnes secondaires, se plaisaient
autrefois à s'y promener.
Pendant l'âge d'or des Alpes, Gargantua passait par enjambées
énormes au-dessus des champs et des bois;
quand il s'asseyait sur une chaîne de montagnes ou de collines séparant
deux vallées, on voyait une de ses jambes pendre d'un côté
et l'autre descendre sur la pente opposée.
En Savoie, il se reposait sur la cime des monts comme sur un escabeau
fait à sa taille;
il jouait avec des sapins comme avec des pailles légères,
et il baignait ses pieds dans la profondeur des lacs.
Un géant qui mangeait les hommes habitait jadis les montagnes
du Doubs :
un jour qu'il dormait dans sa caverne, un prêtre exorciste fit
tomber devant sa porte un rocher si pesant et si bien joint qu'il y resta
enfermé éternellement.
Un énorme géant, appelé dans le pays Rge, demeurait sur la colline de Nollen en Alsace.
Le dernier géant que connaisse la tradition vaudoise semble s'être
montré, mais assez rarement, aux environs des chalets, peut-être
jusqu'à la fin du 18ème siècle;
il s'appelait Pâtho, et résidait dans une caverne, dont
il ne sortait que pendant la nuit ou les jours de brouillard.
Il poussait des youlés perçantes qui faisaient frissonner
les montagnards.
Quelques montagnes ont servi de sépultures à des géants
:
en Alsace, celui qui a formé la vallée de Munster est enseveli
sous la cime majestueuse de Hohenack, appelée par les montagnards le
tombeau du géant;
ils disent que parfois, dans le silence des nuits, il se réveille,
et, se retournant dans son cercueil, fait entendre d'affreux gémissements.
Des revenants hantent les montagnes où s'est terminée
leur vie mortelle :
les uns, comme les noyés, ne peuvent trouver de repos, parce qu'ils
n'ont pas été enterrés en Terre sainte;
d'autres, pour des méfaits commis à l'endroit même où
ils se montrent, sont condamnés à y accomplir des pénitences.
Dans les belles nuits, on voit voltiger trois flammes au-dessus de la
crevasse où trois guides sont restés ensevelis avec deux
cents pieds de neige sur le corps;
Ce sont leurs âmes qui reviennent, parce qu'il n'ont point eu une
sépulture chrétienne. (A. Dumas - Impressions
de voyage en Suisse)
Au sommet de certains glaciers du Rhône, on trouve de la neige rouge.
Un passage était autrefois très fréquenté par les
muletiers italiens transportant des tonneaux de vin.
Abusant de la confiance qui leur était accordée, ils n'ont point
craint de boire le vin et de combler le déficit avec de
la neige et de l'eau.
En punition, leurs ombres doivent errer sur le Nevé, jusqu'à
ce qu'une âme compatissante mette fin à leur supplice.
Il suffit de faire le signe de la croix, de mettre du vin rouge dans le creux
de sa main et d'en asperger la neige rouge pour apaiser la justice vengeresse
et délivrer les infortunés du Purgatoire de glace.
D'autres revenants, soumis à des expiations posthumes, se montraient
aussi sur les Alpes vaudoises;
les chevriers qui avaient négligé la garde de leur troupeau
bramaient sans relâche jusqu'à l'aube leur cri d'appel :
« Ta bédjet, tiens chèvre ! »
Les vachers, qui après avoir battu les bestiaux jusqu'à
ce que mort s'ensuive les ont jeté dans des précipices,
reviennent et ne trouve de repos qu'après que le prix de l'animal a été
restitué.
Dans la Suisse romande, le pâtre qui a dérobé du sel
pendant qu'il gardait les troupeaux revient après sa mort au chalet où
il a commis le larcin, et durant tout l'hiver, tandis que les populations sont
retirées dans les villages, il est condamné à moudre
et remoudre sans cesse la quantité de sel volée.
Cette besogne doit s'accomplir dans un nombre d'heures déterminé,
pour être reprise aussitôt achevée.
