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Parmi les objets préhistoriques, les haches en pierre polie tiennent
incontestablement le premier rang, et leurs noms les plus habituels constatent
leurs rapport avec l'orage.
Les plus répandus sonts ceux de Pierres de foudre, Pierres
de tonnerre.
Le nom de Pointes des fées donné en Hainaut aux bouts de
flèches constate la croyance, assez rare dans les pays de langue française,
suivant laquelle ils auraient servi d'armes à ces êtres surnaturels.
Une tradition de la Loire-Inférieure parle d'une bataille livrée
près du pont d'Os par des géants qui avaient pour armes des pierres
à tonnerre.
On dit au Cap Sizun que les Corricks, constructeurs des dolmens, avaient
une passion pour les objets de pierres.
En beaucoup de pays de France, le peuple croit, comme dans le Midi, que des
haches tombent du ciel avec la foudre, et qu'elles sont la cause des
dégâts qu'elle fait;
les paysans des Vosges disent qu'elles sont lancées dans l'éclair,
traversent dans sa longueur le tronc des arbres et percent la terre jusqu'à
une grande profondeur.
Il n'est pas rare de voir des gens s'empresser, après un orage,
de faire des recherches à l'endroit où la fulguration s'est produite,
avec l'espoir de trouver la pierre merveilleuse;
dans le pays de Luchon, si l'on ne réussit pas, on le marque avec un
morceau de bois pour y revenir au bout d'un certain nombre d'années.
On a relevé, dans la Basse-Alsace, la croyance à la relation
entre la foudre et la hache de pierre :
un paysan de Hochfelden affirmait qu'en en plaçant une sur le sol pendant
un orage, elle sautillait à chaque coup de tonnerre.
D'après une opinion très répandue, ces objets constituent
pour les choses, les hommes et les bêtes, une puissante sauvegarde.
Ils sont souvent placés dans les constructions afin de les garantir des
divers inconvénients, et surtout de les préserver de la foudre.
Naguère les paysans de la Bresse avaient soin d'enterrer sous les fondations,
où dans l'angle, un carré ou pierre à tonnerre, ceux des
Pyrénées observent le même usage.
Il a existé en d'autres pays, ainsi que le prouvent des démolitions
faites en Basse-Bretagne et en Picardie;
on a trouvé, il y a une trentaine d'années, une hache en diorite
dans les murs de l'église de Trévon, et dans ceux de maisons de
Dinan qui remontaient au XVIIIème siècle.
Ces talismans occupent des endroits déterminés; le plus habituellement
ils sont posés sous l'entrée même des édifices.
On a constaté leur présence sous le seuil de maisons de l'Yonne,
des Landes, de l'Anjou, de la Gironde, de l'Eure etc.
Dans le Morbihan, on en a trouvé au-dessus d'une porte d'écurie
que l'on démolissait.
Dans le canton de la Brède, une hache en silex était souvent suspendue
à une ficelle dans l'intérieur de la cheminée.
L'usage de ces objets comme amulette individuelle a été
révélé plusieurs fois.
Beaucoup de paysans landais portent sur eux des pointes de flèches ou
des haches en silex, persuadés qu'elles les garantissent de la foudre.
Une observation, unique jusqu'ici, montre qu'on les a associées aux rites
de la plantation;
aux environs de Raye (Somme), on a trouvé des haches en abattant de vieux
pommiers, et l'on disait qu'elles y avaient été mises pour les
préserver de la foudre.
Aux environs de Dinan, il y a une cinquantaine d'années, quelques personnes
plaçaient des haches dans le nid des poules, pour assurer la réussite
de la couvée.
Un paysan de Saint-Pourçain dans l'Allier avait au fond de l'auge où
venaient boire ses animaux une grande hache en silex destinée
à les préserver de toutes sortes de maladies.
Les paysans de Guernesey donnent à boire aux animaux malades l'eau
dans laquelle un celt a été plongé;
ceux de la Lozère les font bouillir dans celle destinée
à guérir les moutons.
Suivant une superstition relevée en Alsace, on peut acquérir une
redoutable puissance en s'incorporant un fragment de hache;
un habitant de Weisslingen affirmait qu'en s'ouvrant une plaie au bras
et en y introduisant quelque parcelle d'un celt, si la plaie guérit,
l'homme ainsi opéré devient invincible à la lutte.
