Faune

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V. Reptiles

a - origine

D'après les légendes bretonnes de création dualiste, les reptiles sont la contrefaçon diabolique de l'œuvre de Dieu.
Lorsqu'il eut créé l'anguille, le diable fit la couleuvre, et quand le créateur eut fait les poissons, Satan fit les serpents qui vivent dans l'eau.

Quelques reptiles ont été, postérieurement à l'origine des êtres, privés dans des circonstances légendaires de certains de leurs organes.
On raconte en Picardie que, lorsque Dieu eut tiré une côte à Adam pour créer la femme, il la déposa à côté de lui pendant qu'il recousait la plaie.
Le serpent s'en empara furtivement, et comme à cette époque il avait des pattes, il s'enfuit rapidement.
Dieu envoya à sa poursuite l'archange saint Michel qui réussit à lui saisir les pattes;
mais le serpent se dégagea par un violent effort, en les lui laissant entre les mains.
L'archange les rapporta au Père Eternel qui souffla dessus et créa ainsi Eve; voilà pourquoi la femme est perfide, et c'est aussi depuis ce temps que le serpent n'a plus de pattes.

 

b - croyances et préjugés

En Franche-Comté, la couleuvre qui est, comme on le sait, ovipare ne porte qu'une fois et seulement trois petits;
ceux-ci lui fendent le ventre et elle périt.
Une particularité rapportée par Pline semble avoir été populaire à l'époque de la Renaissance :
« On dit, selon le conte des bonnes femmes, que les tortues couvent leurs œufs avec les yeux. »

Les reptiles, même nés d'une façon normale, peuvent subir des transformations :
en Haute-Bretagne, une couleuvre qui reste sept ans sans voir âme se change en serpent.
Le plus ordinairement, il pousse des ailes à ceux qui, pendant sept ans, ont pu se soustraire à la vue des hommes;
c'est, dit-on en Poitou, l'origine des serpents ailés qui semblent s'éloigner peu de leur contrée d'origine, où ils sont l'objet d'un grand effroi.

 

Le lézard est connu pour être l'ami de l'homme;
au Moyen Age, on disait dans le midi de la France que, lorsqu'il voyait un serpent s'approcher d'une personne endormie, il lui sautait subitement sur la face et la réveillait;
en Auvergne, on raconte encore des faits de ce genre.
En Poitou, le grand lézard vert des ajoncs prévient le dormeur du danger qui le menace en passant sur sa figure, ou en le chatouillant.

Dans quelques lieux de la Normandie, le peuple appelle le crapaud l'ami de l'homme, dans la persuasion qu'il avertit les gens endormis dans les bois de l'approche des reptiles.

L'orvet passe aussi, dans les Deux-Sèvres, pour éveiller par un coup de sifflet les moissonneurs sur le point d'être mordus par une vipère.

Suivant une idée assez répandue, le lézard a pour la femme des sentiments opposés à ceux qu'il éprouve pour l'homme :
en Haute-Bretagne, il la déteste et lui saute à la figure.
Aux environs de Dinan, le vert-creux, lézard de grande taille dont le corps est vert, la tête bleue et la queue grise, se plaît avec les hommes, surtout quand il les entend siffler et chanter, et il y en a qui s'approchent tout près pour les écouter;
mais il ne peut souffrir les femmes. S'il en survient une, il devient furieux et s'élance sur elle pour la mordre.

A Spa, le crapaud est l'ami de l'homme et l'ennemi de la femme;
dès qu'il en aperçoit une, il se gonfle et offre tous les signes d'une violente colère.(Il est également amateur de la musique humaine.)