Dans l'ancien temps, un homme
de Nendaz, vallée en face de Sion, était monté, en
hiver, aux greniers de Siviez, afin d'y chercher des billes d'arole,
qu'il avaient coupées en automne pour en faire des bâts
de mulets. Arrivé dans son grenier, il commençait à se restaurer lorsque, derrière lui, il entendit un bruit insolite et continu, qui devint bientôt si fort qu'il ébranlait le chalet. Il interrompit son repas pour voir ce qui se passait, et il se trouva tout à coup en face d'un revenant, aux vêtements sales, noirs, sentant fortement le lait aigri, qui le regarda fixement. Le bûcheron, s'enhardissant, lui adressa la parole qui devait le délivrer : « Qui êtes-vous, pour l'amour de Dieu ? » Alors le revenant se mit à parler et raconta que, pour avoir jadis volé vingt-cinq mesures de sel, lorsqu'il prenait soin du troupeau qui paissait à l'alpe de Siviez, il était condamné à moudre continuellement chaque hiver les mesures dérobées dans l'arche.Il demanda au bûcheron de prier de sa part ses descendants de rendre sur-le-champ aux consorts de Siviez les vingt-cinq mesures, dont il devait expier le vol aussi longtemps que sa faute ne serait pas réparée. Le bûcheron vit la forme du mort s'évanouir comme la fumée des herbes qu'on brûle au milieu d'un champ. La peur s'empara de lui; il descendit comme un fou jusqu'au fond de la vallée, et le bruit tapageur du moulin que tournait le revenant le poursuivit jusqu'à ce que, parvenu au village, il eut rempli la mission dont il s'était chargé. |
C'est aussi sur les hauts lieux que les vieilles filles sont condamnées
à faire pénitence.
Toutes celles qui, ayant trouver à se marier, ont refuser de devenir
épouses, devront après leur mort laisser pousser leurs ongles
pour gratter la terre du tertre de Brandefer au-dessus de Plancoët (C.-d'A.);
si elles n'accomplissent pas comme il faut leur tâche, elles sont poursuivies
par sainte Verdagne qui en a la garde.
En Alsace, des fantômes se moquent des gens qui montent sur la
colline du Hochfeld et les induisent en erreur.
Aucun habitant des environs n'irait sur cette colline la nuit ou même
le jour par un temps brumeux.
Des personnes qui connaissaient parfaitement le pays ont été égarées,
en plein jour, pendant des heures entières par les esprits qui
hantent ce lieu.
Entre les plus hauts sommets des chalets de Saint-Pierre et de Sarre au pays
d'Aoste, se trouve un petit lac qu'on appelle lac des Morts.
Les bergers disent que quiconque oserait, en faisant trois fois le tour
de ses rivages, dire à haute voix :
« Lac des Morts, où sont tes morts ? »
verrait sortir une ombre qui l'entraînerait au fond de l'eau en criant
d'une voix courroucée :
« Viens voir quels sont mes morts ! »
La tradition porte que non loin de ses bords il y eut jadis entre ceux d'en
delà et ceux d'en deçà une lutte acharnée,
et que les cadavres des combattants restés sur place furent jetés
dans le lac, qui depuis porte ce nom lugubre.
Plusieurs récits parlent d'esprits infernaux qui hantent les
montagnes, provoquent des éboulement ou y préparent de terribles
orages;
c'est pour mettre un terme à leurs maléfices que l'on a parfois
exorcisé les parages où l'on pensait qu'ils résidaient
de préférence.
Dans le Valais, on entendit les gémissements des démons,
et l'on vit briller d'une manière particulièrement sinistre les
petites lumières ou lanternes dont ils s'éclairaient la
nuit, avant et pendant les deux épouvantables éboulements de 1714
et de 1749.
Avant ce cataclysme, des bruits sourds et des gémissements étranges,
des détonations souterraines s'étaient fait entendre dans les
entrailles des Diablerets.
