(page 8/8)
Le folklore des poissons d'eau douce est assez restreint; en ce qui concerne
leur création, on n'a relevé qu'un seul trait légendaire
qui se rattache à l'idée dualiste assez courante :
en Bretagne, l'anguille a été créée par Dieu
et la couleuvre par le Diable.
D'une manière générale, les poissons doivent leur origine
à Dieu, et les reptiles qui vivent dans l'eau au Diable.
La génération de quelques espèces est l'objet de croyances
assez singulières :
aux environs de Saint-Sever (Landes), on prétend que le brochet
naît de la terre.
On y dit aussi que jamais anguille n'a produit une autre anguille, et qu'elle
prend naissance dans la tête de l'alose.
En Poitou, elle naît, soit du goujon, soit du grand ver plat que l'on
trouve dans ce poisson :
il ne tarde pas à s'échapper, à grossir, et à
se transformer en anguille.
Sans doute en raison de sa forme et des ses mouvements, l'anguille passe pour
être en relation avec les reptiles;
lorsqu'elle s'envase par suite du dessèchement des canaux, les
habitants du marais de la Loire-inf. croient qu'elle mène la vie des
serpents et s'accouple avec eux;
en Ille-et-Vilaine, elle est la cousine germaine de la couleuvre, elle
court après et fraie avec elle.
Les pêcheurs parlent des sympathies ou des antipathies qui existent
entre les diverses espèces.
En Haute-Bretagne, les carpes font mauvais ménage avec les tanches,
et l'on assure qu'elles les mangent.
Elles sont au contraire les amies du brochet, comme dans la fable de La Fontaine,
qui rapportait peut-être une croyance champenoise :
Ma commère la carpe y faisoit mille tours
Avec le brochet son compère.
Le brochet, qu'on appelait loup de rivière, est bien connu pour
sa voracité, et le proverbe de la Côte-d'Or :
« Gorman quèman un brochet qui mige ses petiots »
semble l'accuser de dévorer sa progéniture.
Les pêcheurs poitevins, qui ont remarqué combien l'anguille est
difficile à assommer, disent que chez elle le siège de
la vie n'est pas dans la tête, car pour la tuer il faut lui frapper
la queue sur un corps dur.
C'est la croyance rapportée par Pline :
« La murene a la vie non en la teste, mais en la queuë. »
On prétend en I.-et-V. que si la carpe, étant dans l'eau, frappait
avec sa queue la main d'un homme, elle pourrait le paralyser.
Dans ce pays l'anguille est regardée comme venimeuse;
on dit au contraire dans les C.-d'A. qu'elle est la mère des fontaines.
La lamproie a, dit-on en Poitou, autant de trous (branchies) qu'elle a d'années.
En Wallonie, comme en plusieurs pays de France, on s'imagine retrouver, en démontant pièce à pièce la tête d'un brochet, tous les instruments de la Passion.
Au 16ème siècle, on croyait que plusieurs poissons digéraient
les métaux précieux.
Pierre Belon rapporte que :
Grande partie des habitants du Lyonnois pensent que les poissons nommés
humbles et emblons ne mangent d'autre viande que de l'or.
Certaines parties du poisson, ou le poisson lui-même, peuvent être
funestes à ceux qui les mangent.
Au 16ème siècle, on disait :
« On ne doit point donner aux femmes grosses à mengier
de nulles testes de poissons, affin que par leur ymaginacion leur fruit
n'apporte sur terre la bouche plus relevée et plus aigüe qu'il n'est
de coutume.
On ne doit point laissier mengier aux jones filles à marier de teste
d'anguille, affin qu'elles ne cheent du mal sainct Loup par-derrière.
»
Dans l'Albret, l'enfant qui, avant sa majorité, mange une tête
de poisson, devient épileptique.
