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Les traditions sur l'origine des îles sont moins nombreuses et
moins détaillées que celles des engloutissements des villes et
des pays;
certaines îles sont les débris de cités ou de contrées
que la mer a submergées.
L'île de Sein, les Triagoz, les Sept-Iles firent partie des diverses Keris;
les récifs de Chausey étaient les points culminants d'une
énorme ville, plusieurs îlots de la baie de Saint-Malo, les Glénans
dans le Finistère, sont les fragments de pays disparus.
Le souvenir du temps où cet archipel tenait au continent n'est pas encore
effacé : sur la côte de Fouesnant, on dit qu'on allait autrefois
à pied de Becmeil à l'île aux Moutons, aujourd'hui
à une grande lieue en mer;
La pointe de Trévignon touchait à l'île de la Cigogne,
et à chaque printemps une procession sortie de l'église de Loctudy
se rendait à l'une des îles, en suivant une allée de grands
arbres.
On raconte à Carnac que jadis il n'y avait qu'un saut de cheval
entre l'île de Houat et la pointe de Quiberon, séparées
maintenant par huit kilomètres d'eau salée.
En plusieurs endroits, on peut se rendre compte de ces ravages de la
mer, car l'espace qui s'étend entre quelques-unes de ces îles et
le continent auquel elles tenaient jadis est pour ainsi dire jalonné
par les hauts-fonds et par des écueils;
parfois ils conservent même les noms significatifs de chaussée
ou de pont, mais, tout au moins en Vendée, la tradition explique leur
présence par des causes diamétralement opposées à
la réalité.
Le Pont d'Yeu, appelé Pont-Saint-Martin, est une longue chaîne
de rochers, entre l'île d'Yeu et Saint-Jean-des-Monts, qui ne se
découvre qu'aux basses marées;
elle est dû au saint dont il porte le nom.
Un jour que, n'ayant pas de bateau, il était embarrassé pour se
rendre à l'île, il accepta l'offre de Satan, qui promit
de lui bâtir un pont en une seule nuit;
il allait être achevé lorsque le coq chanta.
Les rochers transportés en l'air par les démons leur échappèrent
et vinrent tomber à la place qu'ils occupent encore aujourd'hui.
Dans l'île, on raconte que le pont fut construit par le diable; à
la demande des habitants qui, pour son salaire devaient lui abandonner
corps et âme le premier être qui y passerait.
Saint-Martin, sitôt l'uvre terminée, y fit lancer un gros
chat : le diable dut s'en contenter;
mais la nuit suivante, il donna un violent coup de pied au pont et il s'écroula.
Des légendes assez nombreuses font remonter l'origine des îles
à des circonstances étranges ou surnaturelles, ou
aux gestes de personnages, presque toujours gigantesques, parmi lesquels
Gargantua tient, comme toujours, le premier rang.
Parfois ils posent des rochers si grands que la mer ne peut les recouvrir
entièrement, et ils deviennent des îles habitées
par les hommes.
Cette donnée est ancienne, et on la trouve au 16ème siècle
dans les Grandes chroniques de Gargantua, que plusieurs critiques attribuent
à Rabelais.
Grant-Gosier et Galemelle, se disposant à passer la Manche
sur les confins de la Normandie et de la Bretagne, placèrent chacun sur
leur tête le rocher qu'ils avaient apporté d'Orient, et
cheminèrent dans la mer.
« Et quant Grant-Gosier fut assez avant, il mist le sien sur la rive
de la mer, lequel rochier est à présent appelé le Mont
Sainct Michiel.
Galemelle vouloit mettre le sien contre, mais Grant-Gosier dist qu'elle n'en
feroit riens et qu'il falloit porter plus avant et est le dict de present appelé
Tombelaine. photos
»
D'après la tradition contemporaine de la Basse-Normandie, c'est Gargantua qui a posé en passant ces deux célèbres îlots.
Un vieux capitaine de Saint-Malo racontait, en 1839, que plusieurs îles
de la baie avaient été formées par l'accumulation
des pierres déposées, non par des géants, mais par les
moines de Saint-Jacut.
Lors d'une réforme introduite dans cette abbaye, où les murs
étaient fort relâchées, chaque moine fut condamné
à transporter par pénitence, à des endroits désignés,
autant de pierres qu'il avait commis de péchés.
Au cours de leur voyage, les géants ôtent de leurs chaussures
des graviers qui les blessent, et qui ne sont autre chose que des mégalithes
ou d'énormes rocs.
