(page 4/6)
« Non loin des rives orientales du lac Léman, près
de Noville, les eaux du Rhône laissent émerger plusieurs
îles recouvertes d'arbustes et de roseaux.
Un profond silence règne sur ces étendues marécageuses;
il n'est interrompu que par quelques bruits lointains, ou par un bruissement
qui monte des roseaux agités par les vents.
C'est d'abord un son doux et triste, puis un gémissement plus accentué,
qui s'achève en voix étranges et parfois lugubres : c'est la voix
des fenettes des îles, c'est-à-dire des petites femmes,
fées cachées dans les îles ou les marais du Rhône.
Tantôt on les entend pleurer avec la brise dans les rameaux des arbres,
tantôt elles crient et gémissent avec le sifflement des vents d'orage.
Ces fées, aux formes sveltes, aux traits fins, aux corps souples, aux
yeux verts et aux longs cheveux, ne se laissent pas voir aisément.
Mais lorsque les clameurs s'approchent, lorsque leurs gémissements semblent
devenir plus distincts, le pêcheur se hâte de retirer sa ligne,
le faucheur fait taire le bruit de sa faux, le chasseur s'éloigne, et
chacun d'eux a bien soin de ne pas retourner la tête, de crainte de voir
la fenette qui le poursuit : celui qui aurait vu venir à lui une
de ces petites fées sauvages serait sûr de mourir dans l'année.
»
(Ceresole)
Les Dames vertes des Vosges, que l'on voit parfois le long des ruisseaux,
se contentaient de faire peur aux passants attardés.
L'une d'elles se promenait à minuit sur le pont de la Vologne;
à peine le voyageur y avait-il mis le pied qu'une dame toute verte se
dressait devant lui, l'entraînait au Saut des Cuves, et, le saisissant
par les cheveux, le balançait au-dessus de la cascade.
Quand le pauvre hère épouvanté avait recommandé
son âme à Dieu, elle courait le déposer où elle l'avait
pris, et poussait de grands éclats de rire.
La Vogeotte (Doubs) est une petite dame verte qui épie à
toute heure les enfants qui vont folâtrer seuls auprès du
ruisseau;
elle est armée de longs crochets avec lesquels elle peut les saisir par
les plis de leurs blouses pour les attirer dans l'eau et les faire manger
à ses poissons.
Les esprits qui, pour tromper les hommes, font entendre des appels,
sont connus en un grand nombre de pays;
on les trouve dans les champs, dans les forêts et dans le voisinage des
eaux.
Voici les gestes de quelques-uns qui semblent affectionner les ruisseaux et les rivières.
Le lutin de Condes, sur les bords de l'Ain, se plaisait à contrefaire les cris d'un enfant qui se noie, mais il n'était pas foncièrement méchant comme ses congénères de Basse-Bretagne.
Dans les environs de Quimper, un des plus connus et des plus redoutés
des lutins appelés Hoppeurs, appeleurs, est Ian an Od,
Jean du Rivage;
il se tient toujours sur le bord des rivières, faisant entendre continuellement
le cri : « Iou hou hou ! » cri guttural familier aux paysans
bretons lorsqu'ils rentrent le soir.
Si quelque passant lui répond, Ian an Od franchit en un clin d'il
la moitié de la distance qui le sépare de l'imprudent, et répète
le même cri.
Si le passant y répond encore, le lutin franchit la moitié de
l'espace qui lui reste à parcourir.
Enfin si on y répond une troisième fois, Ian an Od se trouve
subitement près de sa victime qu'il étrangle ou qu'il noie
s'il est auprès d'une rivière.
On raconte en divers pays que les fées venaient laver sur le
bord des rivières, parfois en plein jour, mais plus généralement
la nuit.
Celles du Roussillon, après y avoir fait leur lessive, étendaient
au soleil leur linge qui était beau et tissé de fleurs
odorantes.
Si un passant téméraire osait y toucher, il était pétrifié
sur-le-champ, ou ses bras étaient brisés comme du verre.
D'autres assuraient que les plus grandes félicités étaient
réservées à celui qui parvenait à leur dérober
une pièce de linge; on dit encore, en Cerdagne, d'un homme qui a fait
une rapide fortune, qu'il s"est emparé d'une serviette.
Un pêcheur de Prades se rendit auprès des laveuses et, tout
en causant avec elles, il laissa tomber sur une coiffe un filet garni de glu,
mais il eut beau fuir à toutes jambes, il fut rattrapé et battu
par les dames irritées.
Des laveuses de nuit, assez mal définies, mais d'un caractère
aussi malveillant, hantaient jadis les berges des rivières et
des canaux des environs de Dinan.
Elles arrêtaient les chalands, tiraient les câbles sur le
halage et faisaient tourner les barques comme des toupies : chevaux et conducteurs
s'en allaient au fond des eaux.
Le fantôme d'une jeune fille qui, après avoir été
trompée, se noya de désespoir au pont de l'Isle dans la
Beauce, s'y montre parfois;
il plane sur la rivière sans toucher les roseaux, et toute la nuit il
effeuille des pâquerettes.
