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Quelques fontaines font oublier les peines de cur, les chagrins
ou la haine.
Il y en a deux dans les Ardennes, peu distantes l'une de l'autre;
l'amoureux qui a perdu espoir d'épouser sa belle va boire un verre d'eau
à la fontaine de Valacon, puis un second à celle d'Argent,
et il est dès lors délivré de sa passion.
D'après une légende de Guernesey, les fées des mégalithes,
des hougues et des cavernes, voyant leurs demeures envahies par les sorciers,
leurs ronds de danse foulés par leurs pieds, et leurs amis, les hommes
et les animaux en butte à leurs conjurations et à leur charmes,
s'assemblèrent à l'Ancresse, et s'étant convaincues qu'elles
ne pouvaient rien contre ceux qui troublaient leur bonheur, elles résolurent
de faire disparaître la mémoire de leur passé en buvant
à la fontaine de l'oubli.
Elle était située tout en haut d'un grand amas de rochers qui
surgissait de la mer à l'extrémité de la baie;
ses eaux étaient fraîches en été et tièdes
par les plus grands froids.
Elles se rendirent en triste procession au rocher, et après l'avoir escaladé,
elles burent à la fontaine.
Mais pour elles, elle n'avait pas de vertu;
alors désespérées de ce que l'oubli lui-même leur
était refusé, elles prirent la résolution de se suicider,
et arrivées à l'endroit où se dressait un ancien monument
des druides, elles se pendirent avec des tresses d'herbe.
En plusieurs pays, on attache une idée de bonheur à l'eau puisée
aux fontaines à certains jours de l'année.
Dans les Alpes et en Franche-Comté, l'heure de minuit du premier de l'an
est surtout propice :
les Franc-comtois attendent avec impatience qu'elle ait sonné pour être
les premiers à boire à la fontaine où à donner de
son eau à leur bétail, car ils croient que la première
personne qui absorbe la fleur ou la crème de l'eau sera
heureuse tout l'année;
si ce sont les bêtes elles engraissent où prospèrent à
souhait.
L'abondante fontaine de Durstel, en Alsace, donne du bonheur à celui
qui peut prendre la première eau qui y coule le premier janvier.
Le samedi saint, en Provence, au moment où les cloches se remettent à
carillonner, les femmes viennent en foule chercher de l'eau à la fontaine,
persuadées que la famille qui la boira sera préservées
de maladies et d'accidents pendant toute l'année.
Au Canada on trouve une croyance analogue :
"On allait chaque année à la cueillette de l'eau de Pâques.
Cette eau ne se corrompt pas; elle guérit les bobos et d'autres maladies.
Il fallait se rendre au ruisseau et prendre de l'eau au rebours du courant,
juste avant le lever du soleil".
(Sur Marie-Ursule "Civilisation traditionnelle des
Lavalois" page 84).
On trouve dans les contes des similaires de la fontaine de Jouvence;
ordinairement un vieux roi envoie ses fils à la recherche de l'eau qui
rajeunit ou qui « ramène les vieilles gens à l'âge
de quinze ans », et qui ne peut être prise que dans une fontaine
de l'accès le plus difficile.
On racontait, dans le Jura, qu'il y avait jadis vers Chatenois une fontaine qui rajeunissait les femmes, pourvu qu'elles eussent été un an et un jour fidèles à leur mari.
On a assez rarement relevé les signes grâce auxquels les paysans
reconnaissent si l'eau est saine ou malfaisante.
Dans le Cantal, elle est réputée mauvaise si l'on y voit des salamandres
aquatiques, des scorpions d'eau, des sangsues ou autres bêtes réputées
venimeuses.
Elle n'est pas malsaine si des petites bêtes noires à quatre pattes,
qui ont la propriété d'absorber le venin, voyagent à sa
surface, ou si l'on y voit des grenouilles.
Le crachat sert aussi à s'assurer de la bonne qualité
de l'eau;
en Haute-Bretagne et en Auvergne, si la salive s'étend, on peut en boire
sans crainte.
On a constaté, en plusieurs pays de France, et notamment en Eure-et-Loir,
l'usage d'immerger les enfants dans les sources lorsqu'on ne sait plus
quel traitement leur appliquer.
On les conduit, pour les maladies de langueur, à la fontaine de
Notre-Dame de Gallardon.
Celle de Saint-Odoir commune de Saint-Priest, est connue sous le nom de Fontaine
d'aller ou venir.