En Morvan, le nourrisson auquel on donne du poisson sera muet, sans
doute par analogie avec le proverbe :
« Muet comme un poisson. »
La sorcellerie ne paraît pas avoir fait grand usage du corps des
poissons :
toutefois en Berry, une peau d'anguille contenant neuf gros clous
est une offrande bien connue que l'on fait aux mauvais esprits pour se les rendre
favorable;
sa graisse mélangée au suif du bouc était employée
jadis par les sorciers poitevins.
En Vendée, un amoureux ayant mis, pour se venger d'une jeune fille qui
l'avait rebuté, quelques gouttes de sang d'anguille dans le verre
où elle allait boire, elle fut ensorcelée, et, comme le
poisson est, dit-on, agité sur le matin, dès trois ou quatre heures
elle ne pouvait rester dans son lit;
elle ne recouvra le repos que quand la bête fut morte.
Les poissons jouent un certain rôle dans la médecine superstitieuse
:
en Wallonie, pour faire croître les cheveux d'un enfant, on les
lui lie avec de la peau d'anguille.
Elle est excellente contre les crampes et contre les rhumatismes;
pour se guérir de la névralgie, on en lie une autour du
genou droit, et on place un cercle de fer autour de la tête du
patient;
dans le Loir-et-Cher, on l'emploie comme jarretière contre les varices
et la jaunisse.
Les bateliers de la Meuse appliquaient sur la poitrine de celui qui avait la jaunisse une carpe ou une tanche vivante et l'y laissaient jusqu'à ce qu'elle tombe en putréfaction.
La croyance à l'efficacité du sang d'anguille pour corriger les
ivrognes est plus ancienne que le 16ème siècle où
la recette est ainsi formulée :
« Prenez trois ou quatre anguilles toutes vives, mettez-les à
tremper en vin jusqu'à ce qu'elles meurent, puis faites boire de ce vin
aux yvrongnes. »
Suivant un préjugé du 16ème siècle, la pierre
du cerveau d'une carpe, mise contre le pli du petit doigt répondant à
la partie qui saigne, arrête le flux de sang le plus impétueux.
Dans les Vosges, réduite en poudre et soufflée dans le nez
du malade, elle arrête le sang.
Le rôle des poissons d'eau douce figurent aussi dans la Légende
dorée.
Saint Corentin avait, dans la fontaine voisine de son ermitage, un petit poisson
qui se laissait prendre familièrement par lui :
un jour il lui coupa une petite pièce de chair sur le dos, et
la donna au maître d'hôtel du roi Grallon, et quand il fut apprêté,
il se multiplia de telle sorte que le prince et toute sa suite en furent
suffisamment rassasiés.
Le roi voulut voir ce poisson, et étant allé à la fontaine,
il le vit sans nulle blessure.
Saint Lubin, qui demeurait dans un ermitage de la forêt de Louviers (Eure),
se rendit un jour au marché pour acheter du poisson;
à son retour, étant fatigué, il s'endormit au pied d'une
épine et son sommeil dura sept ans;
lorsqu'il se réveilla, il trouva les poissons contenus dans son panier
aussi frais qu'ils l'étaient avant son sommeil.
Les pêcheurs expliquent par des légendes postérieures à
la création les particularités que présentent certaines
espèces :
ceux du pays de Tréguier racontent qu'un jour une étrangère
qui passait sur la grève, en marchant très vite, demanda à
une petite plie, qui se chauffait au soleil dans un ruisseau, si la marée
montait.
Au lieu de répondre, celle-ci se mit à répéter ses
paroles en faisant des grimaces.
A ce moment le flux commença, et l'étrangère qui était
la Sainte Vierge, dit au poisson moqueur :
« Petite plie à la bouche de travers, une autre fois vous serez
plus sage. »
Et depuis les limandes de cette espèce ont cette difformité.
(Cette légende est en relation avec une croyance du littoral
d'après laquelle celui qui fait des grimaces au moment où la marée
monte est exposé à rester jusqu'au reflux dans la position désagréable
où il se trouve alors.)
Le Poisson Saint-Pierre (Zeus faber) photo
a, des deux côtés du corps, deux marques noires, fort distinctes,
qui ont donné lieu à des explications légendaires.
