(page 4/4)
Les fées qui, suivant des légendes en voie d'effacement,
se montrent au crépuscule, et qui accomplissent des gestes assez
nombreux au clair de lune, dans le voisinage de leurs demeures, apparaissent
rarement aux hommes pour les effrayer ou les égarer, à moins qu'ils
ne s'aventurent trop près des endroits où elles se divertissent.
Les lutins au contraire se présentent souvent encore sous l'apparence
de nains, de feux follets et de quadrupèdes divers;
mais ainsi que ceux des fées, une grande partie de leurs actes est localisée
dans le voisinage des eaux, des forêts, des gros blocs et des monuments
mégalithiques.
Les apparitions les plus fréquentes et les plus redoutées sont
celles du Diable, de la Mort en personne et des défunts;
suivant une croyance très répandue, la Terre leur appartient pendant
les ténèbres.
Minuit est la grande heure, celle des merveilles et des épouvantements;
c'est quand elle sonne qu'à certaines époques la terre ou la mer
s'écartent pour laisser à découvert les édifices
engloutis ou les trésors cachés.
Suivant une croyance bretonne, les morts ouvrent alors les yeux, et presque partout c'est le moment où les hommes sont le plus exposés à la rencontre et aux entreprises des puissances nocturnes.
Les défunts qui, en raison d'actes accomplis pendant leur vie, ne restent
pas tranquilles dans leur couche funèbre, ne sortent pas toujours
du cimetière :
on les y voit agenouillés sur des tombes ou groupés au
pied du calvaire;
quelquefois ils se promènent et même dansent une sorte de ronde.
Si on interrompt la pénible station qu'ils font parfois depuis
de longues années, ils doivent la recommencer, fussent-ils arrivés
à la dernière nuit;
aussi ils se vengent, d'une façon terrible, de ceux qui leur ont
causé ce préjudice.
Les revenants que l'on peut rencontrer quand ils se rendent à
leurs lieux de pénitence, lorsqu'ils s'acheminent vers leur ancienne
demeure, ou lorsqu'ils retournent au cimetière, sont légion;
mais plus nombreux encore sont ceux qui errent par les champs et par
les chemins, jusqu'à ce que leur temps d'épreuve soit achevé;
eux aussi punissent les gens qui les ont molestés, ou qui leur
ont simplement manqué d'égards.
Quelques revenants, loin d'être animés de mauvaises intentions
à l'égard des voyageurs de nuit, implorent au contraire
leur bienveillance.
Au lieu de rester silencieux et de ne répondre que si on les a
interrogés, en les tutoyant, ils répètent d'ordinaire,
avec un accent d'angoisse, une phrase ou une exclamation par laquelle ils cherchent
à révéler leur présence au passant, et à
provoquer la réplique ou l'acte nécessaires pour mettre fin à
leur pénitence.
Suivant une tradition constatée dans beaucoup de pays, celui qui a déplacé
une borne est condamné à la porter dans ses bras, sur son
épaule ou sur sa tête, jusqu'à ce qu'il l'ait remise en
place.
Le cri qu'il pousse :
« Où la mettrai-je ? »
indique qu'il ne peut retrouver l'endroit d'où il l'a frauduleusement
enlevée.
Sa pénitence est terminée lorsqu'un chrétien lui a répondu
:
« Mets-là où tu l'as prise. »
Dans le Luxembourg belge, un revenant criait ainsi tous les soirs, parce qu'il
avait déplacé à son profit la borne d'un bois qui
appartenait par parties à divers propriétaires.
Il fut résolu que tous les chefs de famille se rendraient à l'endroit
où se faisait entendre l'âme coupable.
Dès qu'elle eut poussé son cri : « Où la mettrai-je
? »,
les gens qui s'étaient rassemblés près de là crièrent
à l'unisson par trois fois :
« Mets-là où tu l'as prise ! »
et depuis on ne l'entendit plus jamais.
Parfois le revenant s'approche de la personne charitable et la remercie de l'avoir
affranchi du supplice qu'il subissait depuis de longues années.
On disait dans les Ardennes que, lorsqu'on retrouvait la borne remise en place,
elle était toute noire et présentait des taches rouges,
dues à la pression des doigts brûlants du coupable.
