Monuments

(page 2/6)


c - Les tumulus

Les fées occupent le premier rang parmi les constructeurs de tumulus;
plusieurs des noms qu'ils portent sont en rapport soit avec cette croyance, soit avec l'opinion qu'elles les fréquentent.

Le tablier des personnages surnaturels, qui joue un rôle important en matière mégalithique, leur sert aussi pour former les tumulus.

C'est une fée qui apporta dans le sien les matériaux de celui de Tumiac (Morbihan) et ceux du Mont Saint-Michel de Carnac.
Les deux tumulus de Migny ont été élevés par deux fées :
l'une, afin de pouvoir franchir l'Arnon à pied sec, remplit de terre et de pierres son tablier de gaze et vint les secouer dans la rivière;
l'autre, se changeant en moucheron, vola piquer le nez de sa rivale;
celle-ci, en cherchant à se débarrasser de l'importune, laissa tomber dans le pré voisin le reste de terre qui était encore dans son tablier.

Des traditions, ou noms qui en supposent font de Gargantua l'un des principaux auteurs de tumulus.
Lorsqu'il venait de Bourges en une seule enjambée, il laissa tomber le monticule que l'on voit près de Clion, et qui s'appelle Pied de Bourges.
Le plus ordinairement les buttes proviennent du nettoyage de ses chaussures.

D'après l'opinion la plus fréquente, ils renferment des restes de guerriers :
celui de Chassenon (Charente) est appelé Tombeau du soldat.

Comme les autres monuments mégalithiques, les tumulus sont la résidence de nains, surtout en Basse-Bretagne.
A Coat-Bihan, on appelle les barrows châteaux des Poulpicans.
Un beau tumulus à Saint-Nolf est la retraite des Bolégueans ou Poulpiquets, suivant l'abbé Mahé, des Poulpicans, qui y pratiquaient des terriers comme des lapins.

Autrefois, lorsqu'on avait perdu quelque chose, il suffisait de se rendre à leur résidence au commencement de la nuit et de dire : « Poulpican, j'ai perdu tel ou tel objet. »
Le lendemain on le trouvait à la porte.

Les paysans qui venaient à la tombée de la nuit, près d'un tumulus de Kerfolben à Vieux-Bourg-Quintin (C.-d'A.), sous lequel demeurait un Korandon, et lui demandaient une paire de bœufs, les trouvaient le lendemain à l'aube, au pied du tumulus, liés sous le joug.
Ces bœufs étaient entièrement noirs; mais il fallait avoir soin, dès que le jour baissait, de les reconduire à l'endroit même où on les avait pris, et l'on devait mettre sur le joug cinq sous pour le Korandon.

D'après les habitants de Samer (Pas-de-Calais), le mont de Blanque jument est ainsi nommé parce qu'on y voyait autrefois sur son sommet une jument blanche, d'une beauté parfaite, qui n'appartenait à aucun maître et s'approchait familièrement des passants, en leur présentant sa croupe pour les inviter à monter.

Des apparitions nocturnes se montraient sur le tumulus de Fontenay-le-Marmion;
de celui de Château-Serin à Plévenon (C.-d'A.), sortaient d'anciens moines condamnés à des pénitences posthumes;
à minuit une femme tantôt blanche, tantôt couverte d'un vêtement de brouillard, quittait celui de Créhen pour aller laver son linge à l'Arguenon.

Nombre de tumulus cachent des trésors qui consistent, tantôt en argent monnayé, tantôt en statues en matières précieuses.
Un monticule d'origine incertaine à Versigny, dans l'Aisne, appelé Château Julien, renferme un veau d'or et les richesses que les Templiers y ont cachés.

Un pauvre fermier de Penhouët errait un soir près de l'esplanade du Castellic à Lanvaux, quand il lui sembla voir sur la motte de petits hommes noirs, les uns dansant au clair de lune, les autres sortant de la motte ou s'y enfonçant;
dans sa surprise, il poussa une exclamation et aussitôt tous disparurent.
Le fermier résolut de savoir à quoi s'en tenir; il alla au Moten, et après un travail opiniâtre de toute une nuit il parvint à une maison souterraine, où les Corrigans se tenaient accroupis autour d'un vieux pot qu'ils semblaient surveiller avec soin;
à sa vue ils poussèrent des cris d'effroi et se mirent à fuir dans toutes les directions.
Le fermier se hâta de s'emparer du vieux pot, dans lequel il trouva le trésor des Corrigans.

