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Aux yeux du peuple, la Révolution est une sorte de jalon chronologique,
pratiquement le seul qu'il connaisse réellement.
C'est ainsi qu'en Haute-Bretagne, des conteurs font remonter à
peu près à l'époque révolutionnaire le départ
des fées, qui, pour d'autres, coïncide avec la fin du 18ème
siècle.
En Lorraine, « avant la Révolution » indique une date éloignée,
une époque où rien ne ressemblait à ce qui existe
à présent.
Elle fut, comme tous les grands événements, annoncée
par des prodiges :
un peu avant 1789, il y eut en Bretagne de terribles batailles entre les chats
du pays sur la lande de Meslin et sur les coteaux du Mené.
En Périgord et en Saintonge, la chasse fantastique (voir
page : astres 4, les chasses aériennes)
parcourut les airs en 1789 et en 1792.
La figure de N.-D. de Nanteuil se montra avec des traits attristés
et des larmes coulèrent de ses paupières.
Plusieurs de ces pronostics furent vraisemblablement enregistrés, comme il arrive d'ordinaire, après coup, lorsque la Révolution, qui d'abord avait été pacifique, fut entraînée par le choc des partis à des actes de violence.
La coutume symbolique des arbres de la Liberté remonte à
cette lune de miel des temps nouveaux.
Peut-être fut-elle inspirée par un souvenir inconscient de l'ancien
culte des arbres, ou par une imitation des « mais », dont
l'usage n'était pas limité à la célébration
du printemps.
La première plantation fut faite, d'après le Moniteur du
25 mai 1790, par le curé de Saint-Gaudens près de Civray,
qui prononça un discours patriotique.
Les plantations se multiplièrent surtout vers 1792, au moment où
la guerre était à l'extérieur des frontières.
Un contemporain assure que le nombre s'éleva à plus de soixante
mille.
Le chêne fut généralement choisi, et il est même
formellement indiqué dans les instructions.
Les historiens du temps indiquent que beaucoup de ces arbres furent coupés
par les royalistes.
Des fleurs devinrent aussi des emblèmes politiques;
la rose et le thym étaient des fleurs républicaines;
le lys représentait la royauté, un illet rouge
était le signe de ralliement de la conspiration du chevalier de Maison-Rouge.
Le souvenir de la Terreur subsiste plutôt
dans les appellations que dans les légendes;
en Limousin, on la désignait sous le nom de Las Paous, l'an de
la Peur;
dans le Forez, elle portait celui de Paurassie;
dans le Centre, on l'appela tout simplement La Peur.
Une vieille dame du Périgord, tante de Jules
Claretie, lui contait que le « jour de la peur », du temps de
la Révolution, toutes les cloches de France sonnèrent le
tocsin à la fois, comme si magnétiquement la panique
se fût répandue dans le pays.
En Auvergne, elles sonnaient toutes seules dans tous les villages à
la fois;
les gens s'étaient retirés dans les bois et enterraient sous la
mousse tout ce qu'il avaient de précieux.
En 1793, le bruit se répandit que l'évangéliste saint
Marc était apparu sous un arbre antique de la lande de Lanfains
(C.-d'A.).
D'innombrables curieux accoururent; plusieurs affirmèrent avoir
vu l'Apôtre, l'avoir entendu même.
Ceux qui jouèrent les premiers rôles dans le drame révolutionnaire
paraissent à peu près ignorés du peuple.
A la destinée tragique de la famille royale se rattache un seul
trait folklorique, qui est depuis longtemps oublié, et dont la
mention de la source n'est pas certaine.
Le matin qui suivit le départ de Louis XVI
pour Varennes, on vit le petit Homme rouge des Tuileries couché
dans le lit du roi.
Ce lutin se serait montré plusieurs fois, notamment en 1793, et l'on
dit qu'un soldat, qui gardait les restes de Marat aux Tuileries, mourut
de peur en l'apercevant.