A Ratz-Willer, ils favorisent les accouchements difficiles; il suffit
d'en frotter doucement le ventre de la femme pour que les douleurs cessent et
que le travail marche régulièrement.
Aux environs de Lesparre, on vient chercher une fort belle hache en jade, pour
en frotter le ventre de la parturiente; le prêt de cette amulette peut
être payé en nature, mais non en argent, ou elle perdrait
toute son efficacité.
Dans le Morbihan, les haches-marteaux sont appelées marteaux bénits,
et l'on dit qu'elles servaient à casser la tête des vieillards
au temps passé où les gens vivaient trop vieux.
Des traditions relatives à cette pratique des temps reculés ont
été recueillies de nos jours.
Les habitants voisins de la Montagne de Mané-Guen prétendaient,
vers 1845, que les vieillards lassés de la vie se rendaient jadis
sur son sommet afin que l'un des druides qui y résidaient les en débarrassât
en les frappant avec sa massue.
On raconte à Caurel (C.-d'A.) qu'autrefois on assommait les vieillards
avec le premier bâton venu, mais que depuis l'introduction du christianisme,
on fit bénir un mât (espèce de gros marteau en bois) qui
était déposé dans le creux d'un if près de la porte
de l'église, où on allait le prendre en cas de besoin;
Il n'est pas rare d'entendre dire d'un vieillard à charge à sa
famille :
« Le pauvre vieux, il a été oublié, il faudra
aller chercher le mât béni de Caurel. »
On assure dans le pays qu'on venait jadis de très loin l'emprunter et c'était surtout les vieilles femmes que l'on assommait avec.
Quelquefois les paysans du Morbihan, qui avaient porté toute leur vie
comme talisman le collier appelé gougad patereu, recommandaient
de le poser près d'eux dans la tombe.
Jadis dans le Bocage vendéen, on mettait une pierre polie dans la bouche
du trépassé, pour l'empêcher, disait-on, de discuter avec
trop de vivacité devant ses juges suprêmes.
Pendant une bonne moitié du XIXème siècle, une opinion
courante, et que partagèrent des savants, associait les druides
aux menhirs et aux dolmens, et en conséquence ces mégalithes,
qui passaient pour avoir servi à leur culte, portaient le nom de monuments
druidiques.
Bien que, depuis les découvertes de la paléo-ethnologie, il ne
soit plus possible d'attribuer aux druides la construction, tout au moins
des dolmens, on voit encore ce terme « druidique » figurer au lieu
de :
« mégalithique » dans les ouvrages publiés.
L'opinion que certains mégalithes avaient pu servir à des cultes
sanglants est exprimé à diverses reprises, mais cette affirmation
n'est pas acceptée sans réserve par les savants.
César nous apprend que les sacrifices humains étaient en
usage chez les Gaulois, il fait mention de grandes cages d'osier dans lesquelles
les druides en certaines circonstances et pour apaiser leurs dieux faisaient
brûler des hommes et spécialement des criminels, mais nulle part
il ne dit que des hommes fussent égorgés sur de grandes pierres.
Les fouilles, faites scientifiquement depuis le milieu du XIXème siècle,
ont montré que les dolmens n'étaient autre chose que des monuments
funéraires remontant à des époques très reculées.
Des faits assez nombreux, relevés en des pays divers par des auteurs
dignes de foi, constatent qu'à plusieurs époques de l'histoire
de l'humanité, on a cru que la durée des constructions
importantes n'était assurée que si, avant de les entreprendre,
on avait accompli certains actes religieux.
Ils avaient pour but d'apaiser les divinités sur le domaine desquelles
on empiétait, et aussi d'implorer la faveur de celles qui pouvaient avoir
de l'influence sur la solidité de l'édifice ou sur le bonheur
de ses habitants.
Parfois on immolait une victime humaine, qui devenait un génie
protecteur.
Si loin que l'on remonte, on ne rencontre en France aucun exemple authentique du rite le plus cruel employé en pareil cas, l'emmurement d'un homme vivant.
Il est vraisemblable qu'à des époques reculées il a été
pratiqué en Gaule;
le souvenir en est resté tout au moins dans les légendes.