Le plus habituellement les gardiens réussissent à éloigner les fouilleurs.
Le tumulus de Soulac (Gironde) est surveillé par des chiens invisibles qui dévorent ceux qui veulent y toucher.

 

d - Les pierres diverses

Les pierres branlantes ont, pendant assez longtemps, été considérées comme des ouvrages humains, et en 1880, elles figuraient à ce titre dans l'Inventaire des monuments mégalithiques.
L'inventaire relevait près de 90 de ces pierres dans les divers pays de France, et sans doute sa liste n'était pas complète.

On rencontre quelques mentions anciennes de ces pierres :
au XIIIème siècle, il y avait près d'un village du diocèse d'Embrun une grosse roche que l'on remuait facilement avec un seul doigt, mais qui restait immobile si l'on essayait de la pousser de toutes ses forces.

On remarquait jadis à l'extrémité du faubourg d'Auron, à Bourges, une pierre branlante qu'un titre de la Sainte-Chapelle de cette ville et une autre du chapitre de Saint-Etienne, tous deux du XIIIème siècle, désignent le premier sous le nom de Petra quæ vertitur et le second sous celui de la « Pearre que tournoie. »

On voyait vers 1630 une pierre branlante près de la porte de Saint-Just à Lyon.

Le roc de Saint-Estapin dans la Dordogne oscille si délicatement sous la pression de l'épaule et même du doigt qu'on l'a nommé le Casse-noisettes, et il les casse en effet très proprement sans écraser l'amande.

On est venu et l'on vient encore interroger ces roches singulières; le plus souvent ce sont les maris qui leurs demandent des oracles.
Le nom de Men dogan, la pierre des cocus, à Trégunc, y fait allusion : le doigt d'un enfant suffit pour la remuer, aussi bien qu'une pierre des environs de Pontivy, mais elles demeurent immobiles sous tous les efforts des époux trompés qui les consultent.

Il y a une centaine d'années la même pratique avait lieu près de roches branlantes de la Brie.

Dans la vallée d'Arbey, non loin de Colmar, les maris se rendent au point du jour à une pierre placée en équilibre sur une pointe de rocher;
ils se mettent dessous, et s'ils réussissent à la faire remuer en la touchant avec l'index seulement, c'est que la femme est fidèle.

La Pierre folle, détruite dans la première moitié du XIXème siècle, se dressait non loin des Balais (Pyrénées) sur le roc le plus élevé.
C'étaient deux énormes rochers dont l'un supportait l'autre, équilibrés de telle façon que le vent suffisait pour imprimer au bloc supérieur une oscillation marquée, que les paysans nommaient la danse.
Ils tiraient des présages de cette danse, suivant qu'elle était plus ou moins vive.

 

e - Cultes et observances mégalithiques

Pendant les premiers siècles qui suivirent l'établissement du christianisme en Gaule, les conciles (Arles, 452, Tours, 567, Nantes, vers 658, etc.) se sont maintes fois élevés contre le culte des pierres, et ont ordonné de renverser celles auxquelles on rendait hommage, et de les enfouir de façon à ce que leurs fidèles ne pussent les retrouver.
Il est vraisemblable que, parmi les causes qui empêchèrent la destruction de ces pierres vénérées, entra pour une large part la croyance qu'elle pouvait attirer à bref délai de graves malheurs sur les sacrilèges et même sur le pays tout entier.

Un contemporain de Henri II d'Angleterre, ayant démoli, en construisant un château à Guernesey, un antique cromlech, les gens du voisinage lui prédirent qu'il serait maudit à cause de cette action, et en effet, depuis ce moment jusqu'à sa mort, il éprouva une suite ininterrompue de disgrâces.

Il y a une centaine d'années les villageois des environs de Vert disaient que, si on déracinait la Pierre piquée, il sortirait de la place qu'elle occupe un torrent qui ravagerait toute la Beauce.