Suivant une croyance, constatée surtout dans le Centre, les enfants
sortent chaque nuit des limbes, et reviennent sur terre, en attendant,
pour entrer en Paradis, qu'un passant veuille bien leur servir de parrain et
les baptiser.
Un vigneron du Puy-de-Dôme, parti de bonne heure pour aller à sa
vigne, se vit un peu avant le lever du soleil, entouré d'une multitude
d'enfants, tout habillés de blanc, encore plus petits que des nouveaux-nés,
qui se pressaient autour de lui en criant :
« Ce n'est pas ton parrain, c'est le mien ! »
Le vigneron comprit ce qu'ils demandaient; il prit de l'eau dans un ruisseau
qui coulait près de là et les aspergea en disant :
« Je suis votre parrain à tous, mes enfants ! »
Quand il eut prononcé les paroles du baptême, ils disparurent en
criant :
« Grand merci, parrain, grand merci !
La rencontre des cercueils est aussi redoutée que celle des
morts eux-mêmes;
du reste ils contiennent presque toujours un trépassé.
Cette apparition se manifeste sous deux formes :
la première, caractérisée par la localisation et l'immobilité
du cercueil, n'a jusqu'ici été constatée que sur quelques
points de l'ouest;
en Basse-Normandie, les châsses sont en équilibre sur l'échalier
des cimetières, ou, comme en Haute-Bretagne, posée sur ceux des
champs;
dans ce dernier cas, pour passer sans dommage, il faut les retourner
bout par bout, avec respect, et les remettre exactement à la même
place.
Les cercueils qui se montrent par les chemins ou par les sentiers, de façon
à barrer la route aux passants, sont connus dans un grand nombre
de pays.
Il semble que leur apparition est parfois provoquée par un acte du voyageur
:
en Provence, « une caisse de mort », avec quatre cierges
allumés, se présente à celui qui, oubliant la recommandation
des anciens, s'est signé à la vue d'un feu follet.
Ailleurs les châsses surgissent sans que celui qui a la mauvaise
chance de les rencontrer y soit pour rien.
En Basse-Normandie, un homme racontait qu'une nuit son grand-père vit
une bière posée en travers, devant les pieds de son cheval;
il la contourna; à cinq mètres plus loin, il y en avait une nouvelle;
quand il revint en arrière pour s'assurer si la première s'y trouvait
encore, elle avait disparu.
On connaît divers moyens de faire cesser cette apparition ou de
passer sans danger;
en Provence, pour éviter que la caisse de mort ne suive le voyageur
jusqu'au lever du soleil, il suffit qu'il la prenne sous son bras et la tourne
de côté sur le bord du chemin.
En Basse-Normandie, il faut s'approcher avec respect de la bière, la
retourner bout par bout, et la remettre à la même place.
Des punitions attendent ceux qui n'ont pas été respectueux;
en Berry, le voyageur qui sauterait par-dessus la châsse serait
sûr de ne pas retrouver son chemin;
des paysans bas-normands ayant enjambé un cercueil furent battus
par des mains invisibles;
un garçon de la Haute-Bretagne, qui avait donné un violent coup
de pied à une châsse placée en travers de la route, la vit
se dresser debout comme une personne, et marcher à sa suite en répétant
:
« O ma tête. »
C'est en pays bretonnant que l'Ankou (la mort en personne), la plus
dramatique et la plus redoutée des hantises de la nuit, a été
surtout relevée.
d'après Boucher de Perthes, lorsque quelqu'un devait mourir, on
entendait un bruit sourd et prolongé, celui du char de la mort; il s'arrêtait
à la porte de la victime désignée, et l'on entendait frapper
très fort.
D'après Souvestre, le bruit du Karr an Ankou rappelle celui d'une charrette
non ferrée;
il est couvert d'un drap mortuaire, traîné par six chevaux
noirs, et conduit par l'Ankou;
celui-ci tient à la main son fouet de fer et répète sans
cesse :
« Détourne ou je te détourne ! »
Il va chercher ceux qui vont mourir.
Dans le Morbihan, l'Ankou emporte sur sa charrette grinçante attelée
d'un squelette ceux qu'il a moissonnés dans sa tournée;
parfois le véhicule n'est, en ce pays, qu'un avertisseur de trépas.
