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Des sobriquets étaient basés sur l'aspect physiques des
paysans;
au XVIe et au XVIIe siècles, on les nommait Piedgris, et un peu
plus tard ce terme était devenu une sorte d'injure.
Actuellement, on donne aux laboureurs le sobriquet de Pieds terreux;
les vignerons du Berry sont dits Pieds jaunes.
On appela Pieds nus les paysans de l'Avranchin révoltés en 1640.
Pied plat, qui d'abord avait été appliqué aux gens
de la campagne parce que leur chaussure ordinaire était à peu
près dépourvue de talon, avait pris, à la fin du XVIIe
siècle, un sens injurieux;
en Franche-Comté, un des sobriquets des paysans est Tsoquants,
porteur de sabots.
D'autres termes, tels Cotissous (casseurs) de mottes en Haute-Bretagne, Eborgneurs de crapauds dans le Blaisois, Pico talos en Béarn (qui frappe les vers de terre), font allusion aux opérations agricoles.
A l'endroit où, suivant la légende, se tenait Mélusine quand elle assistait au siège d'Arthonnay, qu'elle brûla, et dont elle fit tuer les habitants, un gros amas de pierres a été formé par les cailloux que les gens du pays y jetaient pour témoigner leur ressentiment.
Des récits populaires au XIXe siècle sont en relation avec un
des plaisirs favoris de la noblesse.
En Champagne, un sire d'Aigremont fit dévorer par ses chiens un manant
qui avait tué un lièvre;
La châtelaine de la Loyère en Loutehel, mademoiselle de la Biffardière,
s'en allait toujours escortée de deux énormes chiens qu'elle lançaient
sur les gens qui lui déplaisaient;
on assure que plusieurs furent dévorés par eux.
La légende du seigneur qui s'amuse à tirer sur des vilains
est encore très répandue.
Elle a comme point de départ des faits réels, dont deux au moins
sont constatés historiquement.
Au XVIIe siècle, le baron de Locmaria tua volontairement un couvreur
aux environs de Lannion;
cent ans plus tard, un prince de sang, le comte de Charolais, revenant de la
chasse tira sur un bourgeois d'Anet qu'il vit sur le seuil de sa porte en bonnet
de nuit.
On donnait le nom de Robert le diable à un méchant seigneur
du Bourbonnais qui sous la Régence, fusillait les couvreurs sur les toits.
En Basse-Normandie, on prétendait qu'en payant au roi cent écus,
le meurtrier pouvait racheter son crime.
Dans le Maine, on parle encore des méfaits d'une duchesse qui habitait
le château de Bouillé à Torcé;
fort belle, mais impitoyable, elle jetait ses vassaux dans les oubliettes
profondes, garnies de couteaux acérés;
il suffisait de lui avoir déplu pour ressentir les effets de sa colère.
Ayant rencontré, en revenant de la chasse, un tailleur, laid et vieux,
qui la salua gauchement, elle lui cingla le visage avec son fouet avec
tant de violence qu'elle le tua net, et le fit enfouir, comme un chien,
dans un coin de ce champ qu'on a toujours appelé depuis le Champ du Couturier.
Un jour qu'elle chevauchait dans sa forêt de Charmi, elle s'accrocha à
une grosse branche, et son cheval s'étant effrayé, elle resta
suspendue comme Absalon;
elle eut beau appeler au secours, personne ne vint, et elle serait morte, sans
un pauvre pèlerin qui, passant par là, et ignorant ses méchancetés,
eut pitié d'elle.
Plus tard elle eut des remords, et ordonna par testament de ne jamais
ensemencer ce terrain.
A Dagnet, on raconte encore cette légende et le fermier de l'endroit
le laisse encore inculte.
On attribue à deux seigneurs angevins, celui de la Jaille en
Fougeré et celui de Fresne en Auverse, un acte de perversité atroce
:
un homme aurait été attaché, un pain suspendu au-dessus
de sa tête, et à côté, un buf était enchaîné
près d'une ration de fourrage.