On plongeait, nus, ces petits êtres malingres, dans l'eau glacée,
et leur sort devait se décider sur-le-champ :
ils guérissaient aussitôt ou mouraient.
Inutile d'ajouter qu'ils résistaient rarement à cette immersion.
On baignait autrefois ceux qui étaient atteints de la fièvre,
vers le temps de Noël, dans une fontaine très fraîche à
Lury (Berry);
la moitié au moins succombait à l'épreuve.
La pratique qui consiste à envelopper le malade dans un linge
mouillé dans la fontaine miraculeuse est très répandue.
A la fin du XVIIIème siècle, pour préserver les enfants
de tous les maux, on leur mettait sur le corps la chemise humide
de l'eau de la source réputée.
Voici une pratique de l'Ille-et-Vilaine qui peut être faite à
n'importe quelle fontaine :
pour guérir la fièvre, il faut aller chercher de l'eau
au coucher du soleil, la mettre à passer la nuit dehors dans un verre,
et la boire le lendemain matin, avant que le soleil soit levé.
Ceux qui ont des maux de tête vont invoquer saint Gueltas, dont
la fontaine avoisine la chapelle qui porte son nom, en Carnoët;
après avoir embrassé les deux chiens qui accompagnent la statue,
les pèlerins boivent l'eau de sa fontaine.
Des preuves matérielles, que l'on rencontre assez fréquemment,
attestent d'une manière incontestable l'antiquité de cette partie
du culte des eaux et sa persistance à travers les âges.
Les sources ont été de bonne heure des centres d'offrandes, car
on y recueille des objets de silex en bon état, parfois sous une accumulation
d'objets postérieurs, assurément votifs, notamment des
monnaies modernes.
En curant des fontaines anciennes, on a aussi rencontré des ustensiles
de toilette féminine, surtout des épingles, qui y avaient
été offertes à des âges variés, puisqu'on
y retrouvait des antiques épingles en os et en bronze, qui y avaient
été jetées bien des centaines d'années avant celles,
en laiton industriel, de la couche supérieure.
Les causes qui motivent ces oblations aux fontaines sont assez variées
:
un petit nombre ont trait à l'amour, ou à la chance, la plupart
ont pour but d'éloigner ou de prévenir les maladies.
Il semble que parfois l'on croit que la maladie est transmise aux offrandes,
ou qu'il est dangereux de s'emparer de celles qui ont été faites
par les visiteurs.
Les passants qui recueillaient l'argent lancé dans la Font-Dolent,
à Varennes-sous Dun, prenaient les fièvres laissées par
les malades.
La pratique qui consiste à transmettre à un uf le
mal dont on veut se délivrer est assez fréquente;
les fiévreux mettent un uf de poule fraîchement pondu dans
la fontaine de Notre-Dame-de-Lille à Kergrist-Moellou;
il n'y a plus qu'à attendre que l'uf soit pourri;
alors la fièvre aura entièrement disparu.
Aux environs de Rennes, pour faire passer les verrues, on lance des
pois, au soleil levant, dans une fontaine;
quand ils sont pourris, les verrues s'en vont.
Dans le pays fougerais, c'est aussi en raison d'une analogie de forme et de
nom que, pour se débarrasser d'un orgelet, on jette un grain d'orge
dans une source;
à mesure qu'il pourrit le mal se dissipe.
L'usage de suspendre des objets de diverses natures aux branches des arbres
qui avoisinent les fontaines miraculeuses est très répandu;
ceux qui l'observent semblent parfois croire qu'il est nécessaire à
la guérison de la maladie pour laquelle on a fait le voyage.
Nos ancêtres attribuaient
des vertus surnaturelles aux eaux des fontaines dédiées aux
divinités. Ils venaient pour recouvrer la santé; ils y pratiquaient certains rites religieux en l'honneur des nymphes et des dieux qui présidaient aux sources sacrées; ils laissaient dans leurs eaux, comme offrande, quelques pièces de monnaie; les pauvres y jetaient un clou. C'est ainsi que le lac sacré de Toulouse contenait des trésors immenses, offrandes de plusieurs générations, et dont les Romains s'emparèrent en le desséchant. (Félix Chapiseau) |
Des âmes en peine sont assez fréquemment associées aux
puits :
une ombre blanche se penche parfois au-dessus de celui du château de Montafilant,
près de Corseul.
On croit qu'elle y descend, car on assure que peu après, l'on entend
compter des pièces d'or; cette ombre est celle d'une dame de la maison
de Dinan, que son écuyer vendit pour une somme d'argent, et elle
vient réclamer à ce serviteur infidèle le prix qu'il a
reçu pour sa trahison.