En Lorraine, pour indiquer une époque troublée et dangereuse,
on dit :
« Ç'at comme au temps d'Robespierre. »
Cet homme, qui eut pendant plusieurs années une popularité
sans égale, ne figure plus que dans quelques comparaisons :
« Saoul comme la bourrique à Robespierre » où il a pris la place du diable,
« Maigre comme la bourrique à Robespierre », qui s'applique, dans la Gironde, aux gens remarquables par leur maigreur.
De cette période, la tradition a surtout retenu les faits qui accompagnèrent
les troubles religieux et les guerres civiles, et un assez grand
nombre, que l'on raconte encore, ont pris une forme légendaire dont les
éléments sont souvent empruntés à des récits
beaucoup plus anciens.
En ce qui concerne le clergé, la plupart des traits ont été
relevés dans l'Ouest;
ils visent surtout les actes de violence exercés à l'égard
des prêtres, et qui atteignirent à la fois ceux qui avaient
refusés d'accepter la constitution civile, et ceux qui y avaient adhéré.
D'après l'opinion populaire des environs de Liffré (I-et-V.),
beaucoup de meurtres des prêtres auraient été commis
par les chouans.
En ce qui concerne le clergé non assermenté, plusieurs furent
mis à mort par les bandes royalistes.
Le peuple n'a pas distingué entre eux.
Dans l'Ouest, ces prêtres étaient exposés à toutes
sortes d'avanies, et leur position était moins enviable peut-être
que celles des prêtres réfractaires.
Quelquefois on plaçait clandestinement dans le tabernacle de leur église
un chat noir qui sautait brusquement pendant la messe.
C'est le diable, criaient les paysans, et tout le canton s'insurgeait.
(V. Hugo)
La courte légende qui suit est une des seules qui se rattache
aux célébrations clandestines du culte après la
fermeture des églises.
Un jour que le curé de Saint-Martin-de-Vitré allait finir la messe
qu'il disait en cachette dans une maison de la ville, les bleus
survinrent;
le prêtre s'échappa par une fenêtre qui donnait sur
le jardin, et les fidèles ramassèrent le calice et les
ornements dans une armoire.
Lorsqu'elle eut été ouverte par ceux qui faisaient la perquisition,
on vit que des toiles d'araignées s'y étaient formées
et dérobaient aux regards les objets sacrés.
Plusieurs prêtres se cachèrent dans des maisons où se trouvaient des pièces dissimulées dans la maçonnerie, ou obtenues par de faux plafonds et qui portent encore le nom de chambre de prêtre, ou cachette de prêtre.
Les maisons, où furent commis des meurtres de prêtres,
sont hantées.
Depuis que l'un d'eux a été tué dans une ferme à
Hénansal (C.-d'A.), on entend, tous les soirs à la même
heure, dans le grenier un bruit pareil à celui que fait un sac de pomme
de terre que l'on décharge;
un jour on lava le grenier, et à l'endroit même d'où
semblait sortir le bruit, on vit une large tache de sang.
C'est en vain que l'on a essayé de l'effacer :
elle persiste toujours et elle est aussi fraîche que si le sang
avait été répandu la veille.
A Courbeville, dans la Mayenne, on ne peut non plus faire disparaître l'empreinte que laisse sur une porte la main sanglante d'un noble ou d'un prêtre surpris avec d'autres dans une cachette.
Les habitants d'une ferme de Soudan (Loire-inf.) étaient réveillés
toutes les nuits par des chants d'église, ou des bruits indéfinissables;
le fermier fit démolir un mur, derrière lequel il paraissaient
se produire, et l'on y trouva des ornements sacerdotaux, qui y avaient
été murés pendant la Révolution.
On disait qu'un prêtre, caché dans ce logis, avait été
découvert et tué par les bleus;
on porta les ornements à l'église, on fit dire des messes, et
tout bruit cessa.
A Bourg-des-Comptes (I-et-V.), on voit la nuit cheminer lentement dans
un petit chemin creux un prêtre décapité en cet endroit.
