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L'usage de jeter des pois dans les puits, avec l'intention de se débarrasser
d'excroissances désagréables, est extrêmement répandu;
en Poitou, le nombre des pois doit être égal à celui des
verrues.
En Saintonge, en Touraine, il faut s'enfuir à toutes jambes pour ne pas
entendre le bruit qu'ils font en tombant dans l'eau.
A Marseille, après avoir jeté le pois chiche qui avait touché
le mal, on s'éloigne au plus vite, pour le même motif :
le mal disparaît quand le pois est fondu ou pourri.
Dans les Ardennes, les verrues ainsi que les cors aux pieds s'en vont
avant la fin de la semaine, à la condition que l'on entende pas le bruit
des pois.
En Haute-Bretagne, il faut les jeter, sans être vu de personne, et en
fermant les yeux.
En Berry, c'était un vendredi à minuit, et sans témoin,
qu'on lançait dans l'eau, successivement, après avoir récité
un Pater, sept pois qui, enveloppés dans un linge blanc, avaient
été portés pendant seize jours sur la poitrine du patient.
En Lauraguais, on y lance, sans regarder, autant de grains de mil que
l'on a d'excroissances et on s'en va à reculons.
En Limousin, existe encore l'usage de faire des étrennes aux
puits, pour que leur niveau ne baisse pas dans l'année;
l'offrande consiste habituellement en un morceau de pain ou un verre
de vin.
En Wallonie, on jette une poignée de sel en tirant le premier
seau d'eau et l'on dit :
« Je vous souhaite une bonne année, à la grâce
de Dieu. »
Les anciens constructeurs, surtout lorsque les puits étaient d'une grande
profondeur, avaient ménagé un peu au-dessus du niveau habituel
de l'eau, une sorte de chambre où pouvaient se tenir ceux qui
y descendaient pour les curer lorsqu'on remontait les seaux pleins de
vase qu'ils en avaient tirée.
J'ai plusieurs fois entendu parler, aux environs de Dinan, de ces sortes de
retraites, auxquelles on accordait des dimensions considérables, que
l'on regardait comme merveilleuses, qui parfois étaient le séjour
de héros populaires ou formaient l'antichambre d'une sorte de monde souterrain.
Dans un conte du Nivernais, une petite fille que sa méchante mère
a envoyée veiller dehors prit sa quenouille et son fuseau, ne sachant
où aller; en passant près du puits, elle se pencha sur la margelle,
et fut bien surprise de voir au fond une grande clarté et des demoiselles.
Son fuseau lui échappa et tomba dans le puits.
« A la garde de Dieu, dit-elle, je vais le suivre. »
Elle arriva auprès des demoiselles, et l'une d'elles lui demanda de la
" pouiller ".
La petite fille s'exécuta de bonne grâce, et quand elle eut terminé
sa besogne sans trouver aucun pou, la mère des demoiselles lui accorda
comme don, qu'à chaque parole qu'elle prononcerait il sortirait un écu
de sa bouche.
L'ancien proverbe « montrer la lune au puits », employé
dans le sens d'en faire accroire, est vraisemblablement fondé sur une
allusion à un conte qui figure dans diverses versions du Roman de
Renart, et que les écrivains qui l'on mis en uvre avaient probablement
trouvé dans la tradition populaire :
le renard amène le loup au bord du puits, et, lui montrant au fond l'image
de la lune, lui fait accroire que c'est un fromage.
Comme les rivières sortent très souvent de fontaines,
il n'est pas surprenant de rencontrer peu de légendes qui leur assignent
une origine distincte.
Toutes celles recueillies jusqu'ici s'appliquent à des cours d'eau de
médiocre importance, et, suivant une conception qu'on retrouve en dehors
de France, elles les font naître de liquides sécrétés
ou versés par des personnages fabuleux.
D'ordinaire ce sont des géants, et parmi eux Gargantua
tient le premier rang.
Voici un conte abrégé recueilli par Béroalde de
Verville.