Une légende de Basse-Bretagne parle d'une âme en peine
qui faisait pénitence dans une citerne;
une servante, pour amuser un enfant, y ayant lancer des cailloux, ceux-ci furent,
quelques instants après, rejetés avec violence sur les
murs et dans les fenêtres de la maison.
Le soir, une vieille femme toute trempée vient à l'endroit où
était la servante, et lui demande de lui permettre de se réchauffer;
elle y vient une seconde nuit.
A la troisième apparition, la servante, par le conseil du recteur, lui
demande pourquoi ses vêtements étaient si humides;
alors la morte lui apprend que, depuis cinquante ans, elle faisait pénitence
dans la citerne, et qu'elle ne pouvait en sortir qu'à la condition d'avoir
dans la main une pierre de secours lancée par un vivant.
Les puits servent aussi de repaire à des serpents fantastiques;
une femme venue pour cueillir de l'herbe dans la cour du château de Vernon,
dans la Côte-d'Or, avait apporté son enfant et l'avait déposé
sur la terre. Mais elle avait à peine commencé son ouvrage qu'elle
vit briller sur la pelouse une grande quantité de pièces d'argent;
elle s'empressa de les ramasser et d'en remplir son tablier. De retour à
la maison elle se débarrassa de son argent et s'aperçut qu'elle
avait oublié son enfant; elle retourna le chercher, mais il avait disparu.
Elle alla alors consulter le curé de Laroche-en-Breil, qui connut bien
que c'était la Vouivre qui avait enlevé l'enfant;
il dit alors à la mère de conserver exactement l'argent et surtout
de ne pas y toucher, pour le rapporter l'année suivante, le même
jour et à la même heure, et qu'alors la Vouivre lui rendrait son
nourrisson.
Elle fit exactement ce que lui avait conseillé le curé, et elle
retrouva son enfant bien portant et grandi, assis à la même place
où elle l'avait déposé l'année précédente.
Pendant longtemps on a attribué les exhalaisons méphitiques
qui s'échappent des puits, ou celles qui asphyxient ceux qui y descendent,
à la puissance fascinatrice d'un serpent que l'on appelait basilic.
Ordinairement ce reptile, ainsi que ses congénères surnaturels,
causent la mort de ceux qu'il voit le premier;
mais il crève s'il est tout d'abord aperçu par un homme.
Plusieurs légendes racontent comment des gens avisés firent périr
par ruse quelques-uns de ces serpents.
En Gascogne, l'eau d'un puits, jusque-là claire et limpide, étant
devenue toute trouble, le propriétaire était sur le point de faire
venir des ouvriers pour le curer, lorsque sa servante lui dit d'attendre quelques
instants.
Elle alla chercher un petit miroir et cria :
« Maître, venez au puits ! »
Elle tourna son miroir vers le soleil, dont la lumière rayonna
jusqu'au fond;
le basilic leva la tête, le miroir lui montra son image et aussitôt
il creva.
C'est par le même moyen qu'on se débarrassa, en Franche-Comté
et en Auvergne, de basilics qui faisaient mourir tous ceux qui allaient puiser
de l'eau dans certains puits.
Dans ce dernier pays, on craint encore un diminutif du serpent si redouté
au Moyen-Age :
c'est un petit reptile, appelé souffle, qui vit dans les puits
et tue par son haleine l'homme qui s'en approche, s'il est le premier à
le voir.
Les exhalaisons lumineuses qui parfois s'échappent des puits
semblent être l'objet de peu de croyances légendaires;
dans la cour du château de Prémorvan à Pluduno (Côtes-d'Armor),
on voit quelquefois paraître, près d'un puits ancien, un cierge
qui brûle, la lumière tournée vers le sol.
Quand il s'éteint, on peut être sûr qu'il y aura, dans les
douze heures, un mort dans le village voisin.
Dans un jardin, près de la ferme de Montchevrin, une commune de Pouzy
(Allier), qui a peut-être remplacé un château, est un puits
très ancien et fort profond.
si l'on y descendait on verrait un peu au-dessus du niveau de l'eau
qui, parait-il est toujours agitée dans la muraille, une porte
de fer qui ferme l'entrée d'un souterrain se rendant au château
de Pouzy et de là à celui de la Coudraie.