Les mauvais génies étaient, disait-on, en furie.
Un père jésuite de Sion avait affirmé à des pâtres
valaisans que ce lieu, étant le faubourg du diable et des damnés,
il en résulterait un jour quelque malheur, d'autant plus qu'il y avait
entre eux deux partis opposés, l'un qui travaillait à faire choir
la montagne du côté du Valais, l'autre à la pousser
du côté des Bernois;
de là, grands vacarmes, bruits et combats, craquements intérieurs,
dont le terrible dénouement ne se ferait pas attendre.
Aussi vit-on, en l'année 1714, le curé de Fully se mettre en prière
sur le pont d'Ardon, et exorciser de la plaine les démons et les damnés
afin de préserver le village de la colère de ces mauvais génies.
(A. Ceresole)
C'était aussi sur ces hauts lieux que les tempestaires s'assemblaient
pour composer leurs maléfices.
On dit en proverbe dans le Béarn :
At soum d'Anie
De brouixs, brouixes y demouns furie.
« Au sommet d'Anie de sorcières et démons en furie
», et l'on prétend que cette montagne est l'arsenal où
se réunissent tous les sorciers, les magiciens et les diables de l'enfer,
fabricateurs d'orage, et que c'est de là qu'ils les lancent et
les distribuent à leur gré sur les habitants des plaines,
pour punir ou favoriser qui bon leur semble.
Aux environs d'Aulus, quand l'orage éclate sur les montagnes, et que
la grêle menace, les gens disent que les nuages sont conduits par
de mauvais esprits, lai Brouchos;
de là toutes sortes d'exorcismes pour les conjurer.
Dans les villages espagnols de la frontière, les paysans dirigent
même un feu de mousqueterie contre les nuées malfaisantes.
Certains sommets étaient le domaine de Satan et de ses sujets.
Une des pointes du massif qui domine le col de Cherville s'appelait jadis la
Quille du Diable, et elle servait de but d'adresse aux démons
assemblés.
Quand les pierres descendaient avec bruit de cette hauteur, ou que les blocs
lancés avec trop d'ardeur par les joueurs infernaux rebondissaient de
rocher en rocher, les pâtres se recommandaient à la grâce
divine, et faisaient une prière pour la protection de leurs génisses.
Les sabbats du Morvan avaient lieu sur la montagne, dans un vallon désert,
du côté du Peu.
C'est là qu'est le Rond du Diable, où l'herbe toujours fanée,
parce qu'elle est foulée par les pieds des démons et des sorcières
qui y dansent leur ronde à minuit le premier vendredi de la lune.
Un pauvre homme y est allé et n'est jamais reparu;
un autre, s'y étant rendu à cheval sur un manche à balai,
après s'être frotté le corps d'une graisse particulière,
en revint borgne et muet.
Le Rond du Diable existe encore, mais les démons n'y reviennent plus
que deux fois par siècle, depuis qu'un prêtre réfractaire
avait fixé, pendant la Révolution, sa retraite non loin de ce
lieu maudit.
Des apparitions, dont la nature est mal définie, se montrent aussi sur
les hauts lieux.
Un personnage appelé l'Archevêque, avec lequel les rémégeuses
avaient des entretiens mystérieux, se promenait tous les soirs,
à minuit, en habits pontificaux, sur la montagne du Bellot.
Chaque nuit, de minuit à deux heures du matin, un grand cavalier noir,
monté sur un cheval noir, fait le tour d'une petite montagne à
Saint-Georges-la-Pouge, poursuivi par un lévrier noir.
Le cheval est si lourd et fait tant de bruit qu'on l'entend à
une demi-lieue de distance.
Les animaux fantastiques figurent rarement dans les traditions des montagnes,
où pourtant vivent des ours, des chamois et des aigles.
Aux environs d'Aulus, on redoute le Lou'mmâgré, le loup
maigre, être malfaisant, aux proportions colossales, si l'on en juge
d'après ses féroces appétits.