En Provence, quelques-uns prétendent que ce nom lui a été
donné parce que saint Pierre avait pêché un de ces poissons
sur l'ordre de Notre-Seigneur, pour en retirer la pièce de monnaie
qui devait servir à payer le tribut à César;
à Marseille on dit que saint Pierre, l'ayant pris avec la main, lui laissa
l'empreinte de ses deux doigts.
Sur le littoral de la Haute-Bretagne, ce poisson porte non pas deux, mais cinq
empreintes;
elles ne sont pas dues au prince des apôtres, mais au bon Dieu
lui-même.
Un jour qu'il avait envie de manger du poisson, il appela la poule de
mer, qui accourut aussitôt :
mais quand il l'eut en main, elle lui sembla si belle qu'il ne voulut pas la
tuer. Il lui marqua ses cinq doigts sur le dos et la remit à l'eau en
lui disant :
« Va, tu es trop belle pour être mangée, crois et
multiplie; mes cinq doigts serviront à te faire reconnaître. »
La génération des poissons de mer est, comme celle des poissons
d'eau douce, l'objet de croyances erronées.
Le maquereau bâtard, naît, dit-on en Haute-Bretagne, de l'accouplement
d'un maquereau et d'une brême, le mulet de celui d'un bar et d'une fritelle,
espèce de grosse sardine.
On prétend, sur la côte de Menton, que la couleuvre descend à
la mer pour s'accoupler avec la murène, qu'elle appelle
en sifflant.
En Poitou, la sole a pour origine le petit crustacé qui
vit en parasite sur la carapace de la crevette.
En Haute-Bretagne, les ufs de squale, appelés diables
à cause des espèces de cornes qui les terminent, passent pour
être la gamme, c'est-à-dire l'écume de la bouche
du diable en colère.
Suivant une opinion courante au Moyen Age, le hareng ne se nourrissait
que d'eau.
On dit en Haute-Bretagne que la figure de la raie ressemble à
celle du bon Dieu, et que dans sa tête se trouve une sainte Vierge
avec des anges;
à Paris, on voit la Vierge et l'Enfant Jésus dans la tête
du merlan.
Les morues salées se présentent sous l'aspect d'un triangle
très large et peu épais, et nombre de personnes pensent qu'elles
sont plates comme des limandes;
les paysans du Loiret croient qu'elles ont une tête d'homme : c'est
pour cela qu'on ne vend jamais cette tête.
Les arêtes et la colonne vertébrale de l'orfie sont d'un
vert très prononcé.
Beaucoup de gens ne veulent pas manger de ce poisson, sous prétexte qu'il
s'est imprégné de vert-de-gris au contact des navires,
en piquant son bec dans leur doublage en cuivre.
Les pêcheurs de la Manche prétendent que la dorade change sept fois de couleur avant de mourir.
Les pêcheurs connaissent, outre le roi fantastique des poissons,
certaines espèces auxquelles ils attribuent une sorte de royauté.
Suivant ceux de la Manche, celles qui en sont investies ne l'ont pas
toujours eue.
Au temps jadis, le dieu des eaux, voulant visiter son domaine, prit pour le
conduire la vive photo
qui était alors le roi des poissons;
mais celui-ci jaloux de son maître, forma le projet de le perdre
et le mena dans un endroit où il y avait beaucoup de requins;
comme ils s'approchaient du dieu pour le dévorer, celui-ci les foudroya;
puis il maudit le traître guigri, et lui dit que son arête
serait désormais remplie d'un venin dangereux, qui le rendrait
odieux aux autres poissons et aux hommes.
Actuellement le rouget passe sur les côtes de la Manche pour être
le roi des poissons et se faire obéir d'eux.
Les pêcheurs disent qu'il existe entre les différentes espèces
des amitiés ou des inimitiés pour ainsi dire héréditaires.
La vive et le rouget se haïssent depuis que celui-ci l'a remplacée
comme roi des poissons.
D'après Valmont de Bomare, la langouste est l'ennemie du congre;
en Haute-Bretagne, celui-ci est l'ami du homard, qu'il mange cependant
quand il est mou.