En Poitou, dans la commune de Saint-Laur, un prêtre sans tête
se promenait avec son bréviaire.
C'était le fantôme d'un curé dont on avait, dit-on, fait
sauter la tête à coups de boules après l'avoir enterré
jusqu'au cou.
Des récits populaires assez nombreux se rapportent à la profanation
des églises, aux statues insultées ou mutilées,
à la démolition des édifices sacrés ou des croix.
En cent endroits de la Provence, on raconte que telle statue projetée
à terre a saigné, parlé, remué, que telle
bête a parlé et manifesté son respect pour les choses de
la religion que les hommes profanaient, que tel oratoire a été
éclairé d'une lumière surnaturelle pendant la nuit.
En Franche-Comté, un brigadier de gendarmerie qui avait attaché
son cheval à la table de communion, et l'avait fait communier,
fut quelques années plus tard broyé par cet animal qui,
se frappant lui-même la tête qui avait été communiée,
s'assomma sur le corps de son maître.
(Au temps de l'épiscopat de saint Félix,
un soldat, ayant fait amener son cheval dans l'église de Saint-Nazaire,
monta dessus pour s'emparer du baudrier d'or que portait la statue, mais il
n'eut pas plutôt donné des éperons à son cheval qu'il
alla donner de la tête au haut de la porte de sorte que le crâne
brisé, il tomba à terre et mourut incontinent.)
A. Le Grand
Lorsque, en 1793, on voulut faire entrer des chevaux dans la cathédrale
de Toulon transformée en écurie, le premier qui fut introduit
sous la porte se mit à ruer et étendit raide mort son palefrenier.
Si on demande aux bonnes âmes pourquoi un enfant Jésus de la cathédrale
de Toulon a le bras gauche rompu, elles répondent que l'homme
chargé de la destruction des statues était monté sur un
échafaudage;
au premier coup de marteau qu'il lança, il rompit le bras, mais
perdant l'équilibre, il se rompit le bras exactement au même endroit.
( Lorsqu'en 1187 les Cotereaux entrèrent
à Déols, l'un d'eux lança à la Vierge une pierre
qui brisa le bras de l'Enfant-Jésus, des deux fragments le sang se mit
à couler, la terre fut arrosée et le coupable mourut.)
E. de Bourbon
Les démolitions d'églises sont l'objet de quelques légendes.
Lorsque, pendant la Révolution, les montagnards voulurent détruire
celle de Châtel-Montagne que les fées avaient bâtie,
ils avaient déjà abattu une grande partie du clocher, lorsque
l'un d'eux voulut enlever une pierre d'arête de fort petite dimension;
elle résista comme si elle eût été scellée,
quoiqu'elle ne fut pas adhérente.
Ses compagnons se joignirent à lui, mais ce fut peine perdue.
L'un d'eux, saisi d'épouvante, s'écria :
« Arrêtez ! c'est la pierra do diable. »
Il n'avait pas achevé que tous furent pris d'un tremblement nerveux,
et essayèrent en vain de descendre par les échelles;
leurs membres étaient comme paralysés, et l'on dut les
ligoter et les descendre au moyen d'une poulie.
Après la destruction du couvent des Jéromistes de Fumay
en 1793, un habitant prit la marche de pierre de la chapelle pour la
placer à l'entrée d'une maison qu'il faisait construire
avec les pierres du couvent.
La première fois qu'il entra dans cette maison, appelée depuis
la maison maudite, il glissa sur cette pierre, tomba et se cassa la jambe.
Les pierres d'une chapelle de Saint-Servais près de Combrit,
ayant été après la Révolution achetées par
un cultivateur qui les employa à la construction d'une écurie,
on ne put jamais y tenir attachés ni bufs ni vaches ni chevaux.
A peine les y avait-on mis qu'ils brisaient leurs liens, allaient donner
de la tête contre les pierres de l'étable jusqu'à
ce que mort s'ensuive.