Lorsque Gargantua se promenait sur les côtes de la Manche, ou dans la
mer qui les baigne, il se sentait ainsi incommodé, et il retirait de
ses souliers des rochers ou même de véritables îlots.
D'autres, et parmi eux le Grand-Bé; où se trouve le tombeau
de Chateaubriand, ont été vomis par lui;
quand il avait envie de tuer des bernaches, il lançait des rochers que
l'on voit en pleine mer, ou des îlots, comme Minerve jeta l'île
de Sicile sur Encelade, et Neptune Nisyre sur le géant Polybotes.
Des îles s'élèvent aussi du fond de la mer pour donner asile à des personnages en péril.
La petite île de Verdelet, près de Dahouet (C.-d'A.) est
l'une de celles que Gargantua retira de son soulier, mais une seconde
légende plus gracieuse explique autrement son origine :
une fée qui traversait la mer, pour se rendre à Jersey au Val-André,
avait trop présumé de ses forces, et un peu avant d'arriver au
but de son voyage, elle n'en pouvait presque plus.
Elle sentit alors dans son soulier une pierre qui la blessait;
elle se déchaussa pour l'ôter, et la laissa tomber à l'eau
: la pierre grossit aussitôt et forma un îlot où la
fée put se reposer avant de continuer sa route.
Les Sette navi, les sept navires, rochers à l'entrée de
la baie de Chiavari, sont dus à une métamorphose analogue
à celle du vaisseau qui avait reconduit Ulysse dans sa patrie,
et que Neptune, irrité contre les Phéaciens, transforma en pierre.
Un matin, des pêcheurs d'Ajaccio virent une flottille de sept corsaires
qui attendaient à l'ancre le lever de la brise de mer pour s'emparer
de la ville.
Les femmes vinrent implorer Notre-Dame-de-Miséricorde, et la prièrent
de se laisser porter à un endroit d'où elle pût, par sa
présence, paralyser les infidèles qui menaçaient son sanctuaire.
Elle fut amenée processionnellement sur la place voisine de la
citadelle, qui est tournée vers la baie de Chiavari.
Lorsque la brise se leva, les navires restèrent immobiles.
Il en fut de même le lendemain.
Quelques jours après, des pêcheurs s'étant risqués
de l'autre côté du golfe, accompagnés d'un exorciste, constatèrent
que les sept navires avaient été changé en rochers.
Des îles qui, originairement, n'en formaient qu'une, ont été séparées par un cataclysme, comme le furent l'île de Ré et celle d'Oléron, lors de l'engloutissement de la cité qui occupait l'espace appelé aujourd'hui Pertuis d'Antioche.
L'île Sainte-Marguerite et l'île Saint-Honorat (au
large de Cannes) étaient réunies autrefois, et les
vieillards disent encore l'île Lérins en parlant des deux.
Elle appartenait au diable qui y enfermait les lutins dont il
n'était pas content.
Un saint, dont on a oublié le nom, reçut de Dieu la mission de
détruire le temple que Satan avait bâti dans l'île,
et de la submerger.
Plus tard, par une nouvelle permission du ciel, elle revint au-dessus
de la mer, coupée en deux, et l'île Saint-Honorat était
même couverte d'une belle forêt, où l'on voit les
débris du temple du diable. (A. de Larrive)
(L'épisode des lutins enfermés a sans doute été
suggérée par la destination du fort de l'île Sainte-Marguerite,
qui, à diverses reprises, a été prison d'Etat.)
La violence des courants, parfois terribles aux abords de certains rochers
ou de quelques îlots, est attribuée par les marins à la
présence de génies malfaisants ou à quelque circonstances
surnaturelles.
Le diable fait sa demeure sur le Rocher-Maudit; au ras de Bréhat, et
les bateaux qui s'en approchent, aspirés en quelque sorte par
lui, sont perdus sans ressources;
les mauvais génies qui habitent un îlot très sauvage, appelé
le Bruck, l'inculte, près du Port-blanc, tout entouré de récifs,
se plaisent aussi à entraîner les navires sur leurs pointes,
et la mer y est toujours en furie.
D'autres écueils au nord de la petite île Ar C'hastel, le Château, dans les mêmes parages, exercent jusqu'à une assez grande distance une attraction irrésistible.