Les pêcheurs d'Antibes croient que les espadons ont des sentiments
d'amitié pour les thons, et qu'ils cherchent à les délivrer
des filets où ils sont pris.
Les poissons servent à la prédiction du temps :
en Haute-Bretagne, quand le Roué de mer bat de la queue sur l'eau, dans
le Finistère quand les gros poissons se promènent à la
surface, c'est un présage de vent.
Les phénomènes électriques sont en relation avec
quelques espèces.
Du Bartas appelle l'alose le Craint-foudre Coulac, et son commentateur ajoute
« qu'il cherche l'eau douce au printemps et en esté, mais que
s'il oit le tonnerre il se retire vers la mer. »
D'autres ont écrit que les aloses redoutaient ce bruit et s'enfonçaient
dans les profondeurs de la vase dès qu'elles l'entendaient;
mais des sons modérés leur étaient très agréables
en certaines circonstances, et que des pêcheurs mettent à profit
cette disposition, les attiraient quelquefois en attachant à leurs filets
des arcs de bois garnis de clochettes.
Les pêcheurs ne semblent pas convaincus de la réalité du
proverbe :
« Muet comme un poisson. »
Ils racontent même que certains avaient autrefois le don de la
parole;
le congre l'a perdue depuis que le homard, qu'il voulait manger, lui a coupé
la langue avec ses pinces.
Les gens du littoral interprètent à leur manière, assez
rarement il est vrai, les sons que quelques poissons font entendre en
mer, ou lorsqu'il sont pris.
C'est ainsi que le grondin répète en grognant :
« Ma femme est grosse ! », (le nom de grondin
vient de son grognement.)
que le maquereau bâtard se plaint et qu'il engage, par des rimes
pleines de promesses, le pêcheur à le laisser s'en aller.
Aux environs de Saint-Brieuc, des marins croient que les poissons parlent
le jour de Pâques;
il y en a même qui affirment les avoir entendus, et qui assurent,
qu'au lever du soleil et lorsqu'il disparaît sous les flots, ils lui adressent
une prière.
On dit aussi, dans la même région, que la mer fait constamment
entendre une plainte;
elle pleure les enfants que les pêcheurs lui ont pris; suivant quelques-uns,
ce bruit est produit par les poissons qui, à travers les vagues, sanglotent
à cause de la mort de leur frères.
Les pêcheurs croient aussi que les poissons peuvent les comprendre,
et c'est pour cela qu'ils leur adressent des formulettes comme celle-ci
:
Maquereaux, approchez de mon bateau,
J'ai pour vous dans mon seau,
Du chevrun et du manceau (appâts),
Que je vais vous jeter dans l'eau.
D'autres les menacent, s'ils ne se laissent pas prendre, des plus durs
traitements :
Ripon,
Mords sur l'hameçon,
Ou tu auras du bâton.
Parfois aussi ils les conjurent :
Raie, quitte nos hameçons,
Va t'en chez les aut' qui t'en remercieront,
Les pêcheurs t'y prendront,
Au lieu de t'couper l'nez comm' nous l'faisons,
Ils te mettront dans leurs bateau
Et ne te rejetterons point à l'eau;
Cette formulette fait allusion à la coutume des Terre-Neuviens
qui coupent le nez des raies et les rejettent ensuite à la mer.
Les pêcheurs mutilent d'autres poissons.
Sur la côte du Boulonnais, les trigles et les grondins sont torturés
par les mousses, qui leur piquent des bouchons sur la première
dorsale :
jetés à l'eau, ils s'efforcent de descendre au fond sans pouvoir
y réussir.
Les pêcheurs de la Gironde coupent le bout du nez aux esturgeons
trop petits, pour les reconnaître s'ils se laissent prendre une seconde
fois.
Les poissons de mer semblent avoir été rarement employés
comme talismans;
ils ne servent guère qu'à des consultations.