Leurs bourreaux se seraient plu à examiner les efforts de l'une et l'autre
victime pour s'emparer de ce moyen de salut :
le buf, dit-on, ne périt que le huitième jour et l'homme
lui survécut quarante huit heures.
Le seigneur du Val Saint-Rieu, à Saint-Cast (C.-d'A.), offrait à
ses amis de grands repas auxquels il invitait les plus jolies filles des environs
et il les obligeait à danser toutes nues au moment du dessert
:celles qui refusaient ne reparaissaient jamais.
Ce divertissement rappelle l'anecdote du XVIe siècle, simplement égrillarde,
du baron qui fit mettre une jeune fermière toute nue et lui commanda
de ramasser des cerises jetées sur le plancher.
Un seigneur de Montgibert, qui jouait très bien de la cornemuse,
eut un jour l'idée de rassembler dans une salle de son château
les plus belles filles de ses vassaux et de les obliger à danser pieds
nus;
au plus fort du bal, il faisait jeter sur le sol des charbons ardents
et alors il jouait avec plus d'entrain et de force.
D'autres faisaient subir de cruels supplices à celles qui osaient
leur résister.
Le sire de Montsuc, en Auvergne, qui emportait de force les jeunes filles dans
sa forteresse, osa même enlever une belle demoiselle noble des environs,
et pour la punir de ne pas lui avoir cédé, il la fit pendre
par les cheveux et la laissa mourir dans une lente agonie.
Les jeunes filles qui, sur le point d'être atteintes par leur ravisseur,
s'adressent à leurs patrons, et sont changées en bêtes,
figurent dans plusieurs récits bretons.
La truie des Carmes que l'on voyait à Saint-Pol-de-Léon, dans
l'église des Carmes, assise, les mamelles gonflées et filant sa
quenouille, était une bergère qui, poursuivie par un seigneur
libertin, obtint d'être ainsi métamorphosée pour échapper
à ses poursuites.
On raconte en divers pays de France des légendes qui rappellent cet épisode de la Belle au Bois dormant, dans lequel la vieille reine ordonne à son cuisinier de lui apprêter la chair de ses petits-enfants.
En Auvergne, la reine Margot (Marguerite de Valois) qui fut enfermée
dans le château d'Usson mangeait les enfants;
on avait soin de les éloigner d'elle, car dès qu'elle en connaissait
un gras et bien frais, elle l'envoyait quérir par ses gardes.
Isabeau de Bavière, dont on montre la maison à Montferrand, avait le même goût dépravé.
Quelques-uns des innombrables droits féodaux, désagréables
ou simplement facétieux ou comiques, tiennent une certaine place dans
les souvenirs populaires.
C'est, l'obligation de battre l'eau pour faire taire les grenouilles
celui qui semble avoir le plus frappé l'imagination populaire.
En 1560, Bonivard écrivait :
« En bourgoigne ha un chasteau haiant fossé plain d'eaue en
laquelle reparent force grenouilles et quelquefois quand elles crient, en sorte
qu'elles gardent le seigneur de dormir, quand ce seroit bien à la mynuict
et il mande ses paysans, ilz sont astrainctz d'aller avec belles gaules blanches,
les menacer de batture si elles ne se taysent.
Touttes-fois si elles n'obéissent, le seigneur n'a sus eux point d'action.
Si me semble qu'ilz feroient mieux de leur tirer (arracher) à touttes
les lengues. »
Plusieurs blasons se rattachent à des pays qui étaient soumis à ce droit.
Le sire de Kermilin, qui vivait aux dernières années du XVème
siècle, jaloux de la célébrité que s'était
acquise un tailleur de Plouvorn, le fit venir un soir, et lui ordonna
de le suivre au donjon.