Les cachettes des nobles sont moins connues que celles des prêtres;
quelques-uns choisirent comme refuge des endroits réputés pour
leurs hantises;
M. de Chateaubriand du Val Guildo, parent de l'auteur des Martyrs, passa
plusieurs mois près du Guildo, soit dans les ruines de ce château
où apparaissait, dit-on le spectre de Gilles de Bretagne, soit
dans une sorte de pigeonnier au bord de la mer, tout près d'une
grotte où l'on voyait les fées.
Des fermiers du Bocage normand firent cacher leurs maîtres dans des grottes aux fées, et la Chambre à la Dame, près de Domfront, où une fée se montrait parfois, servit de retraite pendant plusieurs mois à une famille noble proscrite.
En Haute-Bretagne, les récits attribuent aux chouans la majorité
des actes criminels et des attentats contre les personnes ou les propriétés
commis à cette époque.
Ils enterraient les gendarmes jusqu'au cou et s'amusaient à jouer
aux billes en prenant pour but leurs têtes, brûlaient à
petit feu les acquéreurs de biens nationaux ou chauffaient les
femmes qu'ils faisaient asseoir, les jupes retroussées, sur les tuiles
à galettes, pour les forcer à découvrir la retraite de
leurs hommes ou la cachette où était leur argent.
Voici, parmi les histoires de meurtres, celles qui présentent
quelque caractère légendaire.
Sur les dalles de la petite chapelle Sainte-Croix, à Josselin, des moisissures
rouges marquent la trace du sang de deux jeunes paysans tués par
les bleus et dont les cadavres furent déposés à cet endroit.
A la barrière de la Châtaigneraie, en Gennes, se montre parfois,
la nuit, un spectre noir portant un cercueil sur ses épaules
:
c'est là que furent enterrées sommairement cinq femmes
que les chouans avaient saignées à la gorge.
En Poitou, le fantôme à cheval d'un gendarme pris par les
chouans, attaché à un arbre et achevé après
mille cruautés, vient la nuit visiter le lieu de son supplice,
en poussant des cris épouvantables.
Il commença à paraître peu de temps après sa mort,
et ceux qui avaient entendus ses cris, lorsqu'il subissait ce martyr,
croyaient reconnaître sa voix.
A Laillé, un chef de chouans, Théaudière, dit Vive la Joie, s'était fait aimer d'une meunière, qui rendait d'incontestables services aux chouans, car suivant que les ailes de son moulin étaient en croix ou en forme d'X, les blancs savaient que les bleus étaient plus ou moins éloignés.
Sur les côtes de Bretagne, les guerres maritimes de la Révolution
et de l'Empire sont l'objet de quelques récits.
Sur le littoral, l'opulence des corsaires est restée proverbiale;
ceux de Saint-Malo étaient si riches qu'ils fricassaient des piastres.
Mais les gens n'ajoutent pas, comme Chateaubriand,(Mémoires
d'Outre-Tombe) qu'après les avoir fait sauter dans la poêle,
ils s'amusaient à les jeter aux gamins, pour se donner le plaisir de
voir les grimaces qu'ils faisaient en se bousculant et en se brûlant
pour les attraper.
On racontait jusqu'à ces derniers temps des anecdotes qui se rattachaient
aux pontons.
Un marin, pour ne pas mourir de faim, se dévora les mollets;
un matelot de Saint-Cast avait été tellement secoué à
bord d'une de ces prisons flottantes que, pendant toute sa vie, il ne pouvait
s'empêcher d'imiter en marchant le mouvement d'un bateau à
l'ancre tourmenté par le roulis.
Il y avait d'anciens marins, jadis captifs sur les pontons, dont le rêve
était de manger, avant de mourir, le cur d'un Anglais,
tout cru.
L'un d'eux, étant sur son lit de mort, pensa faire à son confesseur
une grande concession, en déclarant qu'il se contenterait de le
manger cuit.
Napoléon a été désigné par des sobriquets.
Ses soldats l'appelèrent :
Le Petit Caporal, le petit Tondu, le père la Pensée.