Cependant, les pêcheurs de la Haute-Bretagne conservent assez souvent
dans leur poche des os de vérité;
ce sont deux arêtes que la morue a près des ouïes et qui ressemblent
à des lames courbées.
Ils les appellent esprits de morue et parfois il les interrogent
:
pour cela, ils jettent en l'air l'os de vérité, sans le regarder,
et il ne faut pas qu'avant de retomber, il touche la moindre chose.
Celui qui le consulte dit en même temps l'objet de sa demande;
si l'os tombe, les deux extrémités recourbées vers la terre,
il répond non;
pour que la réponse soit favorable, elles doivent être en l'air
et le milieu doit toucher la terre.
En Normandie, on jette la laite de hareng au plafond;
si elle s'y attache, on aura un habit neuf à Pâques; c'est aussi
un moyen de savoir si on réussira dans ses affaires.
A Paris, on consultait aussi le hareng :
vers 1858, les chiffonniers qui déjeunaient sur le pouce dans un cabaret
de la rue Clopin n'oubliaient pas, quand leur poisson de mer favori était
tout frais, de jeter en l'air certaine petite membrane, luisante comme
l'argent, qu'ils appelaient l'âme du hareng.
Si le boyau restait collé au plafond, cela portait bonheur à
l'homme ou à la femme qui l'avait lancé.
En Wallonie, des jeunes filles, pour voir en rêve leur futur mari, mangent entièrement un hareng cru et non nettoyé.
Les poissons dangereux pour ceux qui les capturent sont assez rares
sur nos côtes, et leur folklore ne semble guère avoir préoccupé
les pêcheurs.
La torpille dont les propriétés électriques
redoutables causent chaque année des accidents paraît être
l'objet de peu de croyance et l'on a oublié le procédé
curatif de sa blessure, usité au 16ème siècle, et qui était
fondé sur l'idée, si souvent constatée, de la transmission
du mal à un objet inanimé :
« Si quelqu'un a esté blessé de la Tareronde, l'on prend
sa queuë que l'on applique à un chesne, lequel seche et meurt et
le patient guérit. »
A la même époque, la torpille était appelée à
Marseille « domillouse » parce qu'elle endormait les membres de
celui qui la touchait.
Le seul poisson que les pêcheurs semblent vraiment redouter est
d'ordinaire assez petit;
c'est la vive (Trachinus vipera, Cuvier), qui se nommait vivre
en ancien français, parce que son venin passait pour être aussi
dangereux que celui de la vipère, et que l'on appelle aussi araignée
dans le Midi pour la même raison.
Les pêcheurs de la Manche disent que sa blessure fait souffrir d'une marée
à l'autre, croyance signalée par Lacépède comme
courante parmi ceux de l'Océan, et que si le poisson est très
gros on risque de s'en ressentir toute sa vie.
Ordinairement on peut se soulager en le tuant et en écrasant son fiel
ou ses tripes sur l'endroit dolent;
au 16ème siècle, on piquait à plusieurs reprises
la blessure avec le dard qui l'avait faite.
Le rôle des poissons d'eau de mer dans la médecine populaire
est moins considérable que celui des poissons d'eau douce.
En Picardie, pour guérir une inflammation intestinale appelée
carreau, on laisse pourrir un poisson de mer sur le ventre de l'enfant.
Au 17ème siècle, pour la fièvre quarte, on appliquait
sur l'épine du dos un hareng blanc fendu par le milieu, la tête
en bas, la queue en haut.
Dans la Somme, on guérit les entorses et les foulures du poignet
en entourant celui-ci ou la cheville d'un hareng coupé en deux, que l'on
doit laisser, sans y toucher, jusqu'à guérison.
Le rôle des poissons d'eau douce et d'eau de mer dans les
contes est sensiblement analogue.
La légende, familière de l'Antiquité, d'hommes changés
en poissons, se retrouve en Haute-Bretagne.
On dit dans ce pays que le roué de mer (Cyclopterus lampus)
fut jadis un pêcheur :
un soir qu'il passait sur la grève à la nuit tombante, il entendit
une voix qui disait que la fête de la reine des fées aurait lieu
le lendemain, et que tout pêcheur qui lèverait ses filets ce jour-là
serait puni.