Lorsqu'ils y furent entrés, le seigneur lui dit :« Je veux voir
si tu mérites ta réputation. Il me faut mon habit pour demain.
Et l'étoffe, Monseigneur, où est-elle ?
L'étoffe, eh bien tu t'en passeras. »
Le seigneur ferma la porte à double tour sur le tailleur.
Celui-ci passa la nuit sans pouvoir résoudre ce difficile problème;
au matin il réfléchissait encore, lorsqu'il aperçut un
charbon sur le sol;
il le prend et trace un habit sur le mur nouvellement blanchi.
Au moment où il finissait, le seigneur entra et le tailleur lui dit :
« Où êtes-vous donc resté, Monseigneur ?
Il y a longtemps que votre habit est fait. Il ne vous reste plus qu'à
l'endosser. »
Le sire de Kermilin, enchanté de son esprit, lui rendit la liberté, en lui montrant toutefois l'énorme potence qu'il avait fait élever pour le pendre.
Mélusine, qui résida jadis dans un château de la
forêt de Maulne, était si dure pour ses vassaux que ceux
d'Arthonnay finirent par se révolter.
Elle assista en personne au siège du village, et l'ayant emporté,
elle fit passer tous les habitants au fil de l'épée.
A son retour, tous ses gens s'empressèrent de la féliciter;
seule une jeune fille, qu'elle avait prise en affection, resta silencieuse,
ne pouvant retenir ses larmes.
Mélusine, furieuse de cette attitude, s'élance sur elle et la
précipite dans le puits.
revenue à elle, elle veut l'en faire retirer, mais la jeune fille n'est
plus qu'un cadavre;
Mélusine désespérée entre dans un nouvel accès
de fureur, pousse un cri déchirant et se précipite à son
tour dans le puits.
La légende de la dame qui accouche de sept ou neuf enfants est
connue en bien des pays en dehors de France;
ordinairement cette fécondité anormale est infligée à
des châtelaines orgueilleuses qui se sont moquées de femmes du
peuple à cause de leur nombreuse famille.
Pendant que son mari était à la guerre, la châtelaine de
Montigny-le-Gannelon rencontra un soir une mendiante accompagnée
de sept petits enfants qui semblaient tous du même âge.
La pauvre femme lui demanda l'aumône.
Mais la dame lui dit avec dureté :« Une chienne ne porte pas plus
de petits que vous d'enfants. »
A ces mots, la mendiante, qui était une sorcière, lui répondit
:« Vous riez de moi, madame, mais pour votre punition, vous aurez en une
seule couche autant d'enfants qu'une truie à de petits. »
Après ces paroles, elle disparut, et la châtelaine se retira en
riant.
Mais quelque temps après, elle mit au monde neuf enfants le même
jour.
Elle ordonna de rechercher la sorcière, et de jeter huit de ces enfants
dans le Loir.
La servante, en allant les y porter dans un sac, rencontra le châtelain,
à qui elle dut tout avouer;
Il les fit élever en secret, et un jour il les amena au château,
habillés comme celui qui avait été gardé, et le
mit au milieu d'eux;
puis pour punir sa femme, il la fit enfermer dans un tonneau garni de lames
de couteaux et rouler jusque dans la rivière.
Un seigneur, qui habitait le château de Carnoët, tuait ses
femmes aussitôt qu'il les voyait grosses;
il se remaria avec la sur d'un saint, qui devint enceinte au bout d'un
an.
Sachant ce qui était arrivé à ses devancières, elle
essaya de s'y soustraire par la fuite; mais un valet révéla
ses projets et, lorsqu'elle sortit du château, son mari tomba sur elle
à coups de sabres, la hacha par morceaux et abandonna le cadavre sur
la route en défendant qu'on l'inhumât.