Un autre surnom, celui de Père La Violette, lui avait été
donné par eux lors de son séjour à l'île d'Elbe,
parce qu'ils disaient qu'il reviendrait avec les violettes, c'est-à-dire
avec le printemps.
(Après Waterloo, la gentille fleur partagea
la proscription du drapeau tricolore.)
Sous la Restauration, les bonapartistes, pour dérouter la police, se
servaient des termes :
l'Ancien, l'Autre.
En Provence ses ennemis, avant sa chute et surtout depuis, lui donnèrent
le nom de Nicolas qui, dans le Midi, est un des surnoms de Satan;
les royalistes en 1814 et 1815 l'y appelaient « Castagnié »
par allusion aux châtaigniers de la Corse.
A Vitré, on avait travesti son nom en celui de Bon à pendre, que les vieux légitimistes employaient naguère encore.
Le souvenir des effroyables tueries impériales était,
vers le milieu du 19ème siècle, encore très vivant
en Bretagne.
Les personnes âgées disaient qu'il n'y avait plus que des femmes
et des enfants pour cultiver la terre.
On sait qu'à aucune époque on n'a plus abusé du Te Deum.
Les paysans de la Haute-Bretagne l'appelaient énergiquement et justement
le Tue-hommes, ceux de Champagne un Tue des hommes.
En Basse-Bretagne, ce cantique d'action de grâces, chanté
après chaque victoire de l'empereur, était au moyen d'un
léger changement travesti en Tud éom, le besoin d'hommes,
et un couplet, basé sur une idée analogue, circulait en Franche-Comté
:
Te Deum
Il faut des hommes
Laudamus te,
C'est pour les tuer.
La légende personnelle, et pour ainsi dire biographique de Napoléon
ne peut être considérée, pour la plus grande partie, que
comme semi-populaire.
A sa naissance on avait rattaché un prodige analogue à, ceux qui
ont précédé celle de beaucoup de héros anciens et
modernes.
Sa mère avait rêvé que le monde était en feu
le jour de son accouchement. (Balzac)
Lorsqu'il était au faîte de sa puissance, on avait imaginé
qu'une étoile avait paru la nuit où il naquit, et l'on
contait qu'elle s'était représentée à lui la veille
de la bataille d'Austerlitz.
Lui-même parlait assez souvent de son « étoile ».
Un soir, dit-on, que le cardinal Fesch lui manifestait sa crainte de le voir
succomber, il ouvrit la fenêtre, lui montra une étoile dans
le ciel, et comme le cardinal déclarait qu'il ne l'apercevait pas, il
lui dit :
« Eh bien, moi je la vois » (comte de Ségur)
Il paraît certain que Napoléon croyait à l'influence
des jours; par une superstition de dates, il avait beaucoup tenu à rentrer
dans Paris le 20 mars, anniversaire de la naissance de son fils.
Il se serait bien gardé de livrer bataille ou de conclure un traité
le vendredi.
Pendant une de ses campagnes en Italie, ayant cassé par mégarde
le verre qui couvrait le portrait de Josephine, il crut y voir un mauvais présage
: il envoya un exprès pour avoir des nouvelles de sa santé et
ne fut rassuré qu'à son retour.
D'après une anecdote rapportée par un journaliste, il racontait qu'à Fontainebleau, dans la nuit du 19 au 20 mars, au moment de se mettre au lit, il se vit rompu en mille pièces par le fait d'une glace qu'une cause inconnue venait de briser, et dès lors, il considéra cet accident comme une cause surnaturelle, qui ne lui laissait pas d'espoir pour l'avenir.
La superstition populaire lui a attribué comme une sorte de génie
spécial.
Le Petit Homme rouge, qui avant lui s'était montré à
divers personnages, mais ne quittait guère le palais des Tuileries;
quand il est attaché à Bonaparte, il cesse d'être sédentaire,
et se transporte pour lui parler sur les points variés du globe où
se trouve son protégé.