A Pontchâteau, (Loire-Inférieure), le chariot qui présage aussi un décès
est parfois une petite voiture traînée par des chiens.
En-dehors de la péninsule armoricaine, la tradition a été
relevée seulement dans la partie de la Basse-Normandie qui en est voisine
:
la charrette des morts, traînée par des bufs noirs,
ne parcourait que les vieux chemins abandonnés, jamais les champs, parce
qu'ils sont bénis;
elle portait une bière couverte de son drap blanc et entourée
de cierges allumés;
celui qui se trouvait sur son passage devait se ranger sans rien dire.
Vers 1840, une apparition du même genre se montrait dans un faubourg
de Dieppe et elle était ainsi décrite :
au Pollet, un char funèbre parcourt à minuit, le jour des Morts,
les rues de la ville;
il est attelé de huit chevaux blancs, et des chiens blancs le
précèdent en courant. On distingue quand il passe les voix de
ceux qui sont morts dans l'année.
C'est pour ceux qui le voient le présage d'une mort prochaine,
aussi on se hâte de fermer ses portes dès qu'on l'entend.
Beaucoup d'esprits des ténèbres, lutins appeleurs ou porte-feux,
lavandières de nuit, sont localisés au bord des eaux ou dans le
voisinage immédiat de circonstances physiques remarquables :
c'est pour ainsi dire leur domaine, dont ils ne s'écartent guère,
et il est rare qu'ils s'attaquent à ceux qui en passent à distance
respectueuse.
D'autres, tout aussi nombreux, n'ont point de résidence fixe :
on est exposé à les rencontrer dans les champs, par les
sentiers, et même par les chemins, surtout aux carrefours, les
lieux de prédilection du diable, des revenants et des bêtes sorcières.
Ils surgissent inopinément devant les voyageurs, ou, invisibles, manifestent
leur présence par des bruits ou par des clameurs.
C'est ainsi que les esprits crieurs ne se tiennent pas toujours auprès
de l'eau;
parfois leur appel part de quelque coin du champ ou de la lande : les hoppers
de Basse-Bretagne, les houpeurs de Haute-Bretagne, les houpeux
de Picardie, imitent la voix des hommes pour les tromper, et souvent ils foulent
et renversent ceux qui leur répondent;
les « Criards » du Pas-de-Calais appelaient les passants
pendant les nuits obscures et traînaient par les cheveux les gens qui
commettaient la même imprudence.
Au commencement du siècle dernier, on redoutait, en Basse-Bretagne, la
Scrigérez nooz, la crieuse de nuit, qui poursuivait les
gens en poussant des cris plaintifs.
En Alsace, le passant isolé qui n'a pas soin de se taire, au moment où
la chasse sauvage est dans les airs et lui crie son nom, est saisi par
les puissances des ténèbres et doit errer toute la nuit par la
forêt;
dans le Mentonnais, le voyageur ne doit pas répondre à
celui qui lui parle.
Il est bien d'autres actes dont il faut s'abstenir lorsqu'on se trouve dehors
pendant la nuit;
il est surtout dangereux de siffler, car le diable ou les esprits ne
tardent pas à s'approcher de l'imprudent.
On doit aussi s'abstenir de suivre les lueurs que l'on voit sur son chemin,
car ce sont souvent des lutins qui conduisent à quelque précipice;
on croit même dans le Morbihan que, si on reste à regarder un feu
follet, on perd la vue.
Il est souvent dangereux de travailler dans les champs lorsque la nuit
est complète.
En Basse-Normandie, on risque de voir des hommes sans tête, des follets
et, comme on dit dans le Val-de-Saire, « des mauvaises gens qui font
peur et mal ».
En Haute-Bretagne, le diable vient se placer près du laboureur, fait
le même ouvrage que lui, et l'emporte même, s'il continue sa besogne.
Aux environs de Fougères, on recommande aux femmes enceintes de
ne pas s'aventurer hors de leur logis entre l'angélus du soir et celui
du matin, car elles pourraient être rencontrées ou foulées
par de grandes bêtes noires.
D'après une croyance très répandue, l'homme qui va seul, la nuit, chercher une accoucheuse, peut faire les plus fâcheuses
rencontres;
à Lille, on disait qu'une main invisible lui donnait des soufflets.