En raison de leur forme ronde qui constitue un pavillon, les puits recueillent
les sons qui parfois proviennent de loin, et ceux qui se penchent sur leur ouverture
peuvent entendre des sonorités qu'ils ne perçoivent plus dès
qu'ils ont quitté ces bords.
La veille de toutes les grandes fêtes chrétiennes, à la
tombée de la nuit, on entend des cloches qui carillonnent au fond.
Et chaque fois qu'une guerre éclate quelque part en Europe, penché
au-dessus de l'ouverture, on perçoit des roulements de tambours, des
sonneries de clairons, des bruits de fusillades, des grondements de canons,
des plaintes de blessés, des râles de mourants.
De nombreuses traditions parlent de trésors jetés dans
les puits des anciens châteaux, lors des guerres féodales ou dans
les moments d'extrême danger.
Une porte, au fond du puits de la Motte du Parc (Côtes-d'Armor), conduit
à un souterrain où sont toutes les richesses et toutes les armes
du baron de ce nom;
mais jusqu'ici personne n'a été assez hardi pour aller les chercher.
Ces trésors, même quand on peut les découvrir, ne sont pas
faciles à prendre, parce qu'ils sont sous surveillance d'esprits ou de
monstres.
Dans le puits du château de Nidor, une dame verte garde ceux qui
y sont enfouis;
sa bouche est pleine de feu et elle empêche toute personne d'approcher.
La grande citerne qui existe encore sous les ruines du château
de Vaugrenans contient un trésor sur lequel veille un animal redoutable.
Trois garçons de Pagny ayant été y faire des fouilles,
leur lanterne s'éteignit à peu près vers, minuit, renversée
par un animal qui s'attira de dessous les décombres;
il les chargea tous trois sur son dos velu, et les emporta dans les airs. Il
alla déposer le premier au-dessus du Mont-Poupet, il porta le second
au milieu de la forêt de Chaux, et le troisième dans les fossés
du château de Vadans.
Le puits de la cathédrale de Chartres fut jadis le théâtre
d'un miracle :
il était situé dans la crypte, et l'on y avait jeté, lors
de la dernière persécution païenne, les corps des chrétiens
martyrisés.
A une époque très postérieure, pendant qu'on faisait la
procession dans la crypte, un enfant de chur tomba dans ce puits et il
fut impossible de retrouver son corps.
Mais l'année suivante, lors de la même procession, on fut étonné
de le revoir, vêtu de son aube, qui n'était point mouillée,
et tenant son cierge à la main.
Il déclara qu'au moment de sa chute, une belle dame, vêtue de blanc,
l'avait reçu dans ses bras, l'avait soignée pendant toute l'année
et l'avait ensuite remis à sa place.
Les puissances infernales sont parfois en relation avec les puits;
on racontait, à Tulle, qu'une jeune fille de la ville ayant confessé
au père Bridaine qu'elle avait jeté dans un puits les cadavres
de ses enfants, il lui enjoignit d'aller faire trois prières sur le puits,
en lui promettant de l'accompagner de loin.
La première fois, elle entendit un grand bruit, comme des miaulements;
la seconde, comme des cris d'enfants qu'on égorge.
Elle voulut s'enfuir; le prêtre la prit par la main et s'agenouilla près
d'elle.
Ils avaient à peine commencé leur prière, quand, dans une
lueur intense d'où s'échappait une forte odeur de soufre, le diable
apparut.
Le père Bridaine s'écria :
« L'âme à Dieu, le corps à moi, la tête au
diable ! »
Et subitement la mère meurtrière de ses enfants fut décapitée,
tandis que la vision s'évanouissait et que le cadavre sans tête
de la femme restait aux mains du prédicateur atterré.
Suivant une des nombreuses traditions qui s'attachent au Grand Puits de
la cité de Carcassonne, Satan aurait précipité dans
ses profondeurs sept archers qui avait médit des Apôtres et du
bienheureux saint Gimer.
Etant en liesse dans les rues pendant la nuit, ils rencontrèrent un âne
couvert d'une riche housse.
Ils s'en emparèrent et, l'un après l'autre, montèrent sur
son dos.
L'animal semblait grandir à mesure qu'ils prenaient place, de telle façon
qu'ils purent s'asseoir tous.
Alors la belle housse se changea en drap funéraire, et l'étrange
monture reprit sa course;
Après une station au cimetière, où les tombes se soulevèrent,
laissant passage aux trépassés qui entonnèrent un chant
funèbre, l'âne monstrueux se présenta sur la Place du
Grand Puits et se jeta dans les profondeurs du gouffre avec les sept archers.
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