L'homme ne tint pas compte de l'avertissement, et lorsqu'il toucha ses
filets, une voix lui cria :
« Incrédule, tu es maudit des fées; sois changé en
poisson et deviens Roué de mer. »
Le poisson qui, pris par un pêcheur, le supplie de lui laisser
la liberté, et le récompense ensuite, figure dans
plusieurs contes.
Dans un récit de la fin du 17ème siècle, dont quelques
parties sont d'origine populaire, un turbot, qui est un prince métamorphosé,
promet à celui qui l'a capturé de lui accorder l'accomplissement
de tous ses vux, et de lui faire prendre autant de poissons qu'il pourra
en emporter.
Les poissons échoués sur le rivage, et remis à
l'eau par des personnes compatissantes, les remercient de ce service
et viennent à leur aide quand ils se trouvent dans des circonstances
difficiles;
dans un conte littéraire du 18ème siècle, une grosse carpe
dorée qui avait sauté hors de la rivière promet au
gentil Avenant qui la rapporte dans l'eau de le récompenser de son bon
cur.
Dans un conte landais, un joueur de fifre rencontre sur le rivage un gros brochet
à moitié mort qui le supplie de le reporter dans la rivière
et jure de venir à son secours s'il se trouve à son tour dans
l'embarras;
quelque temps après, il rapporte au jeune homme la clé
du trésor que le roi avait fait jeté dans l'Adour et que le joueur
de fifre devait retrouver sous peine de mort.
Dans un récit de l'Albret, dont une variante est populaire en Béarn,
le père d'une petite fille maltraitée par sa marâtre lui
donne à porter une anguille au curé;
arrivée près de l'eau, elle entend l'anguille la supplier de la
laisser boire; la fille y consent, mais l'anguille s'échappe et
se retrouve au milieu de la mer;
l'anguille voyant pleurer la fillette, lui dit qu'elle viendra à son
secours dès qu'elle lui adressera une formulette;
elle lui rend en effet maints services et finit par lui faire épouser
un prince.
Dans un conte wallon, le poisson, pris par trois fois et remis à
l'eau, dit au pêcheur de le laisser mourir tranquillement sur l'herbe,
puis de le couper en quatre morceaux et de les placer dans des endroits qu'il
indique;
il voit le lendemain dans l'écurie un cheval superbe, dans le
jardin deux chiens et dans la cheminée une épée.
Les poissons fantastiques ou merveilleux occupent une petite place dans
nos traditions maritimes.
Le poisson d'or des côtes du Morbihan passait pour être gros
comme un veau;
il avait une tête de grondin avec des cornes, le corps d'un homard et
la queue d'une hirondelle;
on le prenait, on lui décousait le ventre, puis il demandait à
être rejeter à l'eau.
On dit, en Basse-Bretagne, que Dieu a fait le homard et le Diable le crabe, Dieu a créé la langouste et le Diable l'araignée de mer.
En Haute-Bretagne, on croit que, quand on voit les puces de mer (talitres) sauter sur le sable, le dimanche, il fera beau pendant huit jours.
Suivant une croyance générale, les crustacés ne sont pas
aussi pleins de chair dans le décours ou dans le croissant qu'à
la pleine lune.
Certains pêcheurs du littoral de la Manche regardent les crabes comme
des espèces de génies de la mer;
ils assurent qu'ils ont de l'influence sur la pêche et qu'ils forcent
les poissons à venir mordre aux lignes;
ils peuvent aussi leur défendre d'y toucher.
Quand ils ne prennent rien, ils attribuent leur malchance à ces crustacés
et ils disent :
« Nous sommes maudits des crabes. »
Plusieurs en sont tellement persuadés que, lorsqu'ils les rencontrent
sur la grève, ils ne manquent pas de les écraser en disant
:
Des pêcheurs vous ne serez jamais aimés,
Mais toujours haïs vous serez
Puisque vous les maudissez.