Dans les Ardennes, on peut se débarrasser des esprits en déchirant
du papier en petits morceaux et en les semant sur la route;
sans doute, comme certains lutins, ils s'amusent à les ramasser et oublient
le passant.
A minuit, on entend dans les montagnes d'Aré, ou sur les îles
désertes de la côte, une cornemuse dont les sons n'ont rien
de terrestre;
jamais on n'a pu voir celui qui en joue, mais elle annonce que les aïeux
vous attendent.
Vous les trouvez ordinairement réunis au pied d'un chêne ou autour
de la pierre druidique : un tison embrasé vous indique où
ils sont.
Les chasses fantastiques, connues dans toute l'Europe, mais surtout
dans les régions du Nord et du Centre, sont en France l'objet d'un grand
nombre de récits.
Tantôt elles parcourent les forêts ou leur voisinage, tantôt
elles ont lieu dans les régions de l'air.
La superstition qui attribue des origines merveilleuses ou terribles aux bruits
nocturnes que l'on entend dans les airs est fort ancienne :
on a cru qu'ils étaient produits par des armées en marche
ou en bataille qui parcouraient le ciel, ou par des chasses de l'autre monde.
Toutes les deux sont vraisemblablement dues à des phénomènes
naturels, agrandis et déformés par la crainte ou la difficulté
d'explication.
Ainsi que le conjecturait un curé de Villedieu (Basse-Normandie) elle
a pour origine les migrations des oiseaux de passage, tels que les courlis,
les oies et les canards sauvages qui l'hiver, traversent le ciel en nombreux
et bruyants bataillons.
En été, ce sont également des oiseaux migrateurs qui, volant
dans les airs à de grandes hauteurs, produisent des bruits que l'on prend
pour des aboiements de chiens.
Dans la croyance des paysans, comme dans celle des forestiers, les personnages
qui prennent part à ces chasses expient des actes sacrilèges,
plus rarement des cruautés.
Ils ont aimé ce divertissement au point de violer pour satisfaire leur
passion les lois de l'église, et de ravager les récoltes
sur pied.
Ils sont punis par où ils ont péché, et doivent poursuivre
sans relâche, jusqu'à la fin des siècles, un gibier
que, d'après certains récits, ils n'atteindront jamais.
Plusieurs de ces chasses, bien qu'en général elles soient conduites
par des personnages surnaturels, ne poursuivent pas un gibier imaginaire.
Si on a le malheur de demander une part de prise, on s'expose à
voir tomber près de soi des membres humains ou des corps entiers arrachés
à la tombe.
Un jeune paysan berrichon, ayant proféré ce souhait, vit choir
dans l'âtre un tronçon de chair humaine à demi putréfié;
en Bourbonnais, une voix répondit à semblable demande :
« Voici ta part ! »,
et soudain un bras ensanglanté vint s'abattre sur le foyer, près
de l'homme.
Dans les Vosges, si la Maisnieye Hennequin, troupe de musiciens
invisibles qui traverse les airs pendant les nuits d'été, passe
au-dessus de la tête de quelqu'un, alors qu'il est en rase campagne, il
doit se coucher à plat ventre et faire le mort en appelant saint Fabien
à son secours;
autrement il est étouffé ou écrasé, ou enlevé
par un tourbillon et transporté dans un pays inconnu, sans espoir de
retour.
Si l'on est à sa fenêtre, il faut se hâter de la fermer
pour ne pas recevoir à la tête des morceaux de bois, des cailloux,
et jusqu'à des ossements volés dans les cimetières.
Quand la fenêtre est fermée, on peut regarder impunément
la Maisnieye.
Si les gens attardés que le chasseur nocturne d'Alsace rencontre sur
sa route n'ont pas soin de se coucher au milieu du chemin, ils sont coupés
en deux ou emportés dans les airs ainsi qu'une feuille sèche,
comme cet homme qui fut un jour enlevé au milieu de ses compagnons de
route et transporté du Lerchenfeld, près de Saint-Gangolf, jusqu'au
Bollenberg;
dans son vol rapide par-dessus le Schferthal, il faillit se donner une
entorse en heurtant le clocher de la chapelle.
Il se recommanda à la Sainte Vierge, et fut doucement déposé
sur le gazon de Bollenberg.
Autres thèmes : |
Accueil |