 

On se sert des reptiles pour se préserver des insectes, des oiseaux ou de la sorcellerie.
En Limousin, un lézard vivant attaché aux poutres de l'étable empêche le serpent de téter les vaches.
En Bas-Languedoc, en Lauragais, le crapaud suspendu vivant par une patte de derrière au poulailler tue les mites ou les poux.
Les marins bordelais en placent un dans les navires pour en éloigner les rats;
les habitants de la Montagne Noire croyaient chasser les souris d'un lieu quelconque en y déposant un crapaud enfermé dans une cruche.
Au 17ème siècle, existait l'usage de mettre une grenouille de buisson dans un pot de terre neuf et de l'enterrer au milieu d'un champ afin d'empêcher les oiseaux de manger ce qu'on y avait semé.

 

Dans la Bresse, on fête les serpents à un certain jour :
un fermier qui l'avait oublié une fois vit pendant toute l'année les serpents pulluler autour de chez lui, en sifflant, et pénétrer même dans sa cuisine.

 

Au 16ème siècle, on disait en proverbe :

Salive d'homme
Tous serpens domme
(dompte).

Cette opinion, qui était celle de l'Antiquité, est encore très répandue en France :
dans la Gironde, la Dordogne, etc., on croit que, si l'on peut humecter les lézards ou les serpents d'un peu de salive, on les tue.
Dans le Mentonnais, lorsqu'on réussit à cracher dans la bouche d'une couleuvre, elle meurt.

 

c - Malfaisances et pouvoirs

On croyait en Poitou, au commencement du 19ème siècle, que si un homme fixait longtemps un crapaud il finissait par le tuer, mais que le contraire pouvait bien arriver.

L'haleine des reptiles suffit quelquefois pour amener la mort de ceux qui la respirent, et son action peut s'exercer jusqu'à une assez grande distance.
Dans le Puy-de Dôme, le souffle, petit serpent qui vit dans les mares, les puits, sous les pierres humides, est ainsi appelé parce qu'il tue par son souffle celui qu'il voit le premier;
mais on n'a point de mal si on l'aperçoit avant.

Dans les Hautes-Pyrénées, le reptile sorti d'un œuf de coq aspire tous les êtres qui sont à sa portée et les dévore;
il fait venir à lui par la puissance de son haleine les petits oiseaux et les petits enfants.

Dans le Cher, le crapaud exerce sa fascination sur les ruches :
il se place devant une, ouvre la gueule et les abeilles viennent s'y précipiter.

 

En Basse-Normandie, on voulut autrefois savoir si le crapaud était plus dangereux que la salamandre;
on plaça sous un van un condamné à mort, et on lâcha près de lui un crapaud et un moron.
Le crapaud tourna autour du van, essaya de le soulever, et n'y ayant pas réussi s'en alla;
le moron ne put trouver un trou pour passer, mais il se planta sur le van, là où était le cœur de l'homme, tout droit sur la tête, puis il s'éloigna;
quand on retira le van, l'homme avait cessé de vivre.

Dans le Bocage normand, un mouron, après avoir fait en rampant le tour d'un homme endormi, monta sur lui, chercha l'endroit où battait le cœur et y frappa trois coups avec sa tête;
l'homme ne se réveilla pas.

La salamandre qui dans un grand nombre de dialectes du nord et de l'ouest de la France, est désignée sous le nom de sourd, passe pour n'avoir point d'ouïe et l'on dit en proverbe, d'un homme :
il « oit » dur comme un sourd en Hte-Bretagne ou en Normandie, « il est sourd comme un mouron ».
Il en est de même pour l'orvet, tout aussi inoffensif, et qu'on dit aveugle.
Le dicton qui suit et qui a des parallèles en d'autres pays, est populaire en Haute-Bretagne :

Si anva vayait
Si sourd entendait,
Homme sur terre ne vivrait.

 

Presque partout on ne dit pas que les serpents mordent, mais qu'ils piquent; c'est leur langue assimilée à un dard, qui cause la blessure.
Les paysans vendéens croient que le mâle de la vipère fait deux piqûres et la femelle quatre.
Une personne mordue par un serpent peut, dit-on en Touraine, communiquer par son haleine aux personnes qui l'entourent le poison dont elle est infectée.