Dans quelques contes, le héros, pour arriver dans le monde surnaturel,
est obligé de franchir une rivière, où se trouve un passeur,
qui est condamné à remplir ces fonctions pendant des centaines
d'années, à moins qu'un voyageur, étant dans son bateau,
ne lui dise où il va, ou, au retour, d'où il vient.
Le passager qui répondrait à cette question serait contraint
de prendre sa place;
la même chose arriverait s'il gardait à la main la mèche
que le passeur lui présente pour allumer sa pipe.
Parfois il doit éviter d'entrer dans la barque à reculons sous
peine de remplacer pour toujours le batelier.
D'autres bateliers, sans appartenir au monde satanique, étaient
dangereux pour leurs passagères, et la légende des bords de l'Ain,
qui raconte la terrible punition de l'un d'eux, avait probablement pour point
de départ un fait réel.
Le passeur du Porein exigeait, outre son salaire, un baiser de toute
jeune femme ou jeune fille qui entrait dans son bateau.
Un soir, il vit s'avancer une veuve tout habillée de noir, qui entra
dans la barque et tomba, tout en larmes, sur un banc.
Sous ce manteau de deuil, le batelier crut deviner une femme jeune, peut-être
jolie.
Dès qu'il fut éloigné du bord, il s'élança
vers la passagère et voulut la prendre dans ses bras; elle résista,
elle protesta, supplia, cria, mais elle était loin de tout secours et
nul ne lui répondit.
La malheureuse fléchit, et il s'approcha d'elle pour l'embrasser.
Mais la veuve rejeta son manteau, sa robe et ses voiles, et le batelier épouvanté
vit qu'il tenait dans ses bras le prince des ténèbres, qui le
regardait en ricanant.
« Tu es à moi, lui dit-il, et c'est moi qui t'embrasserai. »
Alors il brisa la corde qui retenait la barque, pris dans ses bras de fer le
misérable, et le couvrit d'un manteau de feu qui, bientôt,
les entoura tous deux :
puis brûlant comme deux torches vivantes dont les flammes éclairaient
la nuit, l'homme et l'Esprit commencèrent un voyage fantastique.
La barque descendit la rivière, arriva sur le Rhône, traversa Lyon,
Vienne, Valence, Avignon, Arles.
Attirés par des cris affreux, les riverains voyaient briller comme un
météore ces deux corps qui brûlaient en se tenant
embrassés.
Au matin, la barque et les voyageurs disparurent dans les flots de la mer.
Les récits populaires sur l'origine ou les hantises des eaux, dont la caractéristique est de sembler dormir entre leurs rives ont une parenté évidente, qu'il s'agisse des beaux lacs limpides des montagnes, des étangs naturels ou créés par des barrages, ou des marais aux eaux mornes, chargés de matières en décomposition, qui étendent souvent sur tout un pays leur influence pestilentielle.
On raconte en France et dans les pays de langue française un grand nombre
de légendes sur les circonstances merveilleuses qui ont présidé
à la naissance des lacs, des marais et des étangs.
Elles se lient souvent, comme celles des villes englouties sous les flots de
la mer, à des manifestations de la colère des puissances
célestes.
Les plus répandues rappellent deux thèmes anciens et bien connus
:
celui de la gracieuse fable de Philémon
et Baucis et le récit biblique de la destruction des villes
impies et corrompues de la mer Morte.
Voici une légende recueillie en Haute-Loire en 1875, pays où nombre de chansons populaires parlent des voyages que fait sur terre Jésus-Christ sous la figure d'un mendiant.
La ville d'Issarlès était au milieu d'une vaste campagne. Un
jour un pauvre vint y demander l'aumône;
il commença par les maisons des champs, et il fut bien accueilli dans
les deux premières;
dans l'une, on venait de boulanger pour mettre au four et on le pria d'attendre,
mais il répondit que le pain était cuit, et, en effet, en ouvrant
la maie, on vit que le pauvre avait dit vrai.
Il mangea avec ses hôtes et il lui donnèrent un petit pain.
Il les quitta en disant :
« Dans peu, vous entendrez un grand bruit, mais soyez sans inquiétude.
»
Il parcourut ensuite la ville, où il fut partout rebuté.
Il allait la quitter, lorsqu'il aperçut deux petites maisons;
il entra dans la première et la femme lui répondit mensongèrement
qu'elle n'avait pas de pain, mais seulement du levain.
Auprès de la seconde cabane, il demanda un peu de lait à une femme
qui trayait une chèvre, et qui s'empressa de lui en offrir une tasse.
Le pauvre qui était Jésus-Christ, lui dit :
« Vous allez entendre un grand bruit, mais si grand qu'il soit, ne vous
retournez pas et continuez à traire votre chèvre. »
Au même moment, un grand bruit éclata; c'était la ville
d'Issarlès qui s'enfonçait dans la terre béante.
La femme tourna à demi la tête, mais elle n'avait pas achevé
ce mouvement qu'elle fut engloutie avec la ville.
Une nappe d'eau ne tarda pas à recouvrir toutes ces ruines.