Il apparaît quelquefois au milieu des pâturages, et, en un clin
d'il, il extermine tout un troupeau.
Aussi les bergers avaient-ils des incantations pour préserver leurs ouailles.
Quelques temps avant la Révolution, il y eut sur la montagne du Mené un combat de chats, et il resta plus de mille matous sur place.
Plusieurs légendes parlent d'un serpent colossal qui habitait
les Pyrénées.
Il était si grand que, quand sa tête reposait sur le sommet du
pic du Midi, son cou s'étendait à travers Barèges, tandis
que son corps remplissait toute la vallée de Luz, Saint-Sauveur et Gèdres,
et sa queue était repliée dans un trou au-dessous du cirque de
Gavarnie.
Il ne mangeait que tous les trois mois :
sans cela le pays entier aurait été dépeuplé.
Par la puissante aspiration de son souffle, il attirait dans son énorme
panse les troupeaux de moutons, de chèvres et de bufs, les
hommes, les femmes, les enfants, en un mot toute la population des villages.
Après ces repas, il s'endormait et demeurait inerte.
tous les hommes des vallées s'assemblèrent pour délibérer
sur ce qu'il convenait de faire, et un vieillard leur donna ce conseil
:
Nous avons près de trois mois avant que le monstre ne s'éveille;
il faut couper toutes les forêts, apporter toutes les forges
et tout le fer que nous possédons, allumer avec le bois une grande
fournaise, puis, nous cacher dans les rochers et faire le plus de bruit possible
pour éveiller le monstre. »
Ce plan fut exécuté.
Le serpent s'éveilla, furieux d'avoir été interrompu
dans son sommeil, et voyant quelque chose qui brillait sur l'autre côté
de la vallée, il l'attira par son souffle puissant, et toute la masse
enflammée s'engouffra dans son vaste gosier.
Aussitôt, il eut des convulsions, il brisa des rochers, fit trembler
les montagnes, et mit en poussière les glaciers.
Pour calmer la soif de son agonie, il descendit dans la vallée et but
tous les ruisseaux, de Gavarnie à Pierrefitte;
il se coucha sur le côté de la montagne et expira, et pendant que
le feu qu'il avait à l'intérieur se refroidissait lentement, l'eau
qu'il avait avalée coula de sa bouche et forma le lac d'Issabit.
Les montagnes des Alpes et du Jura avait un serpent volant, qu'on appelait
la vouivre, et qui était de proportions énormes.
On dit qu'elle porte sur sa tête une aigrette ou couronne étincelante,
elle a sur le front un il unique, diamant lumineux qui l'éclaire
et qui projette une vive lumière que l'on voit de très loin.
Lorsqu'elle voltige de mont en mont, on voit sortir de sa bouche une haleine
de flammes et d'étincelles.
Si elle se baigne dans les lacs ou dans les torrents, elle a soin, avant de
se jeter à l'eau, de déposer sur le rivage son escarboucle
précieuse.
Bien des gens ont essayé de s'en emparer;
la tradition rapporte qu'un montagnard eut ses habits entièrement brûlés
en se battant avec une vouivre qui, durant la lutte, crachait du feu et du souffre
par la gueule;
on cite aussi des gens qui ont pu s'emparer du diamant, et éviter la
vengeance de la vouivre en se cachant sur le rivage dans un tonneau garni de
clous.(Voir détails page "eaux
douces")
C'est par un procédé analogue que les habitants du Valais se
débarrassèrent d'un monstrueux serpent nommé la
Ouïvra qui enlevait les bestiaux de la montagne de Louvye;
les Bagnards prirent un jeune taureau qu'ils nourrirent pendant sept
ans avec du lait, et lui firent faire une armure complète
très bien articulée.
La ouïvra, qui avait une tête de chat sur son corps de serpent,
l'attendait en haut de l'Alpe;
le combat fut long, mais à la fin le taureau se coucha sur le monstre
et l'éventra avec ses cornes.