Les ponts de Rosporden (Finistère) avaient été
successivement détruits, lorsque l'on consulta une sorcière.
Elle répondit qu'il fallait enterrer vivant, sous les fondations,
un petit garçon de quatre ans;
il devait être placé dans une futaille défoncée,
tout nu, et tenir d'une main une chandelle bénite, de l'autre un morceau
de pain.
Une mère consentit à livrer son fils;
et après une grande fête, l'innocente créature fut murée.
Dès lors, le pont s'éleva sans difficulté, et il dure depuis
des centaines d'années.
On plaça aussi sous les fondations du pont de Caudan (Morbihan), qui s'écroulait toujours, un enfant qu'on avait préalablement enfermé dans une barrique, après l'avoir acheté fort cher.
On raconte aux environs de Dinan, que lorsque les Romains avaient achevé
un de ces beaux chemins qui subsistent encore en partie, ils immolaient
un homme et offraient son sang aux esprits de la terre, afin d'assurer la durée
de leur uvre;
le sang était recueilli et répandu goutte à goutte sur
la voie.
Une survivance de l'efficacité attribuée à cette offrande
a été relevée en 1890.
Deux personnes ayant été écrasées par un train de
ballast sur la ligne de Verneuil à la Loupe, avant son inauguration,
les gens du voisinage disaient qu'elle était assurée contre les
accidents parce qu'elle avait été arrosée de sang.
On raconte aux environs de Pontivy qu'au temps jadis, quand on construisait
un pont, on offrait aux dieux des eaux, un sacrifice qui devait comprendre
autant d'hommes que le pont avait de piles.
On choisissait de préférence des prisonniers, mais s'ils
manquaient, on prenait des innocents.
Il était d'usage d'enfouir ces malheureux tout vivants sous la première
pierre de chaque pile.
L'une de celles d'un pont que les romains bâtissaient sur une rivière
du Morbihan s'étant effondrée plusieurs fois, on décida
de l'établir sur pilotis mais les pieux disparaissaient comme
par enchantement.
C'est alors qu'on résolut de sacrifier un homme vivant.
On enfoui dans la vase un des ouvriers, puis on recommença à
jeter des pierres;
on trouva le solide et l'on put achever le pont.
Depuis, et pendant longtemps, lorsqu'on voulait mener à bien une entreprise
difficile construite sur l'eau, on continua la même pratique barbare.
La légende a moins bien gardé le souvenir de l'époque où, suivant une évolution si fréquente qu'on peut la considérer comme régulière, des animaux furent substitués aux hommes.
L'usage d'emmurer dans les constructions une créature vivante, une grenouille par exemple, pour assurer la solidité de la muraille, s'est perpétué en Anjou et dans le Maine jusqu'à une époque récente, et il est possible que les chats, dont on a retrouvé les squelettes sous les fondations de plusieurs vieilles maisons de Quiberon, y avaient été placés vivants.
(Au Danemark, le peuple croit que lorsque l'on construit une église, il faut enterrer un cheval vivant sous les fondations.)
En exécutant des réparations au château de Saint-Germain, on a mis au jour une pierre de taille dans laquelle était, en parfait état de conservation, un chat qui y avait été enfoui vivant en 1547, suivant la superstition du temps qui voulait qu'un de ces animaux fût enfoui vivant pour que la construction fût durable.
Il y a une vingtaine d'années, pareille trouvaille fut faite à Saint-Quentin dans un pilier d'une ancienne église dédiée jadis à saint Jacques.
L'arrosement de la première pierre avec le sang de la victime fut un adoucissement de l'acte cruel de l'emmurement, et il est probable, bien que les traditions françaises soient muettes à cet égard, qu'il eut la même évolution, et qu'à l'origine on égorgeait un homme.
On a constaté jusque dans la dernière moitié du siècle
dernier des survivances de cette coutume.
Jadis aux environs de Pontivy, il était d'usage d'asperger les fondations
des maisons ou des églises avec du sang d'animal, principalement avec
du sang de buf.
Au commencement du XIXème siècle, on ne bâtissait pas une maison à Quimperlé sans répandre le sang d'un coq sur les premières pierres.