« Un saint ayant octroyé à une dame, en récompense
de son hospitalité, que la première besogne qu'elle ferait de
la journée se continuerait si bien qu'elle ne ferait autre uvre
de tout le jour, celle-ci, qui est très avare, se fait apporter tout
le linge de la maison, pour le plier et le faire multiplier;
afin de ne pas être obligée de se déranger, elle va s'accroupir,
pour uriner, dans un coin de sa cour, mais comme c'était la première
action qu'elle faisait dans la journée, il lui fut impossible de l'interrompre,
et jusqu'au soleil couchant, elle arrosa le sol si copieusement qu'elle fit
ce ruisseau qui passe au pied des Loges en Anjou. »
Plusieurs légendes contemporaines, qui ne semblent pas avoir emprunté
cet épisode à Rabelais, font remonter à Gargantua
la formation de quelques cours d'eau.
En Haute-Bretagne, à la suite de repas copieux, il arrose le sol avec
une telle abondance que le Frémur, l'Arguenon (ruisseaux des Côtes-du-Nord)
se mettent à couler;
plusieurs rivières des vallées dauphinoises, et le torrent de
Vence ont été produits par l'urine du géant.
La sueur ou le sang de divers personnages ont donné naissance
à des cours d'eau :
un affluent du Dessoudre, qui se jette dans le Doubs, provient de la sueur du
géant Dessoudre, qui s'épuise en vains efforts pour enfoncer
le rocher qui le retient prisonnier dans sa caverne.
Dans beaucoup de langues, l'expression " ruisseau de larmes "
ou " torrents de larmes " désigne l'abondance de celles que
répand une personne affligée.
Suivant quelques traditions, des femmes surnaturelles en ont versé en
assez grande quantité pour produire des rivières.
« Quand la Corse fut faite, la Nature, une sorte de naïade,
disent les paysans, se trouva seule endormie sur le Monte Rotto.
A son réveil, effrayée de sa solitude, elle se mit à pleurer
et ses larmes donnèrent naissance aux trois rivières principales
de l'île. »
Des traditions racontent en quelles circonstances des rivières, assez
faibles à l'origine, ont acquis un volume considérable,
et pourquoi certaines, sur diverses parties de leur cours, s'élargissent
assez pour former de petits golfes.
Autrefois la Rance était toute petite et les ânes de Rigourdaine
la traversaient facilement pour venir brouter les pâturages et les vignes
du monastère voisin.
Saint Suliac, irrité de leurs déprédations, les rendit
immobiles, la tête retournée vers l'échine.
Lorsqu'il eut consenti à les délivrer de cette position incommode,
ils firent un tel vacarme, que le saint, pour ne plus être à l'avenir
étourdi de leurs braiements, s'avança sur le ruisseau qui coulait
au bas du mont Garot, et quand le dernier âne eut passé l'eau,
il étendit sa crosse, et prononça à genoux quelques prières
:
La Rance, élargit à l'instant, devint une rivière
navigable, grossie des eaux de la mer, et telle qu'on la voit aujourd'hui.
Non loin de là, le bassin appelé Plaine de Mordreu a été
produit par Gargantua :
furieux de s'être cassé une dent en avalant un caillou emmailloté
que la nourrice lui présentait, au lieu de son enfant qu'il s'était,
comme Saturne, engagé par serment à dévorer, il lui lança
un coup de pied;
mais la femme s'esquiva, et le coup portant à faux enfonça dans
l'eau le terrain sur lequel il frappa .
La fosse Argentine, dans le lit de la Charente, a été creusée par une fée qui y prit de la terre pour construire un tumulus.
On montrait autrefois dans le Rhône, près de Valence, le gouffre
dans lequel s'était noyé Ponce-Pilate;
une tempête s'élevait aussitôt si on y jetait une pierre.
C'est à la suite d'événements en rapport avec le diable
ou la magie que certaines rivières roulent des paillettes d'or.
Une légende raconte que la Jordane, qui coule à Aurillac, est
devenue aurifère après une opération magique faite par
Gerbert, qui depuis fut pape, et était un habile sorcier.
Ayant demandé un jour au doyen de son monastère s'il voulait être
témoin d'un miracle, il le conduisit au bord de la rivière.
Après avoir tracé des cercles et prononcé des paroles cabalistiques,
Gerbert frappa la Jordane avec une baguette qui paraissait enflammée.
Soudain les eaux, de bleues et claires qu'elles étaient, se changèrent
en flots d'or, si bien que pendant un instant l'or coula par larges nappes
entre les deux rives;
le doyen épouvanté se jeta à genoux, priant Dieu mentalement,
et le charme cessa, mais depuis la Jordane a roulé des paillettes précieuses.