Quand une calamité menace les environs du Monte d'Oro, un animal
étrange et énorme surgit au milieu des eaux du petit lac
d'Or;
il parcourt la montagne en poussant des cris terribles, puis, après
avoir accompli sa mission, il replonge dans le lac.
Suivant une tradition qui jusqu'ici n'a été recueillie que dans
la région vosgienne, les eaux enfermées dans l'intérieur
des montagnes peuvent amener des cataclysmes;
au dire des habitants du Val de Galilée, celle d'Ormont recèle
dans son sein une énorme quantité d'eau, capable d'inonder,
à un moment donné, toute la vallée.
Ils prétendent même que la messe solennelle, célébrée
chaque année le 4 novembre dans la chapelle de l'Hôpital Saint-Charles,
n'a été fondé que pour empêcher ou éloigner
le plus possible la terrible catastrophe;
et lorsque l'orage gronde, que les eaux de la rivière grossissent, les
vieilles femmes font des signes de croix, supposant que le cercle
de fer, dont la montagne a été entourée par la puissance
des fées, va se briser et que les eaux se précipiteront
en flots dévastateurs pour engloutir la vieille cité déodatienne
(Saint-Dié).
Les montagnes, de même que les autres lieux qui par leur grandeur ou leur étrangeté sont de nature à frapper l'imagination, contiennent des richesses dont la conquête n'est pas toujours aisée.
La dent de Vaulion, dans la Suisse romande, cache de l'or :
mais il est placé sous la surveillance du Grobelhlon; c'est un
esprit qui traverse la vallée de Joux, toutes les veilles de Noël,
avec une petite escorte monté sur des sangliers dont la queue
leur sert de bride.
Dans les Pyrénées, chaque trésor est commis à
la garde d'une chèvre rouge, d'espèce surnaturelle;
elle doit, trois fois par an, exposer aux rayons du soleil les richesses
habituellement enfouies.
Un berger, qui se trouvait seul sur le bord d'un lac, vit tout à coup
briller au soleil un monceau d'or, près duquel une chèvre rouge
faisait sentinelle.
Il courut chercher un de ses compagnons; mais quand il revint avec lui, ils
ne trouvèrent rien que le brouillard de la montagne.
A minuit, sur le sentier qui mène de Salvan à Fenestral, un trésor
est visible tous les cent ans.
Un homme qui passait par là aperçut, assise sur une grosse roche,
une belle demoiselle, qui, en chantant, démêlait ses cheveux
avec un peigne d'or.
Il lui demanda qui elle était et elle lui répondit qu'elle était
une âme en peine, et que, s'il voulait lui donner trois baisers,
il lui rendrait le repos éternel et aurait le trésor caché
sous la pierre.
L'homme y consentit et embrassa avec plaisir la demoiselle;
Mais elle disparut aussitôt, et il vit s'avancer un bouc terrible
et menaçant; il finit, après une lutte, par l'embrasser sur le
front;
bientôt, il vit un énorme serpent et il allait lui donner
un troisième baiser, lorsque le monstre fit entendre un sifflement
si aigu que l'homme se sauva à toutes jambes.
On raconte en Savoie que si la veille de Noël on gravit les flancs ardus de la montagne de Poisy, près d'Annecy, et qu'on porte, sur les ruines d'un château des fées, un pot en terre non vernie, on le retrouve le lendemain, au soleil levant, rempli de pièces d'or.
Plusieurs points culminants des chaînes secondaires, qui étaient
peut-être jadis le siège d'un culte païen, portent
actuellement le nom de Mont-Saint-Michel, et les sanctuaires que l'on
y a construits sous l'invocation de ce pourchasseur de démons ont vraisemblablement
eu pour but de faire oublier les anciennes divinités auxquelles
on adressait des hommages sur ces hauts lieux.
Suivant des légendes bretonnes, dont l'une a été
recueillie à la fin du 18ème siècle, l'archange vient de
temps en temps visiter en personne la chapelle qui lui a été
érigée sur le sommet qui porte son nom à Braspartz,
le plateau le plus élevé des montagnes d'Arès.