Les recueils d'ana sur l'empereur s'étendent avec force détails
sur cet être mystérieux.
D'après une légende fort répandue dans les premières
années du 19ème siècle, Napoléon aurait dû
ses succès à la protection de l'Homme rouge, auquel il
était lié par un pacte conduit en Egypte pour dix ans,
la veille de la bataille des Pyramides, et renouvelé pour cinq ans seulement
quelques jours avant celle de Wagram.
Les Bonapartania donnent des détails sur cette première
entrevue;
la veille de la bataille, un petit homme vêtu de rouge, avec un chapeau
pointu de la même couleur, fit signe à Bonaparte de le suivre dans
une des pyramides, et lui annonça la victoire pour le lendemain.
Dans le désert de Syrie, l'Homme rouge lui apparut dans la montagne de Moïse pour lui dire :
« Ça va bien ! »
Au 18 brumaire, le petit Homme rouge devient un petit homme vert et conseille à Bonaparte son coup d'Etat.
Le vieux soldat, mis si curieusement en scène par Balzac
raconte qu'à Marengo, « le soir de la victoire, pour la deuxième
fois, s'est dressé devant lui l'Homme rouge qui lui dit qu'il
verrait le monde à ses genoux, et qu'il serait empereur des français,
roi d'Italie, etc.
Cet Homme rouge c'était une manière de piéton qui lui servait
à communiquer avec son étoile.
Moi, (dit Balzac) je n'ai jamais cru cela, mais l'Homme
rouge est un fait véritable et Napoléon en a parlé
lui-même et a dit qu'il lui venait dans les moments durs à
passer et restait aux Tuileries dans les combles.
Donc au couronnement, Napoléon l'a vu pour la troisième
fois, et ils furent en délibération sur bien des choses.
Sous la Restauration, l'empereur était l'objet à Paris
de quelques dires populaires :
il avait dans son gilet des poches de cuir pour pouvoir prendre le tabac
à poignées, il montait à cheval au grand galop l'escalier
de l'orangerie à Versailles. (C. Birotteau)
Aux yeux de ses soldats, Napoléon passait pour invulnérable
Le Mémorial de Sainte-Hélène fait allusion à
cette croyance, et en Normandie, vers le milieu du 19ème siècle,
on racontait qu'il charmait les balles.
En Canada, les forestiers disent qu'on tirait sur lui à boulets rouges,
qu'il les empoignaient à deux mains et les renvoyaient
sur les ennemis.
Les fidèles de Napoléon crurent que comme Arthur, Barberousse,
Charles le Téméraire, et d'autres héros, il n'était
pas mort, et qu'il ne tarderait pas à revenir.
Une pièce de théâtre jouée treize ans après
son décès reproduisait la croyance populaire :
« Lui mort ! ils ne le connaissent pas !
Il fait le mort, mais il creuse en dessous, il creuse, il creuse
vous savez que depuis six mois la police fait faire d'énormes crevasses
dans toutes les rues de Paris;
c'est qu'on le recherche; on sait que son souterrain va aboutir, et qu'il
sortira de son trou, à la tête de deux millions de nègres
pour le bonheur de la patrie. (A. Tousez)
Ceux qui disent qu'il est mort, on voit bien qu'ils ne le connaissent
pas !
Il restera dans une île de la grande mer, jusqu'à ce que l'Homme
rouge lui rende son pouvoir pour le bonheur de la France. (Balzac)
(Cette croyance exista aussi en Irlande, où l'on
prétendait qu'un de ses généraux s'était livré
à sa place comme le sire de Créqui à François Ier,
et que lui-même réapparaîtrait quand les temps seraient venus.)
Le peuple semble avoir été plus frappé de la gourmandise
des alliés que des faits autrement graves qui accompagnèrent les
occupations étrangères.
A Saint-Méen (I.-et-V.), plusieurs Prussiens moururent d'indigestion
pour avoir mangé trop de lard.