Les plantes et les objets inanimés ressentent aussi la malfaisance du venin :
en Hte-Bretagne, les arbres peuvent mourir s'ils ont été piqué par un reptile.
On racontait, au 13ème siècle, qu'un laboureur des environs de Tarascon ayant trouvé un serpent dans son champ le frappa, et qu'alors le venin passa dans son bâton qui tomba tout de suite en pourriture. (G. de Tilbury)

 

Plusieurs reptiles sont regardés, à tort, comme très venimeux :
l'orvet se nomme vendredi dans la Gironde, parce qu'il ne mord que ce jour-là, mais la blessure qu'il fait conduit l'homme au tombeau.
Les piqûres des tritons et des salamandres causent la mort.
En certain pays, le lézard vert est tout aussi redouté; s'il pique les vaches au nez, elles crèvent, dit-on en Hte-Bretagne, où le vert-creux, qui est de grande taille, peut occasionner une enflure souvent mortelle.

On croit dans la Gironde et en Provence, que le crapaud rend aveugle celui aux yeux desquels il pisse;
et en Poitou que de jeunes crapauds naissent dans l'œil où l'urine s'est introduite.
Son corps lui-même est venimeux : on raconte en Hte-Bretagne qu'une femme ayant baratté du lait dans lequel se trouvait un crapaud, tous ceux qui en mangèrent moururent.
Un gwerz fut composé à l'occasion de la mort de dix-neuf personnes empoisonnées par un de ces batraciens qui s'était introduit dans le pot au lait.

Suivant un préjugé très répandu, lorsqu'un sourd a mordu, on ne peut lui faire lâcher prise.
On dit en Hte-Bretagne en parlant d'un homme obstiné : « il est comme le sourd; il ne démord pas. »
On attribue la même ténacité au lézard vert.
En Basse-Normandie, les morons (sourds) sautent au visage de celui qui le attaque et y demeurent attachés;
si on les arrache, ils emportent le morceau et l'on meurt; il faut tâcher de les faire démordre, soit en leur offrant du lait, soit en approchant d'eux un fer rouge, soit encore en leur montrant un crapaud, ils quittent alors l'homme pour se jeter sur lui;
dans le pays de la Hague, une fille portait, dit-on, un moron à la joue dans un petit fourreau qu'elle lui avait fait faire.

 

La facilité avec laquelle les reptiles s'enroulent a donné naissance à plusieurs croyances erronées.
Dans la Côte-d'Or, on recommande aux enfants de ne pas marcher pieds nus, parce que un lézard pourrait monter le long de sa jambe et la tordre.
On dit, en Poitou, que si un serpent arrive à s'enrouler autour de la jambe, il avale sa queue et forme ainsi un lien sans bout qui serre de plus en plus jusqu'à ce qu'il ait brisé le membre;
on attribue le même acte dans la Beauce à la couleuvre vipérine.

Au commencement du siècle dernier, les Solognots désignaient sous le nom de sangle un reptile qui, dès qu'il apercevait un passant, se jetait sur lui, s'entortillait par trois ou quatre fois autour de son corps, et le serrait avec tant de vigueur et surtout de célérité qu'il lui ôtait la respiration et ne le laissait que quand il l'avait étouffé.

 

Les reptiles, qui sont en effet très friands de lait, passent pour se le procurer en suçant les mamelles des animaux, et, plus rarement, le sein des femmes.
On disait en Sologne que les gros serpents tétaient les vaches; la bête dépérissait, elle avait des abcès et finissait par mourir.
Dans nombre de pays, on accuse les couleuvres d'avoir sucé pendant la nuit le pis des vaches qui donnent du lait rouge.
En Auvergne, la salamandre tète les vaches couchées dans les bois, et leurs mamelles périssent.
Aux environs de Rennes, on accuse le lézard de sucer le sein des femmes et les faire maigrir;
dans les C.-d'A, un « aspi » tétait une jeune fille qui ne pouvait s'en débarrasser;
on la fit monter sur une jument, et quand celle-ci pissa le reptile lâcha prise croyant que c'était du lait.