On racontait, aux environs de Caen, que la reine Mathilde ayant demandé
à son mari Guillaume, lors de son arrivée en Angleterre, de la
laisser affecter à son profit l'impôt des bâtards, le prince,
bâtard lui-même, crut voir dans ces paroles l'intention d'une offense;
il l'attacha par les cheveux à la queue de son cheval et la traîna
jusqu'au lieu où il fit élever plus tard, comme témoignage
de son repentir, la Croix pleureuse.
(La légende de Mathilde a été rapportée par l'historien
Du Moulin (1631) avec des circonstances différentes;
le duc aurait été averti qu'un seigneur avait gagné ses
bonnes grâces, et les habitants de Caen disaient que celui-ci, écorché
vif, fut traîné à la queue d'un cheval jusqu'à la
chapelle du Cornu dans le Bessin.)
Plusieurs traditions normandes attribuent cet acte barbare à d'autres
seigneurs.
L'une d'elles était localisée au château d'Alençon;
Marie Anson fut accusée faussement auprès de son époux
qui la fit lier à la queue d'un étalon;
l'animal, abandonné à sa fougue, la traîna dans tous les
détours du parc, et l'ordre de suspendre le supplice ne fut donné
qu'au moment où la malheureuse était mourante.
Son mari se présenta à elle déguisé en prêtre,
et voulut recevoir sa confession;
elle ne cessa de protester de son innocence et expira peu après.
Un récit de la Corse raconte l'horrible vengeance qu'un seigneur
tira d'une châtelaine de son voisinage qui lui avait fait subir une injurieuse
captivité :
Lucien de Fanchi ayant été tué dans une rencontre avec
son ennemi, Giudice d'Istria, qui habitait un château en face du sien,
sa veuve Savilia qui avait tout à redouter de son voisin lui fit entendre
par l'intermédiaire de son chapelain qu'elle l'aimait.
comme elle était jeune et belle, Giudice, accompagné de quelques
pages, vint lui demander sa main.
Savilia le fit arrêter et enfermer dans un cachot garni de barres de fer.
Chaque matin elle se présentait à lui dans un état de nudité
complète, l'injuriait et lui disait ironiquement :
" Comment un homme aussi laid que toi a-t-il pu croire qu'il posséderait
tant de charmes ! "
Giudice finit par gagner la camériste de Savilia et elle introduisit
dans le château les parents du prisonnier, qui fut délivré
et massacra tous les parents de cette femme inhumaine;
puis il s'empara d'elle, l'attacha nue dans un carrefour et l'exposa à
la prostitution de tous les passants.
Le couplet de la chanson du Déserteur :
Qu'on enveloppe mon cur
dans une serviette blanche,
qu'on l'emporte au pays,
Dans la maison de ma mie
Disant : Voici le cur
De votre serviteur,
semble un écho de la légende populaire au Moyen Age, dans
laquelle un amoureux donne l'ordre de faire ce triste présent à
la dame de ses pensées.
Henri Estienne a donné une version en prose de cette tradition, où le mari fait manger par vengeance à sa femme le cur de son amoureux.
Dans une légende de la Basse-Normandie, c'est au contraire le cur
de l'épouse supposée coupable qui est mangé par son amant,
que le mari, par un raffinement de cruauté imité de Cambyse,
a fait asseoir sur la peau de sa prétendue maîtresse.
Un seigneur de Chantelou, en Joué-du-Plain, tua sa femme, ramassa son
sang, puis garni un siège avec sa peau.
Il invita ensuite à dîner un jeune homme qui lui avait inspiré
de la jalousie et lui servit un mets qui lui parut délicieux.
Le seigneur, qui n'y avait pas touché, dit à son hôte :
« Tu viens de manger le cur de ta complice et tu es assis sur sa
peau; tu vas aller la rejoindre. »
Et il le perça d'un coup de poignard.
Il recueillit ensuite son sang qu'il mêla à celui de sa femme;
puis il teignit pendant la nuit sa maison avec le sang des deux amants,
et disparut.
Selon la tradition, cette maison rouge existait encore il y a quelques années.
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