Par un temps clair, on aperçoit au fond du lac les débris de la
cité et l'on distingue à côté d'une petite maison,
la dernière de la ville, une femme qui, de ses deux mains, trait une
chèvre.
Quelquefois le refus d'hospitalité était, surtout de la part des grands, accompagné de violences et d'insultes.
Un jour que le seigneur de Bex (Suisse romande) était à la chasse,
un vieillard vint à la porte du château et demanda un peu de pain
et un verre d'eau.
Un domestique allait les lui donner, quand la maîtresse du logis se met
en colère, ordonne de bâtonner le domestique et fait lâcher
ses chiens sur le pauvre.
Il fuit comme il peut, et arrivé sur un tertre, il étend le bras
vers le château en prononçant une malédiction :
la châtelaine et ses gens s'esclaffent de rire.
Mais voilà qu'un orage terrible éclate, l'eau inonde le sol, et,
tandis que le vieux mendiant tient toujours le bras étendu, le château
s'engloutit.
Quand le seigneur revint, il ne trouva qu'une mare à la place
de sa belle demeure.
Sur le tertre où s'était tenu le justicier, un sac en cuir plein
d'or était déposé à côté d'une petite
pièce de monnaie écornée qu'il reconnut pour l'avoir donnée
la veille, étant à la chasse, à un vieillard en haillons.
Le marais de Saint-Michel-en-Braspartz (Finistère) était, il
y a plus de mille ans, occupé par une vaste forêt, au milieu de
laquelle s'élevait un château superbe.
Une nuit d'hiver, un pauvre pèlerin y pénétra, et
demanda au baron une petite place pour y élever un oratoire.
Le seigneur, furieux, le fit mettre au cachot, et déclara que le lendemain
le pèlerin servirait de « bête à chasser »
dans la forêt.
On lui donna cent pas d'avance, et la meute fut lancée après lui.
Mais au milieu de la chasse, un page vit le pèlerin déployer ses
ailes comme un ange pour s'envoler devant les chiens.
Quand on arriva au sommet de la montagne, le baron vit, à la place du
fugitif, un ange resplendissant de lumière, et dans la vallée,
là où s'élevait le riche domaine, il n'y avait plus que
des bruyères que l'on eut dit brûlées par un feu souterrain,
et un sombre marécage entouré de noirs taillis.
D'autres récits d'engloutissements ne parlent plus de villes entières
ou de châteaux, mais d'édifices religieux, de hameaux ou
même d'individus, punis de leur impiété ou de leur
désobéissance aux prescriptions ecclésiastiques.
Les moines d'un couvent qui existait à l'endroit où se trouve
le petit lac de Flers (Normandie), s'étant enrichis, se relâchèrent
peu à peu et devinrent impies et dissolus.
La veille d'une fête de Noël, au lieu de se rendre à l'office
divin, ils se réunirent pour un profane réveillon.
Lorsque vint minuit, le frère sonneur étant à table avec
les autres, la cloche qui d'ordinaire, à cette heure se faisait entendre
pour appeler les fidèles à la messe, se mit à sonner d'elle-même.
Il y eut alors dans le réfectoire un moment de silence et de stupeur.
Mais un des moines les plus libertins entoura d'un bras lascif une femme
assise à ses côtés, prit un verre et s'écria :
« Entendez-vous la cloche, frères et surs; Christ est
né, buvons rasade à sa santé ! »
Tous les moines répétèrent ses paroles, mais aucun n'eut
le temps de boire; la foudre frappa le couvent qui oscilla sous le choc, et
disparut à une grande profondeur sous la terre.
Les paysans, qui s'étaient empressés d'accourir à la messe,
ne trouvèrent plus, à la place du monastère, qu'un petit
lac, d'où l'on entendit le son des cloches jusqu'à ce que la première
heure du jour eût retenti.
Des légendes des Pyrénées font remonter l'origine d'un
lac à l'énorme quantité d'eau absorbée, puis rendue
par un monstre.
Le plus grand serpent que l'on n'ait jamais vu se traînait jadis
sur le plateau d'une montagne verdoyante :
de beaux troupeaux allaient et venaient dans la vallée qui s'étendait
au-dessous, mais pasteurs, chiens et troupeaux, enlevés de terre par
une force irrésistible, montaient vers le plateau magique et s'engouffraient
dans la bouche du serpent.
Un homme du village d'Arbouix, qui avait beaucoup de courage et d'adresse, résolut
de délivrer son pays.
Il établit une forge au lieu le plus secret qu'il put trouver,
et lorsque le fer était rouge, il le mettait à la portée
du serpent, au péril de sa vie, bien qu'il eut soin de se retirer aussitôt.
Lorsque le monstre, cherchant une proie, regardait de côté et d'autres,
il voyait ce fer rouge;
il l'aspirait comme toute autre chose, et par la puissance de son souffle, il
l'avalait d'un seul trait.
Le feu se mit à ses entrailles, et il eut une si grande soif
qu'il se mit à boire, à boire, et il buvait toujours.
a la fin il creva : l'eau qu'il avait absorbée se répandit et
fit le lac d'Isabit.
Autres thèmes : |
Accueil |