Dans le Mentonnais, si on laissait un enfant seul, un serpent pourrait venir lui sucer le lait par la bouche en frappant sa poitrine avec sa queue.

Aux environs de Lorient, quand le lait est teinté de rouge, ce qui indique que la vache a été tétée par une couleuvre, on met son lait dans une fourmilière, ce qui fait périr la couleuvre.

Dans le Finistère, des gens empalent le sourd et le laissent mourir lentement, croyant qu'on ne peut assez le faire souffrir parce qu'un de ses ancêtres a sucé le lait de la Vierge.

 

On rencontre en Bretagne le parallèle d'une superstition qui s'attache aux chiens enragés (voir "eaux douces 1", bas de page).
En Ille-et-Vilaine, la vipère qui a mordu va boire; si le blessé peut boire avant elle, il est sauvé;
dans le Finistère, elle meurt si elle n'a pu le devancer; si elle l'a prévenu, c'est lui qui succombe.

Voici un dicton du Loiret qui indique le degré de nocuité des divers reptiles :

Aspi — met au lit
Couleuvre — donne la fieuve,
Vipère — met en bière
Anveau — couche au tombeau.

 

La croyance au dicton : « Morte la bête, mort le venin », existe encore en plusieurs pays.
En Haute-Bretagne, si on peut écraser la tête de la vipère qui a mordu et la mettre sur la plaie, on est bientôt guéri;
dans la Creuse l'application de la tête coupée produit le même résultat;
en Poitou c'est le foie; en Basse-Bretagne, le sang.

En Lorraine, celui qui a été mordu par une salamandre doit faire autant de pèlerinages que ce reptile a de points sur le dos;
on disait autrefois qu'il lui fallait autant de médecins qu'elle a de taches sur le corps, et dans le Jura on assure qu'il est nécessaire de pratiquer autant d'incisions sur la partie lésée que l'animal a de points jaunes sur le dos.

 

Suivant une croyance très répandue, les reptiles s'introduisent dans l'intérieur de l'homme, parfois sans que le patient le sache, et ils produisent de graves désordres.
En Poitou, la couleuvre peut y pénétrer par le fondement;
en d'autres pays, elle entre par la bouche des enfants endormis au soleil, et va jusque dans l'estomac pour y déposer ses petits.
Pour guérir ceux qui sont ainsi attaqués, ils faut les suspendre la tête en bas, au-dessus d'un vase de lait chaud, afin que les petits, gourmands de ce breuvage, se hâtent de sortir de l'estomac du malade;
le même remède est appliqué dans le Mentonnais.
Il était connu au 16ème siècle :
« J'ay (dit frère Jean) autrefois ouy dire que le serpent entré dedans l'estomac ne fait desplaisir aucun et soudain retourne dehors si par les pieds on pend le patient, luy presentant prés la bouche un paeslon plein de laict chauld. » (Rabelais)

 

Les paysans qui attribuent aux reptiles tant d'actes de malfaisances connaissent des moyens de les rendre inoffensifs ou de les détruire;
une formule est encore en usage dans le Morvan, où on parle du serpent au féminin.
Quand on en rencontre, il faut le regarder en face et lui dire :
« Te voilà, servante du Peut; je te dis que Noël était (indiquer le jour de la semaine de la dernière fête de Noël) et je t'ordonne de ne pas aller plus loin. »
Dès qu'elle a entendu ces mots, la bête rebrousse chemin.

 

Certaines essences d'arbres, parfois même des plantes fragiles, font périr les serpents, sans qu'il soit besoin de leur en donner de coups violents.
En Poitou, on tue sans peine un reptile en le frappant modérément avec un brin de noisetier n'ayant jamais eu de fruits;
en Ille-et-Vilaine, toute baguette de ce bois est bonne pour le mettre à mort.
En Haute-Bretagne, l'aspic frappé avec un brin de fougère crève aussitôt; dans la Loire-inf., on tue raide l'orvet de la même façon.