Même par beau temps, la mer est grosse aux abords du rocher
de Félouère, non loin d'Erquy (C.-d'A);
un navire chargé d'aimant a coulé auprès, et les
bateaux, qui n'ont pas soin de s'en tenir éloignés, viennent
s'y perdre, invinciblement attirés par cette cargaison.
Le tourbillon du rocher de la Fauconnière à Plévenon (C.-d'A), dont les marins s'écartent avec terreur, s'est formé à l'endroit où disparut une fée qui se précipita dans les flots, lorsqu'un pêcheur y eut jeté le breuvage d'amour qu'elle lui présentait.
Des rochers, ordinairement au fond de la mer, remontent parfois tout exprès et se placent entre deux eaux, pour que les bateaux viennent sans défiance se déchirer sur leurs pointes.
Dans les parages des Héaux et des Triagoz, au pays de Tréguier,
des bancs de sable et des écueils surgissent sur la route des
navigateurs.
Sables, pierres ou marchandises, quand ils sont sacrifiés à
temps, apaisent ces bancs qui disparaissent ayant eu une proie.
On racontait, au Port-Blanc, qu'en 1868 un navire long-courrier, chargé
d'huile de palmes, se perdit sur l'un d'eux parce que l'équipage
ne voulut pas jeter un baril à la mer, comme offrande au mauvais
génie qui hante cet endroit.
Sur la côte de Tréguier, des bancs de sable et de coquillages se montrent tout à coup, se forment en rond, s'élèvent hors de l'eau et gardent les bateaux au milieu de cette espèce d'entonnoir.
Autrefois tout bateau ou navire qui s'aventurait trop près de l'archipel rocheux des Triagoz, était fatalement perdu, s'il ne jetait à la mer un sabot ayant appartenu à l'équipage, une coquille de noix ou une mèche de cheveux du plus jeune matelot en disant :
Botez, cogneu, cogneu vihan,
Et da gavout an erouan,
Et da gavout ar pot ru,
Kesset dezan ma blew dû.
« Sabot, coquille, allez trouver le diable (le génie du mal), allez trouver l'homme rouge, portez-lui mes cheveux noirs. »
Certains hauts-fonds sont le théâtre des ébats de Nicole,
lutin protéiforme qui s'amuse à enlever les ancres des
bateaux, à les entraîner à la dérive, à couper
leurs amarres, à embrouiller si bien les lignes, qu'on ne peut
les démêler.
Il se montre le plus habituellement sous la forme d'un gros poisson;
parfois, il s'élève au-dessus des flots pour se mettre à
rire de ses tours, et il parle comme une personne.
Les pêcheurs sceptiques disent que c'est un marsouin qui, en poursuivant
les petits poissons, enlève les grappins ou brouille les lignes.
Pour beaucoup, c'est une âme en peine, un ancien garde-pêche
trop dur aux pauvres gens, et qui les tourmente encore après sa mort;
d'autres le regarde comme le diable lui-même.
C'est en cette qualité qu'il fut exorcisé par le recteur
de Saint-Jacut, d'autres disent par celui de Saint-Cast, qui monta sur son dos,
et ne le laissa partir qu'après lui avoir fait signer un parchemin,
par lequel il s'engageait à ne plus tourmenter ses paroissiens.
Si les îles un peu grandes sont, comme le littoral, peuplées de
fées et de sirènes, ces dames de la mer résident
assez rarement sur les îlots.
Pourtant les fées de Dinard se rendaient quelquefois à celui de
l'Ebihen (C.-d'A);
l'une s'est endormie dans un souterrain qui s'y trouve.
Celui qui pourrait arriver jusqu'à elle serait à même de
l'épouser et vivrait heureux à jamais, mais il faut pour
la réveiller, traverser l'eau, la terre et le feu.
La reine des fées de la Rance venait parfois dans sa nacelle
à l'île Notre-Dame, dans la partie maritime du fleuve;
un jeune candidat au long cours qui, un jour d'orage, y avait amarré
son bateau en attendant que la mer fut calmée, la vit aborder et s'étendre
sur le gazon;
quand elle fut endormie, il s'approcha pour mieux la regarder.
Mais les compagnes de la fée survinrent, se saisirent de l'indiscret
et allaient le jeter à l'eau, quand leur reine s'éveilla, et leur
ordonna de le laisser;
puis, après lui avoir adressé quelques paroles gracieuses,
elle s'envola dans un char traîné par des papillons.