En Alsace, à la suite des invasions de 1814 et 1815, les Autrichiens
avaient reçu plusieurs sobriquets, qui, plus tard, par extension,
ont été attribués aux Allemands.
Ceux qui suivent faisaient allusion à leur goinfrerie :
Kostbeutel, poches à nourriture, knepfelbüch, ventre
à quenelles;
Eierküchefresser, mangeurs de couques, Pfanneküchfresser,
mangeurs de quenelles de pommes de terre, et plusieurs chansons populaires parlaient
de la gourmandise germanique.
Les Autrichiens, qui occupèrent Genève en 1814, y ont
laissé une réputation de malpropreté et de gloutonnerie
qui dure encore;
le proverbe « avoir un estomac d'Autriche » est toujours
usité.
(Qui a probablement été
formé d'après Estomac d'autruche)
On a donné aux Cosaques le sobriquet de Mangeurs de chandelles;
pendant longtemps le peuple de France racontait qu'ils s'en régalaient;
les vieux paysans du Hainaut leur attribuaient aussi ce singulier goût.
Durant tout le séjour qu'ils firent à Liège, on ne voyait
aucun enfant dans les rues parce qu'on avait répandu le bruit
qu'ils mangeaient les enfants.
En argot, Cosaque signifie un homme brutal et grossier.
Le petit Homme rouge des Tuileries se montra plusieurs fois avant l'assassinat du duc de Berry, et il apparut à Louis XVIII sur son lit de mort.
En certaines contrées, le peuple regardait Charles
X comme un imbécile;
dans le Blaisois, ce serait à cause de lui qu'on aurait donné
aux ânes le nom de Charles ou de Charlot;
à Paris, jusque vers le milieu du 19ème siècle, on disait
que quelqu'un dont la physionomie ne révélait pas une intelligence
bien éveillée :
« Il a l'air bête comme Charles X. »
La terrible épidémie cholérique de 1833 fit revivre
les anciennes superstitions qui avaient accompagnées les pestes
du Moyen Age;
des femmes rouges furent aperçues près de Brest, soufflant
la mort sur les vallées;
une mendiante appelée en justice soutint qu'elle les avait vues, qu'elle
leur avait parlé.
A Paris, le peuple prétendit qu'un parti occulte (les jésuites)
avaient empoisonné les eaux;
plus tard on s'en prit aux usines où les machines à vapeur sont
en activité, puis aux chemins de fer;
en 1884, lors d'une nouvelle apparition du fléau, on prétendit
qu'on jetait dans les rues des cartouches « chargées de choléra
».
Une bonne femme affirmait devant Béranger-Féraud, encore enfant,
quelle avait vu, de ses propres yeux, une statue de la Vierge pleurer
à chaudes larmes, quelques jours avant l'arrivée du fléau.
Quelques récits, en rapport avec la croyance des paysans bretons qui
sont persuadés que les saints descendent du ciel à certains
moment critiques, parlent de leur présence contemporaine sur terre.
Lors de l'exécution des décrets sur les congrégations,
une journalière de la Roche-Derrien prétendait avoir rencontré
une vieille femme qui, après lui avoir dit en breton :
« Il est temps que le monde change, car la main de mon fils se fatigue
», disparut subitement.
Suivant une variante, une mendiante, qui n'était autre que la Vierge
Marie, adressa ces paroles à des lavandières.
Vers la même époque, on voyait se promener, aux environs de Matignon
(C.-d'A.), des religieux et des religieuses qui portaient des draps blancs,
et l'on disait que c'étaient des morts qui venaient au-devant
des moines vivants pour les conduire dans des grottes du bord de la mer,
et les y cacher en attendant qu'ils pussent se montrer sans danger à
la lumière du jour.
Ce dire populaire où, par un singulier mélange de
croyances chrétiennes et de légendes païennes,
des morts viennent chercher des vivants pour les cacher dans des endroits isolés
et mystérieux qui, jusqu'à une époque récente, passaient
pour être le domaine et la résidence des fées, est
le dernier trait de folklore contemporain qui se soit manifesté.
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