 

On dit, dans le Bas-Maine, que si on blesse un crapaud sans le tuer raide, il reviendra, la nuit, monter sur la poitrine du meurtrier et l'étouffera;
la même superstition existe dans les Landes, et en Haute-Bretagne, où l'on dit que, bien des années après, le batracien mutilé vient se venger, ou même jeter du venin sur la tombe de son ennemi.
Dans la Loire-inf., on a soin de l'embrocher avec un bois pointu qu'on plante solidement en terre par le bout opposé.

Dans le Finistère, où le crapaud est détesté, on l'empale au moyen d'une baguette aiguisée, et on l'expose dans un lieu apparent.

Les paysans du Centre enfoncent l'extrémité aiguë d'une baguette fichée en terre dans une des pattes de derrière de l'animal qui reste ainsi suspendu la tête en bas jusqu'à ce que mort s'ensuive; c'est ce qu'ils appellent lui faire faire de la toile;
les enfants poitevins, qui ont le même jeu cruel, l'exposent aussi au soleil.

En Auvergne comme dans la Loire, on lui introduit dans la bouche une petite branche ou une paille recourbée comme hameçon, puis on le suspend à une branche où il gigote jusqu'à ce qu'il expire;
on dit qu'il pisse aux yeux de ses bourreaux.

En Ille-et-Vilaine et dans les Deux-Sèvres, on exécute ce pauvre batracien : on le place sur l'extrémité d'une planche, et puis on le lance à une grande hauteur;
comme il a la vie très dure, il n'est pas mort du premier coup, on recommence deux ou trois fois, puis on le perce d'un bois pointu, et ainsi empalé, on l'expose au soleil pour terminer sa malheureuse existence.

Dans les Pyrénées, si le mauvais œil a frappé le bétail, il est urgent de faire tournoyer dans l'étable un crapaud expirant au bout d'un fil.

 

Dans quelques villages des Pyrénées, on place dans le feu de la Saint-Jean des couleuvres qui sont introduites dans des fagots cernés de cercles de tonneaux, et l'on s'amuse à voir les efforts qu'elles font pour sortir du feu.

 

Certains reptiles sont au contraire respectés à cause des services qu'ils rendent, et ceux qui se montrent cruels à leur égard peuvent être punis.
En Vendée, il faut s'abstenir de tuer les crapauds dans les jardins, parce qu'ils empêchent la brume de nuire aux plantes.

En Normandie, faire du mal au crapaud qui est l'ami de l'homme, c'est s'attirer volontairement quelque disgrâce;
cette croyance, sans être générale, est celle de plusieurs paysans de la Haute-Bretagne.

Dans la Gironde, celui qui tue la grenouille de rosée (rana agilis) attrape la fièvre;
le meurtre d'une cingalette, sorte de petit lézard gris, fait tomber la pluie.

Suivant une croyance des environs de Quimper, qui semble en contradiction avec l'opinion générale, on ne doit jamais tuer un crapaud, parce que dans son vilain corps peut se trouver l'âme d'un ancêtre qui y a été mise par Dieu pour expier ses péchés;
quand ces animaux viennent avec insistance près des hommes, c'est qu'ils demandent des messes.

 

d - Sorcellerie et talismans

Les reptiles, et en particulier les batraciens, ont joué dans la sorcellerie un rôle considérable, dont il reste encore des traces dans le folklore contemporain.
A l'époque où l'on fit tant de procès à ceux que l'on prétendait avoir des accointances avec le diable, les juges qui écrivaient pour guider leurs collègues leur signalaient parmi les présomptions de culpabilité la possession de certains reptiles : Bodin conseille de ne pas hésiter « à poursuivre si on trouve celle qui est accusée d'estre sorcière saisie de crapauds ou de lézards … »

On croit en Haute-Bretagne que si une femme parvenait à apprivoiser le vert-creux, grand lézard qui ne peut souffrir les personnes de son sexe, elle verrait, quand elle le porterait dans son corsage, ce qui se fait ou ce qui se dit à dix lieues à la ronde, elle aurait le don d'ubiquité et pourrait guérir toutes les maladies.