A Guernesey, le propriétaire du champ de l'Autel prévint celui qui l'avait acheté pour en faire une carrière, que s'il touchait au dolmen qui s'y trouvait, il ne serait jamais riche ou heureux.
Lorsque le nouveau propriétaire du terrain où elle se trouvait eut annoncé son intention de l'employer à faire des portes et des fenêtres, les gens du voisinage lui prédirent que cet acte sacrilège attirerait sur lui des infortunes;
il se moqua d'eux et la maison s'éleva.
Le jour même où deux domestiques y préparaient l'emménagement de leurs maîtres, le feu y prit, et se développa si rapidement qu'ils périrent dans les flammes.
les débris de la maison furent débités en petites pierres, et embarqués sur deux navires dans lesquels cet homme était intéressé, et qui périrent en mer : le feu détruisit la maison qu'il habitait à Aurigny où il s'était établi ensuite, et les agrès du bateau qui le ramenait à Guernesey lui brisèrent le crâne.

Le menhir de Saint-Quantin près de Felletin se défendit contre les ouvriers envoyés pour le renverser, en faisant sortir de terre des langues de feu.

Des jeunes gens qui avaient essayé de déplacer une Roche branlaire d'Auvergne furent enveloppés dans une nuit profonde.

Les vieillards de Plounéour-Trez racontaient qu'on avait souvent essayé d'enlever les pierres d'un cromlec'h pour les utiliser comme matériau;
le fer s'émoussait dessus et si on les renversait, elles se relevaient toutes seules.

Au temps jadis un riche baron fit attacher plusieurs paires de bœufs pour abattre le menhir de Pierre-Pointe (Côte-d'Or).
il commençait à s'incliner lorsque la fée qui y avait sa résidence s'échappa sous forme d'un oiseau blanc, et lança cet appel à un autre bloc situé un peu plus loin et appelé Pierre Sarrasine :

Sarazine,
Ma bonne voisine,
Si tu ne viens à mon aide,
Les bœufs de Pierre-Pointe m'emmènent.

A l'instant les cordes se brisèrent et les bœufs furieux se sauvèrent dans toutes les directions.

La terre qui provient de ces mégalithes est funeste aux récoltes;
vers 1830, on disait dans les C.-d'A. que celle des tumulus les faisait périr;
un chercheur de trésors, ayant démoli le dolmen de Penestin (L. Inf.), n'y trouva qu'une terre jaunâtre qu'il eut l'imprudence d'étendre sur son champ, et qui brûla toute sa moisson.

Une coutume, qui est peut-être une survivance d'un antique hommage, fut relevée il y a une trentaine d'années dans le pays de Luchon :
lorsqu'on traversait, pour aller cueillir des fraises, la pelouse où se dresse la Peyra dé Peyrahita, les hommes forçaient les femmes et les filles à embrasser ce menhir.
Maintenant encore plus d'une jeune fille va le baiser en secret.

On sait que le clergé, ne pouvant détruire d'emblée le culte que le peuple rendait aux mégalithes, s'efforça de le christianiser.
Aux uns il imposa des noms de saint, d'autres furent surmontés de calvaire;
on y grava, on y sculpta des croix ou d'autres figures.

Le rite de la friction est toujours usité, avec un certain mystère pourtant.
Naguère à Carnac, les jeunes filles qui désiraient un mari se déshabillaient complètement et se frottaient le nombril à un menhir spécialement affecté à cet usage;
les garçons à marier faisaient bonne garde, à distance respectueuse.

En Eure-et-Loir, elles retroussaient leur jupon, et, le soir, se frottaient le ventre contre une aspérité de la Pierre de Chantecoq, dite aussi Mère aux cailles.

Les nouveaux époux se rendent au pied du menhir de Plouarzel, qui présente sur ses deux faces opposées, à environ un mètre du sol, une bosse ronde, et après s'être en partie dévêtus, la femme d'un côté, le mari de l'autre, se frottent le ventre sur une de ces bosses;
l'homme prétend, en agissant ainsi, avoir des enfants mâles plutôt que des filles, et la femme espère obtenir d'être la maîtresse du logis.