Lorsque l'on construit une route ou un chemin de fer aux environs de Florenville, dans la Belgique wallone, on fait le sacrifice d'une poule, d'un lapin, et quelquefois d'un veau.
L'offrande d'un liquide, surtout du vin, dont la couleur rappelle le sang, a été vraisemblablement une troisième atténuation du rite primitif.
Elle subsiste toujours : parfois elle consiste en une libation faite sur le
sol lui-même;
plus ordinairement, c'est un simple rafraîchissement, une sorte de pourboire
dont profitent les ouvriers.
Suivant une légende de la Loire-Inférieure, les fondements du
Pont d'Os auraient été posés sur les ossements des
envahisseurs, vaincus dans une grande bataille;
on peut la rapprocher de la croyance écossaise d'après
laquelle un château-fort n'était assuré de ne pas être
pris que si des ossements d'ennemis étaient placés dans ses murailles.
La pose de la première pierre d'un édifice est, encore
maintenant, accompagnée d'usages qui ont perdu beaucoup de leur caractère
primitif, mais auxquels le monde officiel lui-même prend part.
C'est ainsi que les chefs d'Etat ou les ministres lui donnent un coup de marteau
ou font le simulacre d'y mettre un peu de mortier.
La construction de la charpente est aussi accompagnée d'observances traditionnelles.
En Auvergne, une fois la toiture terminée, on place sur le point culminant
un gros bouquet de fleurs ou de feuillages, et le propriétaire
donne aux ouvriers un certain nombre de bouteilles de vin.
Ces bouteilles et les verres qui ont servi aux libations sont considérés
comme des objets sacrés :
on les bâtit, soit au faîte de la maison à côté
du bouquet, soit en rangées symétriques au-dessus de la porte
ou dans l'épaisseur d'un mur apparent.
Plusieurs légendes racontent que des couvreurs charger de poser le coq sur le clocher se sentent attirés par le vide et périssent.
L'ouvrier qui devait fixer le coq sur le nouveau clocher en poivrière
de Saint-Sébastien près de Nantes (1726), arrivé à
la croix, cria à son patron resté en bas de la tour :
« Où est le trou pour mettre le coq ?
Ah ! s'écria le patron, mon homme est perdu ! »
et à l'instant même, le garçon, cédant au vertige, s'abattit sur la place de l'église.
La croyance suivant laquelle il faut que la mort passe dans une maison pour qu'elle puisse être habitée sans danger existe en un grand nombre de pays.
En Basse-Bretagne, c'est la Mort personnifiée qui exige ce tribut;
dès lors que l'on a mis en place la marche du seuil, l'Ankou s'y vient
asseoir pour guetter la première personne de la famille qui la franchira.
Il n'y a qu'un moyen de l'éloigner, c'est de lui donner en tribut la
vie de quelque animal : un uf suffit pourvu qu'il est été
couvé.
En Wallonie lorsqu'une créature vivante, même d'ordre inférieur,
a péri dans une maison, elle est « signée »
c'est-à-dire garantie.
Jadis à Liège, avant d'entrer dans un logis neuf, on y enfermait
un chat qu'on laissait crever de faim.
Cette cruelle coutume semble avoir disparu, mais on a constaté la persistance
de l'usage d'immoler un coq, qui est destiné à préserver
les nouveaux habitants.
En Basse-Bretagne, celui qui entre pour la première fois dans une maison neuve peut se préserver de tout inconvénient en se faisant précéder par un animal quelconque, chien, poule ou chat : le mal qui le menaçait tombe sur la bête.
Le fait qui suit remonte à une quinzaine d'années et il est peut-être une survivance de la nécessité d'un sacrifice pour assurer la durée d'une construction importante.
Peu de temps après l'achèvement du pont de Garabit (Cantal), les habitants du pays portèrent un chat sur le pont et le précipitèrent dans la vallée : cette chute de plus de cent mètres ne l'ayant pas tué, un second chat fut jeté et se brisa sur la terre.
La plantation de la crémaillère qui joue un rôle
assez important en folklore a vraisemblablement été accompagnée
autrefois d'une sorte de cérémonial et peut-être
d'actes superstitieux;
actuellement encore elle est suivie d'un repas auquel sont invités les
amis et les voisins.
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