 

Suivant une croyance de Basse-Bretagne, pour se mettre en rapport avec le diable il faut prendre une grenouille verte, le jour de la pleine lune et la déposer dans une fourmilière en disant :

Heb aoun na spount,
Gweskler glaz, kê en da roud
etc.

« Sans peur ni effroi, grenouille verte, poursuit ta route, fais connaissance avec le diable, pour qu'il m'apporte un peu d'or et que j'ai le moyen de rester à jamais sans travailler. »

 

Le crapaud est fréquemment associé aux maléfices préparés pour nuire au bétail.
Il y a quelques années un fermier de Guingamp, dont les chevaux mouraient sans cause apparente souleva, par le conseil d'un devin, une grande pierre qui se trouvait au bas de son écurie, et il y vit un énorme crapaud, qu'il salua trois fois et auquel il offrit un pain blanc, trois chandelles de résine et trois liards : le crapaud disparut en un instant ainsi que les présents qui lui avaient été faits.

 

Les reptiles entrent dans la composition des breuvages magiques et des talismans : les sorcières du Béarn, au moyen d'un crapaud, préparaient un philtre pour pervertir les jeunes filles.

En Poitou, on se fait suivre par celle qu'on aime en mettant une grenouille verte dans une boîte percée de petits trous, et que l'on abandonne dans une fourmilière; on reprend au bout de quelques jours ce qui reste de la bête, on le broie avec soin et on jette la poussière sur la personne sur laquelle on veut opérer le maléfice.

A Liège, la grenouille est déposée vivante dans un nid de fourmis noires;
quand il n'en reste plus que les os, on en choisit deux formant la fourche, et on les porte sur soi;
suivant une variante, lorsque la petite bête se sent piquée par les fourmis, elle crie, et celui qui l'entend devient sourd;
treize jours après, on prend parmi ses os le bréchet, qui ressemble à une pince, et dont la tête a la forme d'un petit marteau; la pince force la jeune fille à aimer, le marteau approché de ses vêtements la guérit de son amour.


Au 16ème siècle, d'après le médecin Mizauld, on faisait dire à une femme tout ce qu'elle avait de secret en lui mettant le cœur d'un crapaud sur la mamelle gauche pendant qu'elle dormait.

A la même époque, on attribuait à une partie de la grenouille un pouvoir analogue :

Ta langue charmeresse peut
Faire conter à la pucelle
Les propos que veut sçavoir d'elle
Le jeune amant qui la poursuit,
La luy pendant au col de nuit.

 

Des fragments de reptiles, parfois l'animal entier, sont portés comme talismans :
en Hte-Bretagne, on est assuré d'avoir de la chance, si on a sur soi un langue de couleuvre, ramassée sans tuer la bête, enveloppée dans un drap et mise dans la poche.

En Bas-Languedoc, pour trouver de l'argent, il faut avoir dans son soulier un fragment de petit lézard des murailles.

En Ille-et-Vilaine, une queue de lézard dans la bourse y fait venir l'argent.

La peau de serpent, à laquelle on attribue des vertus guérissantes, influe aussi sur la chance et préserve de la sorcellerie.
Dans le Cantal, on ramasse précieusement celle qui provient de la mue, parce qu'elle porte bonheur; dans la plupart des fermes, on peut en voir une accrochée dans un coin de la pièce principale;
on l'enroule autour d'un bâton, et on la conserve dans l'armoire à linge;
les bergers sont aussi très heureux d'avoir une de ces peaux dans leurs étables, et les charretiers les recherchent pour les placer dans les écuries.

Dans la Brie champenoise, on dit d'un homme chanceux qu'il a de la peau de couleuvre dans sa poche.