Les crustacés d'eau douce, beaucoup plus petits et moins variés
que ceux d'eau de mer, ont un rôle peu important en folklore.
En Franche-Comté, une petite crevette (Gammarux pulex)
qui vit dans les fontaines est regardée comme très dangereuse
:
elle continue dit-on, à vivre dans l'estomac de celui qui a eu
le malheur de l'avaler, et elle y grossit tellement qu'elle finit par
causer la mort.
Les lavandières des Deux-Sèvres l'accusent de couper le
fil des écheveaux mis à tremper.
Au 17ème siècle, de écrevisses pilées vivantes
et mises ensuite dans de l'eau ou du vin blanc constituaient un breuvage pour
les phtisiques ou contre les coliques venteuses.
A Liège, on lie les pinces d'une écrevisse pour qu'elle
ne puisse s'en servir, et on l'applique vivante sur le sein cancéreux.
Les crustacés figurent rarement dans les contes.
On n'a pas retrouvé dans la tradition les épisodes de la Biche
au bois :
une reine qui se lamentait de n'avoir pas d'enfant voit sortir d'une fontaine
une grosse écrevisse.
c'est une fée qui y vit sous cette forme et lui indique le moyen
d'être mère. (Mme d'Aulnoy, in Cabinet des fées)
On raconte, en plusieurs pays, que des gens voyant pour la première
fois un crustacé le prennent pour le diable.
Dans les joyeuses histoires des Jaguens, un homard, ayant sauté
d'une charrette de poissonniers dans la rue du village, est aussi pris pour
le diable par des pêcheurs auxquels il était inconnu;
ils vont chercher leur recteur qui leur dit qu'il va les en débarrasser,
et qui l'emporte au presbytère où il le fait cuire et le mange.
En Basse-Bretagne, c'est le Diable qui a créé le minard ou pieuvre.
A Boulogne, les plaisants disent que les seiches sont de l'écume
de mer solidifiée;
en Haute-Bretagne, les méduses sont nées de la crasse de
la mer.
Les pêcheurs de la Manche exècrent les pieuvres;
ils les injurient et les appellent mangeuses de moules et enfants du diable.
Ils s'amusent à leur crever les yeux, où à les enfiler
dans un morceau de bois et à les rejeter à la mer.
Cependant, ils semblent croire qu'elles peuvent leur porter chance;
on disait, aux environs de Saint-Malo, qu'un pêcheur prenait beaucoup
de poissons, parce qu'il en avait toujours une dans son bateau.
D'autres gardaient un minard à leur bord pendant huit jours;
si au bout de ce temps il était en putréfaction, ils le
cuisaient sur le pont et répandaient ses débris dans tous
les coins du bateau.
Suivant une croyance très répandue sur le littoral nord de la
Hte-Bretagne, plusieurs mollusques sont dangereux pour ceux qui les manipulent
:
si, après avoir touché une seiche, on se frotte les yeux,
on risque de devenir aveugle.
La méduse passe pour être malfaisante dans les mêmes conditions,
et c'est peut-être à cause de cela qu'on l'a appelée gale
de mer.
Les mollusques semblent n'être guère employés en médecine;
cependant, à Guernesey, l'os de seiche est appelé Pépie,
parce qu'on lui attribue le pouvoir de guérir la maladie des poules
désignée sous ce nom.
Une espèce d'actinie (anémone de mer) est appelée en Haute-Bretagne « gamme de chien » parce qu'elle est, dit-on, produite par l'écume des chiens enragés.
A Menton, on croit que les ufs des oursins sont plus gros à la nouvelle lune.
Près de Saint-Brieuc, l'étoile de mer se nomme fleur
de saint Gilles;
lorsqu'un enfant est sujet à la peur, on lui passe au cou un cordon
auquel est attachée une étoile de mer, et on fait en même
temps une prière à saint Gilles, le patron auquel on s'adresse
pour les peurs enfantines.