Le souterrain de la petite île de l'Ebihen dans lequel, comme
on l'a vu plus haut, dormait une fée, était aussi, d'après
une autre légende, le lieu où était condamné
à vivre au milieu des tourments un moine de l'abbaye de Saint-Jacut.
Ayant refusé d'accomplir la pénitence qui lui avait été
infligée en punition d'un homicide, il y fut englouti tout vif;
les hiboux lui arrachent la barbe et les cheveux pour tapisser leurs
nids, et il restera là, vivant, jusqu'au jour où une colombe
blanche, arrivant jusqu'à lui, déposera sur sa tête
des reliques de sainte Anne.
On dit à Saint-Malo que sur le grand Bé, où se trouve le tombeau de Chateaubriand, commence un souterrain qui va jusqu'en Angleterre.
Le plus ordinairement, les petites îles, peu ou point habitées,
les rochers isolés et battus par la mer, sont hantés par
des personnages de l'autre monde;
ceux qui passent auprès y entendent des cris épouvantables
ou voient passer les fantômes des âmes en peine.
Sur les écueils de Tévennec et de Creven Deiled, les morts conjurés
sont si nombreux que l'on ne pourrait y mettre le pied sans qu'une voix
réclame :
« A ma, ma, ma flac ! C'est ici ma place ! »
Les oiseaux même ne peuvent s'y poser.
Pendant que l'on construisait un phare à Tévennec, le jour,
au-dessus des travailleurs, tournoyaient des oiseaux de mer, surpris
de voir des êtres vivants à un endroit où ils ne pouvaient
se reposer à cause des morts.
Par leurs cris, « Kerskuit : va-t'en ! », ils semblaient
prévenir les ouvriers des dangers qui les menaçaient.
La nuit, c'étaient des bruits de gens qui se querellaient;
on aurait dit que tout était bouleversé.
Des vieillards parcouraient la roche et le bâtiment, des croix
se dressaient, s'abattaient, des gens se suspendaient;
pour faire cesser les apparitions et les bruits, on fut obligé
d'ériger sur le roc une croix en pierre.
Lorsqu'enfin on put allumer le phare, on y mit un seul gardien;
au bout de quelques jours, il déclara qu'il ne pouvait rester,
parce qu'il entendait des bruits terribles et surnaturels.
Un gardien marié, qui vint y demeurer avec sa femme, dit que toutes
les nuits des voix lui répétaient :
« Kerskuit ! Kerskuit ! va-t'en, va-t'en ! »
C'était le cri des mouettes qu'il interprétait ainsi.
On fit bénir le phare qui, jusque-là, n'avait été
l'objet d'aucune cérémonie religieuse, et depuis les gardiens
ne furent plus troublés.
Les « conjurés » n'ont pas abandonné cet îlot,
où les conduisait autrefois une barque spéciale;
un gardien du phare étant descendu pêcher à la ligne sur
les rochers fut rudoyé par une main invisible, et une voix en
colère lui dit :
« Retire-toi de ma place. »
Quand on aborde à un rocher au large de l'Ebihen, qui ne découvre
que dans les très grandes marées, on entend les gémissements
de trois femmes de Saint-Jacut, noyées là il y a environ
quatre-vingt ans.
Un douanier les y avait conduites dans son bateau pour pêcher des ormées
(haliotis), puis il regagna l'île.
Lorsque la mer monta, le vent se mit à souffler avec tant de violence
qu'il n'osa aller les chercher.
Elles se noyèrent, et, depuis, quand il fait gros temps, la patache de
la douane est secouée d'une façon extraordinaire :
ce sont les trois mortes qui agitent la mer et reprochent aux douaniers la lâcheté
dont l'un d'eux s'est jadis rendu coupable.
Les îlots et les rochers sont aussi fréquentés par des
trépassés qui s'y montrent sous forme animale :
un âne rouge qui apparaissait à l'île de l'Ebihen,
dans le chemin d'Enfer, ainsi nommé à cause de son escarpement,
se voyait le plus souvent encore perché entre le ciel et la mer,
sur la crête dentelée des « Haches », redoutable
suite d'écueils au nord de l'île.
Cet âne est un marquis, ancien propriétaire de l'Ebihen,
qui expie sa conduite scandaleuse dans Saint-Jacut.
Sa pénitence ne finira que le jour où une pêcheuse jaguine
l'aura piqué jusqu'au sang avec sa faucille à lançons.