Dans le Mentonnais, une peau de vipère cousue dans le vêtement d'un conscrit à son insu lui procure un numéro élevé.

 

e - Médecine

La médecine populaire contemporaine fait encore usage de reptiles.
C'est souvent à eux que l'on a recours pour qu'ils débarrassent le patient de sa maladie en la prenant.

En Poitou, le crapaud est placé dans la chambre du patient pour absorber le mauvais air.
A Marseille, on l'introduit dans celle du fiévreux, parce qu'il attire à lui le mal : plus il est gros et hideux, plus grande est la dose qu'il aspire de la malignité de la fièvre.
En Ille-et-Vilaine, on met un crapaud sous l'oreiller des varioleux pour les empêcher d'être marqués.

D'autres emplois sont fondés sur l'idée si répandue de la transmission du mal par le contact.

Dans l'Ain, pour faire disparaître les névralgies, on le maintient pendant une nuit sur la tête.
En Haute-Bretagne et dans le Maine, on le place sur un cancer, et il le guérit en suçant le venin.
Cette pratique était en usage au 17ème siècle sous cette forme :
« Quand le Cancer est ouvert, il faut prendre un crapaud tout vif sans luy couper quoy que ce soit et l'appliquer immédiatement sur la playe : un gros si la Playe est grande, un petit si la Playe est petite :
quand il sera appliqué, il faut bien bander pour le faire tenir…Vous le laisserez sur la Playe l'espace de vingt-quatre heures.
Quand vous l'osterez il faut prendre garde s'il est mangé :
car s'il est mangé, c'est un témoignage que le cancer est mort…Pourtant pour bien connoistre si le cancer est mort, il faut appliquer d'autres Crapaux jusqu'à ce que vous remarquiez qu'ils ne sont plus mangés.
»
Ce même remède était conseillé contre la Peste.

Dans la Gironde, on frictionne les verrues avec un crapaud vivant.
A Lille, des Belges traitent les angines en mettant dans la bouche du malade une forte grenouille, qui doit gonfler et noircir pour tirer le mal;
si la première employée ne donne pas un résultat convenable, on peut user d'une seconde.

En Gascogne, on mettait au cou de celui qui souffrait de la fièvre quarte une cicoulane (lézard gris) vivante enfermée dans un fragment de roseau;
quand elle était morte, le malade était guéri.

Dans le Morvan, on place sur la tête de ceux qui sont atteints de méningite un crapaud vivant enfermé dans un sac, et qui est supposé prendre le mal.

Au 16ème siècle, Fernel, médecin de Henri II, notait un remède populaire qui est encore usité dans le Tarn pour se débarrasser de la toux;
il consistait à cracher dans la gueule d'une grenouille de buisson, et à la laisser aller incontinent toute vive.

En Wallonie, pour ne pas transpirer des mains, il faut tenir dans chacune d'elles un crapaud jusqu'à ce qu'il expire; dans le pays de Liège, on se délivre du même inconvénient en y laissant mourir une grenouille.

A Marseille, un crapaud mort placé dans la poche préserve du mal de dents.

 

Plus que toute autre partie de leur corps, la peau dont les reptiles se dépouillent périodiquement est regardée comme douée de vertus médicinales.

En Lorraine, lorsqu'on a mal à la gorge, il suffit de prendre au clou où elle est accrochée une peau de couleuvre et de s'en servir en guise de cravate pendant quatre ou cinq jours.

Suivant une croyance wallonne, elle guérit les clous si on la place sur la partie du corps opposée à celle où le mal se trouve.

En Poitou, pour certaines maladies des yeux, on place un serpent sur des charbons ardents, et l'on reçoit la fumée qui s'en dégage en tenant la tête au-dessus du foyer.

Celui qui, au printemps, trouve pour la première fois sans le chercher du frai de grenouille et s'en frotte les mains, en ayant soin de ne pas les laver de la journée, acquiert le pouvoir de guérir les animaux des tranchées et les gens du carreau.