Les gens de Rennesi (Corse) pour se venger de leurs voisins de Chiliagni,
qui avait jeté dans leur pays tant de grenouilles que l'on ne
pouvait plus dormir, détournèrent le petit torrent du Silvani
et le firent dériver dans la Catena.
Ailleurs des saints ont conjurer des cours d'eau tumultueux qui, depuis,
ont cessé d'être importuns aux riverains.
En plusieurs pays, des rivières disparaissent sous le sol, et vont,
après un trajet souterrain, se montrer à une assez grande distance.
Il y en a plusieurs en Normandie, où des légendes font remonter
cette particularité à des punitions infligées à
des meuniers peu complaisants ou inhospitaliers.
On nomme le Sec Iton l'ancien canal naturel que suivait autrefois le
bras de l'Iton qui se dirige vers Breteuil, et un moulin à eau bien achalandé
existait jadis à Villalet où il disparaît :
le meunier n'ayant pas voulu passer le diable dans sa barque, Satan fut irrité
de ce manque d'égards.
En moins de quelques heures, l'Iton prit son cours à une grande profondeur
sous terre.
Une autre rivière, aujourd'hui disparue, mais dont l'existence
est attestée par de nombreux titres, faisait marcher le moulin de Grainville
l'Alouette.
Une malheureuse bohémienne demanda un soir au meunier, au nom de l'enfant
mourant de froid et de faim qu'elle tenait entre ses bras, un morceau de pain
noir pour le souper et une botte de paille pour le repos.
Le meunier les lui refusa, en la traitant de païenne et de sorcière.
Elle se mit à murmurer des paroles magiques et aussitôt la roue
du moulin cessa de tourner;
la rivière avait pris un cours souterrain.
Des pierres, ordinairement cachées sous les eaux, et qu'on ne
voit que très rarement, présagent aussi des malheurs lorsqu'elles
se découvrent, et l'on prétend que certaines portent des
inscriptions qui constatent ce rôle fatidique.
Sur un rocher rougeâtre dans la Sioule, près de Saint-Gal (Puy-de-Dôme),
qui n'apparaît que dans des temps d'excessive sécheresse, on lit
ces mots :
« Ceux qui m'ont vu ont pleuré; ceux qui me voient pleureront.
»
Une phrase analogue est gravée sur la roche d'Arquebise dans la Seine,
près de Samoreau (Seine-et-Marne), dont parle un article du Monde
illustré du 16 juillet 1870, et le chroniqueur ajoutait que sa dernière
apparition avait coïncidé avec le tremblement de terre de Lisbonne.
Elle fut, comme on le voit, aussi à découvert peu de temps avant
la guerre.
Quelques traditions alpestres associent aux débordements, des
génies, qui sont même visibles quand ils se produisent.
On assurait autrefois qu'un démon des eaux se voyait à
la débâcle des glaciers du Rhône, l'épée à
la main, marchant sur les flots gonflés.
Quelquefois, sous une forme féminine, il faisait déborder le fleuve.
Cette dernière idée se retrouve sur le versant italien des Alpes,
dans un pays français de race et de langue.
Lorsque la fée de Colombéra se décida à abandonner
sa grotte pour éviter la colère des habitants de Perloz,
elle fit tomber une pluie abondante, qui grossit terriblement le torrent
de Réchanté.
Alors elle s'assit sur l'eau avec son enfant, et descendit ainsi jusqu'au Lys,
dont elle arrêta le cours pendant quelques temps.
Lorsque les eaux accumulées eurent formé un lac, elle s'assit
majestueusement dessus, lâcha les eaux qui la portaient et descendit ainsi
le cours du Lys pour rejoindre la Doire.
Les habitants de Pont-Saint-Martin, étonnés de voir pendant quelque
temps le lit du torrent à sec, après un orage considérable
sur les hauteurs, s'étaient portés sur le pont, lorsque tout à
coup, ils virent apparaître au loin, dans le lit du torrent, une masse
d'eau considérable, pareille à une mer en marche.
La fée s'avançait sur les flots et le pont était menacé
d'être emporté, lorsque les habitants s'écrièrent
:
« Baissez-vous, la Belle, et nous laissez le pont ! »
La fée, flattée de l'éloge à sa beauté, passa
sans endommager ni le pont ni le bourg.