Dans les belles nuits d'été, on le voyait déployer
ses ailes d'or et d'azur et disparaître dans les airs.
A l'heure actuelle, ses apparitions sont motivées : lorsque le peuple
des conjurés qui ont été précipités,
sous forme de chiens, par les serviteurs des exorcistes dans le sinistre
marais du Yeun Elez, au pied de son sanctuaire, fait entendre la nuit
ses furieux aboiements, saint Michel abaisse son glaive flamboyant vers le Yeun,
et tout rentre dans l'ordre.
On dit aussi qu'il y vient pour combattre le démon;
sa visite est annoncée par des signes terribles : le ciel se couvre de
nuages noirs, la grêle ravage les moissons et le tonnerre
gronde avec furie.
Le diable et l'archange luttent au sommet de la montagne.
Lorsque le saint est vainqueur, on le voit faire le tour de son étroit
domaine en conjurant les orages;
ou bien, debout sur le clocher de sa chapelle, il tient en main un immense
dévidoir, sur lequel sont rangés des milliers de démons
qui hurlent et qui se tordent sans pouvoir s'en détacher.
Lorsque le saint s'est bien diverti, il leur montre les quatre points
cardinaux, les lance du sommet de l'Arès dans les fondrières
du Yunelé, puis ouvre ses ailes d'or et s'envole au ciel.
Les brouillards dont se couvrent certains sommets sont assimilés
à des coiffures ou à des manteaux par les paysans
des environs de la Montagne Noire, qui en tirent des pronostics météorologiques
:
Quand lou Ventour a soun capeù,
E Magalouno soun manteù
Bouiè, destallo et vai-t'en-leù.
« Quand le Ventoux a son chapeau, Et Maguelonne
son manteau Bouvier, dételle et va-t'en. »
Ceux qui accomplissent des voyages dans un monde fantastique et irréel
rencontrent sur leur route des monts presque inaccessibles où ils sont
témoins de choses surprenantes.
Le petit pâtre qui va porter une lettre au Paradis doit gravir,
pour y arriver, une montagne escarpée et embroussaillée;
il voit des petits enfants, aussi nombreux et aussi serrés qu'une
fourmilière, qui la montaient, et, au moment d'atteindre le sommet,
roulaient jusqu'en bas, ayant chacun à la main une poignée d'herbe
arrachée.
Ce sont des enfants morts sans avoir été baptisés.
Ils entendent les chants des anges, et ils voudraient aller aussi au
paradis avec eux, mais ils ne peuvent y parvenir parce qu'ils n'ont pas reçu
l'eau du baptême.
Voici une légende dont la scène se passe en Normandie.
Un roi, qui répugnait
à se séparer de sa fille, fit proclamer dans se Etats
que celui qui porterait, sans se reposer, la princesse sur le sommet
de la montagne deviendrait son époux. Bien des prétendants avaient infructueusement essayé de remplir la condition imposée; sur le conseil de la jeune fille à qui il avait su inspirer de l'amour, le fils d'un comte alla demander à la tante de celle-ci des liqueurs destinées à doubler ses forces. Lorsqu'il fut en possession du breuvage, il demanda au roi de subir l'épreuve, et quand il prit dans ses bras la princesse qui n'avait qu'une seule chemise pour vêtement, il lui remit le vase contenant le breuvage enchanté. Mais, pendant l'ascension, il refusa à plusieurs reprises d'avaler la liqueur magique, malgré le conseil de son amante. Il touchait au sommet lorsqu'il tomba, épuisé de fatigue, et quand la demoiselle voulut lui faire prendre le breuvage destiné à lui rendre des forces, elle s'aperçut qu'il était mort; elle-même tomba près de lui et rendit le dernier soupir. On renferma les corps des jeunes gens dans un cercueil de marbre, et il fut déposé sur le haut de la montagne qui depuis fut nommée le Mont de Deux Amants. (Marie de France) |
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