Le plus habituellement ces âmes de l'autre monde ont l'apparence d'oiseaux
:
à la fin du 18ème siècle, on croyait aux environs de Brest
que les goélands qui volaient autour des écueils étaient
des trépassés qui y avaient fait naufrage.
Ils indiquaient par leurs cris le voisinage des brisants et l'approche
de la tempête, et leurs présages étaient plus sûrs
que ceux des meilleurs marins;
aussi étaient-ils placés sous la sauvegarde de la vénération
publique;
ceux qui les tuaient étaient maudits par les oiseaux expirants
et les effets de la malédiction ne se faisaient pas attendre.
Il était avéré, disait-on, que le matin de la terrible
catastrophe du Républicain, le capitaine de ce vaisseau
avait tiré des goélands du haut de sa dunette.
Les pêcheurs de la baie d'Audierne assuraient que l'on voyait toujours, sur un rocher éloigné du rivage, les âmes du roi Gradlon et de sa fille Dahut (voir la ville d'Is, page mer3), sous la forme de deux corbeaux qui se hâtaient de disparaître quand on s'en approchait.
Voici une légende relative au rocher de Tombelaine, (rapportée
par Marchangy).
Les paysans racontent qu'une jeune fille du nom d'Hélène,
n'ayant pu suivre Montgommeri, son amant, qui allait avec le duc Guillaume conquérir
l'Angleterre, mourut de chagrin sur ce rivage, où elle fut ensevelie.
Les pêcheurs ont observé que chaque année, le jour
et l'heure où l'on dit qu'elle trépassa, quand elle eut perdu
de vue, dans la vapeur de l'Océan, le vaisseau qui emportait sa vie,
une colombe vient le soir sur les genêts de Tombelaine et ne s'envole
que le matin, à l'aurore.
Les oiseaux fatidiques du Phare du Jardin, dans la baie de Saint-Malo, semblent
aussi représenter des âmes, et la croyance qui s'y rattache est
probablement plus ancienne que cet édifice, construit seulement
vers le milieu du 19ème siècle.
Lorsqu'on voit des mouettes se percher sur sa tour, on est sûr
d'apprendre qu'un bateau malouin s'est perdu, et le nombre de celles
qui viennent s'y reposer indique le chiffre des victimes du naufrage.
C'est surtout dans le voisinage des rochers que les pêcheurs sont
exposés à rencontrer des êtres qui, sous l'apparence de
poissons de forte taille, sont en réalité des incarnations
du diable, ou des morts.
Avant qu'on eut exorcisé celui que les gens de la baie de Saint-Malo
appellent Nicole, qui est pour eux, tantôt le démon lui-même,
tantôt un garde-pêche sévère tantôt un méchant
pêcheur qui a obtenu du diable, à son lit de mort, le pouvoir de
se transformer ainsi pour tourmenter ses anciens compagnons, il se montrait
aussi bien près des rochers que sur les hauts-fonds.
Les marsouins que l'on voit vers l'embouchure de la Rance, loin d'être
désagréables aux hommes, semblent au contraire, avoir pour eux
quelque affection;
on dit que ce sont d'anciens marins qui ont péri dans des naufrages,
et qui, sous cette forme, reviennent aux lieux qui leur sont familiers.
Ils ne quittent guère d'ailleurs les parages où ils exercèrent
jadis leur profession;
chaque bande a son chef, que l'on désigne sous le nom du rocher
qu'il préfère;
il y a la Bête à Bizeux, dans la Rance, la Bête
au Décollé, la Bête aux Ebihens.
S'ils jouent parfois des tours aux pêcheurs, ils ne deviennent méchants
que quand on leur fait du mal.
On raconte la punition exemplaire d'un pêcheur de Saint-Enogat
qui, d'un coup d'aviron, avait crevé l'il à un chef marsouin
:
le lendemain, il ne vit plus son bateau à la place où il
l'avait amarré la veille.
Il ne le retrouva que huit jours plus tard, complètement brisé,
dans une crique de la Rance;
une autre barque qu'il avait achetée fut, un jour d'orage, entourée
de milliers de marsouins qui la poussèrent sur un rocher de Saint-Enogat,
près de la Goule-aux-Fées, où elle fut mise en miettes,
et le marin se sauva à grand-peine.
Suivant des croyances populaires assez répandues, des îles sont
à l'abri de certaines bêtes dangereuses.