 

f - Légendes et contes

Dans plusieurs récits de la Haute-Bretagne, des fées sont métamorphosées en couleuvres, soit de leur propre volonté, soit plus ordinairement, contre leur gré.

Un jour que deux faucheurs prenaient leur repas sur le gazon, une couleuvre venait manger les miettes de pain;
l'un déclara qu'il la tuerait si elle passait à portée de sa faux, tandis que son compagnon disait que ce serait dommage de faire du mal à la petite bête.
Il rencontra le soir une Margot-la-Fée qui lui donna deux ceintures, une pour lui, l'autre pour son camarade, en lui recommandant de ne pas se tromper.
Il ouvrit la sienne qui était pleine d'or;
il attacha l'autre au pied d'un chêne, et le lendemain toutes ses feuilles étaient flétries.

 

Les sorcières peuvent emprunter l'apparence de reptiles;
on racontait au Canada français, vers 1850, qu'une vieille femme se changeait en grenouille pour manger la crème du lait de ses voisins;
un jour qu'elle sautillait près des terrines qu'elle avait écrémées, elle fut prise par la fermière qui la mit sur un fer rougi au feu, mais la grenouille s'échappa et sortit de la maison;
le lendemain quand elle vint voir sa voisine, ses mains semblaient brûlées, et elle fut plusieurs jours sans pouvoir travailler.

En Wallonie, une sorcière éprouve une aventure pareille : une femme, ayant donné un coup de fourche à un crapaud qui tétait sa vache, rencontra le lendemain sa voisine qui avait la main percée.

Dans le Morbihan français, une servante sorcière, s'étant un soir changée en couleuvre, fut battue à grands coups de bâton par ses galants qui ne la reconnaissaient pas sous ce déguisement.

 

Suivant des légendes de l'Antiquité, des serpents avaient communiqué le don de comprendre le langage des oiseaux à Mélampus, à Cassandre, à Hélénus, en leur léchant les oreilles.

 

C'est peut-être parce que le crapaud symbolisait l'avarice qu'il joue un rôle dans plusieurs récits qui racontent la punition d'enfants que ce vice a dénaturés.
L'un d'eux remonte au 13ème siècle :
lorsque le dominicain Etienne de Bourbon prêchait à Vézelay contre les Albigeois, plusieurs personnes lui assurèrent avoir vu un homme à la figure duquel était attaché un gros et horrible crapaud.
Si on essayait de l'arracher, on faisait cruellement souffrir sa victime qui était punie de son ingratitude :
un jour que cet homme avait sur sa table un chapon bien gras, son père frappa à sa porte, et pour ne pas lui donner à manger, le fils cacha le plat dans un coffre.
Lorsque après le départ de son père, il ouvrit le coffre, il vit dans le plat cet horrible crapaud qui lui sauta à la figure.
On trouve des histoires analogues en Franche-Comté, en Bretagne, dans le Forez, etc.

 

Dans nombre de pays, on croit que les serpents sont gardiens de trésors : en Auvergne, ils portent au cou, en marque de leur mission, un anneau d'or.
En Basse-Normandie, on voit parfois, dans les belles nuits d'été, de petites salamandres qui sautillent sur la route;
si on les assomme, et que l'on reste jusqu'au matin à veiller à ce que personne ne s'approche de leurs cadavres, on doit voir à ses pieds le lendemain matin autant de pièces d'or que l'on aura tué de mourons.

Dans un conte du Languedoc, le renard, qui s'est associé avec le crapaud pour cultiver un champ carré, gage avec lui que celui qui aura fait le premier le tour en aura toutes les récoltes.
Le crapaud va trouver trois de ses compères qu'il place aux trois angles du champ, lui-même restant au premier.
A chaque angle, il crie : « Où es-tu, crapaud ? »
Et une voix lui répond : « Ici devant »,
et quand il croit être arrivé le premier, il trouve que le crapaud, qui n'a guère bougé de place, l'a devancé.


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