Des paysannes allaient naguère encore, la nuit, dans un bois situé près de Saint-Laurent-les-Mâcon et, après s'être dépouillées de tout vêtement jusqu'à la ceinture, elles se frottaient le ventre contre une pierre levée pour avoir des enfants, et les seins pour avoir du lait.

Le menhir adossé à la nef de la cathédrale du Mans (photo) est l'objet d'une observance un peu similaire;
Les femmes désireuses d'être mère se frottent le doigt dans une sorte de cupule que l'on remarque sur son fût, à laquelle cet acte, répété souvent, a donné un véritable poli.

Les jeunes filles, pour avoir un mari, s'assoient au moment de la pleine lune, après avoir relevé leur jupon, sur le dolmen ruiné de Cruz Moquen, à Carnac, qui porte le nom de Pierre Chaude.

L'influence sur la destinée ou la santé, que l'on attribue à plusieurs pierres, tient au trou naturel ou artificiel dont elles sont percées :
le rite le plus ordinaire consiste à y introduire la tête ou les membres.
Dans l'Aisne, où l'on en voyait plusieurs, on passait la tête par le trou, généralement pour interroger l'avenir, et les jeunes filles pour voir celui qu'elles étaient destinées à épouser.

Les villageois de la Saintonge faisaient passer leurs enfants nouveaux-nés par des trous qui existaient dans la table de certains dolmens pour les préserver de tout mal, présent ou futur.

Un écrivain originaire du Croisic décrivait au milieu du XVIIIème siècle, une coutume qui n'a pas été relevée ailleurs :
« On voit sur le bord de notre côte une grosse pierre haute d'environ douze pieds. Je ne sais quel hasard ou quelle fantaisie l'a placée debout comme elle est.
Les femmes et les filles qui attendent le retour de leur mari ou de leur galants vont danser autour le jour de l'assomption;
les plus légères montent sur le sommet, et de là elles crient de toutes leurs forces en chantant :

Goëlands, goëlands, goëlands gris,
Ramenez-nous nos amants, nos amis ! »

 

Ceux qui viennent demander aux pierres le bonheur ou la santé font, avant ou après l'accomplissement du rite principal, des offrandes destinées au génie qu'ils sont venus implorer.
Les jeunes filles qui grimpaient, pour se marier dans l'année, sur la pierre levée de Colombiers y laissaient une pièce de monnaie.
Dans la première moitié du siècle dernier, elles déposaient des flocons de laine et des amulettes dans les fissures des menhirs de Long-Boël (Seine-inf.).
M. de Montbret, membre de l'institut, trouva dans les fentes d'un dolmen près de Guérande, en 1820, des touffes de laine rose liées avec du clinquant, et on lui dit que ces offrandes étaient faites, en cachette des curés, par des jeunes filles, dans l'espoir de rencontrer un épouseur dans l'année.

Autrefois on plaçait au printemps une poignée de trèfle sur le dolmen appelé Palet de Gargantua à Saint-Benoît-sur-Mer (Vendée) pour être préservé du cheval Malet, qui allait jeter dans les précipices ceux qui montaient sur son dos.

A la fin du XVIIIème siècle, les paysans des rives du Lot oignaient avec de l'huile et couvraient de fleurs certaines pierres de leur voisinage;
l'évêque de Cahors en fit détruire une pour mettre fin à cette superstition.

Une des pierres du dolmen de Roch enn-Aud, à Saint-Pierre Quiberon, est l'objet d'une pratique traditionnelle :
en frappant avec un marteau dans l'intérieur de la cupule placée dans la direction d'où l'on veut que le vent souffle, on peut obtenir celui qui est favorable au retour du navire sur lequel est embarqué le marin dont la femme se livre à cette superstition.

Un fragment de grès rouge à Nohant-Vic, sanctifié sous le nom de saint Greluchon, est le reste d'un dolmen qui, jusqu'en 1789, fut adoré, gratté et avalé par les femmes stériles.


Suite…


Autres thèmes :

Astres  Faune  Flore  Mer  Monuments  Peuple  Sources  Terre

Accueil