Sur le littoral trécorrois, on attribue à Dieu la création
de l'ormeau et de l'huître, et au Diable celle de la bernique (patelle)
et de la moule;
c'est pour cela que les paysans ne mangent de celle-ci qu'avec une sorte
de crainte.
En Haute-Bretagne, on dit qu'il y a trois vers dans le corps humain;
quand un homme se noie, chacun d'eux s'incarne dans un ossement, ces
trois ossements se détachent du cadavre et, trois mois après,
ils se transforment en coquillages.
Les pêcheurs disent, lorsqu'ils entendent parler d'une personne morte
en mer :
« Un homme de moins et trois coquillages en plus. »
Quelques marins de la Manche prétendent que le bernis (patelle) est un il de noyé, et, qu'à la fin du monde, il lui poussera des ailes; alors il s'envolera et ira prendre sa place dans la tête dont il est sorti.
Les pêcheurs de la Basse-Normandie désignent l'anatife
sous le nom de frai de canehote (canard);
ils prétendent que, dans les fortes marées d'équinoxe,
lorsque l'Océan laisse à découvert de grandes étendues
de plage, on peut entendre les cris du frai qui sort à demi de
sa coquille.
Le rôle des coquillages dans les coutumes semble peu important.
En Provence, les amoureux déposaient sur un autel une oreille de madone
(ormier), dans un sachet, en faisant le serment d'être fidèles
à celle dont ils prononçaient le nom.
sur plusieurs points de la côte, les cauris constituent, comme
dans plusieurs pays de l'Orient et de l'Afrique, des espèces de monnaies.
En Basse-Bretagne, certains coquillages prédisent l'heur ou le
malheur :
voir en même temps, dans la maison d'un marin un prêtre, un limaçon
terrestre et un bigorneau est un présage de disgrâce prochaine;
les débris de navires garnis d'anatifes présagent un hiver
très rude suivi d'une belle récolte.
On prétendait au 17ème siècle que, lorsque les conques s'attachaient fortement aux rochers, c'était l'indice de quelques tempête pluvieuse.
Autrefois, les bateliers de Trebeurden avaient soin de renfermer des coquilles Saint-Jacques dans un coffre à l'avant du bateau, et s'il s'élevait une tempête, chacun s'armait d'une coquille, et essayait de conjurer les vagues.
En Provence, une coquille appelée à cause de sa forme Oreille de Madone porte bonheur à celui qui l'approche de son oreille.
En Normandie, l'eau dans laquelle on a fait cuire des moules semble
avoir été considérée comme un aphrodisiaque
:
on la versait dans l'oreille des vaches pour les faire entrer en amour
à n'importe quelle saison de l'année.
L'ancienne médecine faisait un emploi fréquent de la chair
des coquillages.
Au 16ème siècle, on pensait que les crabes, les moules et les
huîtres étaient efficaces contre la rage;
on dit encore sur les côtes de Bretagne que, si un chien enragé
peut avaler une huître fraîche, il est guéri.
Dans l'Antiquité, on accordait aussi aux coquillages beaucoup
plus de vertus thérapeutiques que de nos jours.
Plusieurs observances modernes montrent cependant qu'on ne les a pas toutes
oubliées :
en Haute-Bretagne, on met au cou des enfants un collier de patelles pour
les préserver des vers.
A Menton, l'opercule du gastéropode Turbo pugosus, nommé
la pierre ou l'il du poulpe, est employé contre le pourpre, maladie
dans laquelle l'il est injecté de sang.
Jadis les femmes de Penvenan, près de Tréguier, s'appliquaient
sur le sein de grandes coquilles de patelles non percées pour
faire passer leur lait.
Autrefois un pêcheur de la Manche prit une coquille Saint-Jacques si
grosse qu'il avait peine à la porter;
c'était le roi des Poissons qui lui promit, s'il consentait à
le remettre à l'eau, de lui faire faire des pêches abondantes;
les poissons, furieux contre lui, ne le voulurent plus comme chef et
c'est depuis que le rouget est devenu leur roi.
Autres thèmes : |
Accueil |