Quelques-unes ont été débarrassées, en des circonstances
merveilleuses, des reptiles qui les infestaient, et il en est plusieurs
où ils ne peuvent vivre.
Saint Hilaire de Poitiers étant débarqué dans l'île
de Gallinarie qui était pleine de serpents, ils s'enfuirent à
son approche et il planta un poteau au milieu de l'île, en leur ordonnant
de se contenter de la part de terrain qu'il leur laissait.
Saint Honorat employa un moyen plus radical :
lorsqu'il arriva à l'île qui porte maintenant son nom, elle était
remplies de reptiles venimeux qui en défendaient l'approche.
Le saint, montant sur un palmier dont il existe encore un rejeton, invoqua
la toute-puissance de Dieu.
A sa voix, la mer envahit l'île et submergea la race immonde qui la peuplait.
Quand elle se retira, saint Honorat se mit à bâtir son monastère.
Il en fut de même à l'île d'Yeu, après que saint Arnaud eut forcé à se précipiter à la mer un énorme serpent qui l'habitait.
Les îles et les rochers ne paraissent pas être l'objet d'observances se rapportant à un ancien culte, et l'on ignore pourquoi, le jour saint-Jean, les pêcheurs de la paroisse qui porte ce nom ont coutume de naviguer autour d'un certain rocher, appelé le Cheval Guillaume, qui est à quelque distance de la côte.
Sur l'îlot du Pilier, séparé de Noirmoutier par
un petit bras de mer, s'est longtemps tenue une assemblée où
les jeunes gens et les jeunes filles accouraient des villages danser et festoyer
les jours de l'Ascension et de la Pentecôte;
quand on leur demandait d'où venait cette coutume, ils répondaient
qu'ils n'en savaient rien, mais que cela s'était passé
de tout temps.
L'aspect de certains rochers leur a fait donner des noms en rapport
avec l'objet qu'ils rappellent.
Un rocher près de Bréhat s'appelle Pen-Azen, tête
d'âne.
D'autres ont des noms d'animaux, tels que chèvres, chevreaux,
chevaux, juments, qui tiennent peut-être à leur forme, mais qui
peuvent leur avoir été imposés en raison de l'état
bondissant de la mer qui les entoure :
c'est ainsi que le cheval est souvent en rapport avec la mer agitée.
Des écueils au Décollé, près de Saint-Malo, et sur la Chaussée des Pierres noires (Finistère), s'appellent Cheminées, parce que la mer en s'y brisant fait une espèce de fumée.
D'autres noms signalent le danger :
la langue de c'tien ou langue de chien est un banc de roches, près d'Ambleteuse,
fort redouté;
on trouve aussi les Epées de Tréguier, les buissons, les haches,
etc, le trou de la Mort près de Boulogne, le Trou du Diable, la Roque
du Diable, etc.
Une roche à la pointe de la Varde, dans la baie de Saint-Malo, est si
fortement secouée les jours de tempête que les marins prétendent
qu'on la voit remuer :
c'est pour cela qu'elle s'appelle Tremblouse.
A Granville, le Fainéant est un rocher qui a reçu ce nom parce qu'on n'y voit pas un brin de varech.
A Basta près de Biarritz, un rocher, tellement battu par les vagues que les poissons s'en éloignent et qu'aucun des crustacés ordinaires aux parages environnants n'ont pu s'y accrocher, s'appelle le Misérable.
D'autres noms semblent supposer des légendes :
il est probable que celle qui suit explique pourquoi un rocher de la baie de
Paimpol s'appelle Plac'h a deiou, les Fillettes.
Il y avait sur l'îlot de Saint-Rion, où l'on se rendait
alors, à pied sec au moment des grandes marées, une chapelle dédiée
à ce saint.
Un jour des jeunes filles de Plouézec allèrent à
l'île en partie de plaisir, pour y prendre le lait de mai.
Après en avoir bu, il leur prit fantaisie de barbouiller irrévérencieusement
la figure du saint.
Elles reprirent le chemin de la côte, mais elles ne tardèrent pas
à être cernées par la mer qui, ce jour-là,
montait plus rapidement que de coutume.
Elles allèrent se réfugier sur la roche la plus voisine.
Mais la mer continuant de monter, elles périrent victimes de la vengeance
du saint qu'elles avaient outragé.
Le rocher sur lequel elles moururent et qui couvre à mi-marée
a pris depuis ce temps le nom des Fillettes.
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