On raconte dans le pays de Fontainemore une légende à peu près
semblable.
L'immersion des objets sacrés ou des statues de divinités
protectrices dans le fleuve ont été relevée plusieurs fois
dans le Sud-ouest.
En 1784 lors d'une grande inondation, les habitants de Blagnac forcèrent
le curé à se transporter processionnellement sur les bords de
la Garonne, à y plonger la croix de la paroisse et à y jeter une
image du patron, saint Exupère, ce qu'il fit en disant à haute
voix en manière de protestation :
« Tiens, tiens noie-toi, pauvre Exupère. »
Naguère encore, quand les eaux de la Garonne s'élevaient d'une
manière excessive, on allait prendre dans l'église de la Dorade,
à Toulouse, une vierge noire dont on baignait les pieds dans les
eaux du fleuve qui s'abaissait aussitôt.
Les rivières de la Gascogne étaient la résidence de sirènes,
dont J. F. Bladé en a donné une description un peu littéraire.
« Les sirènes du Gers ont des cheveux longs et fins comme la soie,
et elles se peignent avec des peignes d'or.
De la tête à la ceinture, elles ressemblent à de belles
jeunes filles de dix-huit ans.
Le reste du corps est pareil au ventre et à la queue des poissons.
Ces bêtes ont un langage à part pour s'expliquer entre elles.
Si elles s'adressent à des chrétiens, elles parlent patois ou
français.
Elles vivront jusqu'au Jugement dernier.
Certains croient qu'elles n'ont pas d'âme mais beaucoup pensent qu'elles
ont dans le corps les âmes des gens noyés en état de péché
mortel.
Pendant le jour, elles sont condamnées à vivre dans l'eau.
On n'a jamais pu savoir ce qu'elles y font.
La nuit elles remontent par troupeaux et folâtrent en nageant,
au clair de lune.
Alors elles s'égratignent et se mordent pour se sucer le sang.
Au premier coup de l'Angélus, elles sont obligées de rentrer
sous l'eau.
Force bateliers ont vu des troupeaux de sirènes dans la Garonne. Elles
chantaient, tout en nageant, des chansons si belles, que vous n'avez jamais
entendu ni n'entendrez jamais les pareilles.
Par bonheur, les patrons des barques se méfient de ces chanteuses.
Ils empoignent une barre et frappent à tour de bras sur les jeunes mariniers
qui sont prêts à plonger pour aller trouver les sirènes.
Mais les patrons ne peuvent avoir l'il partout. alors les sirènes
tombent sur les plongeurs, elles leur sucent la cervelle et le sang, et leur
mangent le foie, le cur et les tripes.
Les corps des pauvres noyés deviennent autant de sirènes jusqu'au
Jugement dernier. »
Un jeune tisserand si passionné pour la pêche qu'on lui avait
donné le surnom de Bernard Pêcheur ou
martin-pêcheur, étant descendu vers trois heures du matin
pour poser ses lignes de fond dans le Gers, entendit à cent pas de la
rivière des cris et des rires de jeunes filles.
« Au diable ! pensa-t-il, les filles de Castéra sont venues se
baigner ici. Elles auront épouvanté le poisson. »
Il s'approcha doucement en se cachant derrière les saules, pour bien
les voir, sans leur donner à comprendre qu'il était là.
Elles se peignaient avec des peignes d'or, ou elles nageaient et folâtraient
au clair de lune.
Bernard Pêcheur entendait leurs cris et leurs rires.
«Diable m'emporte, dit-il, si je connais aucune de ces jeunes filles et
si je comprends un seul mot de ce qu'elles disent ! »
La pointe de l'aube n'était pas loin, lorsqu'une des baigneuses
l'aperçut et cria :
« Un homme ! »
Aussitôt toutes se tournèrent vers l'indiscret :
« Bernard Pêcheur, mon ami, vient nager avec nous !
Mère de Dieu ! je suis tombé sur un troupeau de sirènes
! »
Alors les sirènes commencèrent une chanson si belle que Bernard
Pêcheur était forcé de se rapprocher de l'eau de plus en
plus.
Il était au bord de la rivière, et allait plonger sans le vouloir,
quand les cloches de l'église de Castéra sonnèrent le premier
coup de l'Angélus.
Aussitôt les sirènes finirent leur chanson, et se cachèrent
sous l'eau.
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