La Terre et le monde souterrain

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e - Le diable et les sorciers

Plusieurs cavernes avaient été ou sont encore la résidence des esprits infernaux, et surtout des sorciers et des sorcières.
Quelques-unes portent des noms qui montrent qu'on leur attribue une relation avec les démons;

il y en a dans les Hautes-Alpes qui s'appellent lis Oulo dou Diable;
une caverne à stalactites à Mazergues, non loin de Marseille, est la Capello dou Diable.

Les gens du voisinage d'une caverne de la montagne de Barma Rossa disent que le diable l'habite.
Quelquefois on voit, dans les environs, de petits diablotins, gnomes ou lutins qui vont, viennent, gambadent et se poursuivent les uns les autres en grimaçant puis, tout d'un coup, disparaissent sous forme de flammes.

Les habitants de la région du Pont-du-Diable (Hte-Pyrénées) ne passent jamais qu'en se signant devant une grotte qu'ils supposent avoir été jadis la demeure des démons, et qui n'est que la galerie d'une minière abandonnée.

En Périgord, l'une de ces excavations était regardée comme un des soupiraux de l'Enfer, et l'on y entendait des gémissements.

Dans les gorges du Furon, près de Grenoble, sont des cavernes où l'on peut parfois pénétrer avec de la lumière;
mais quand les eaux du torrent sont un peu hautes, il est impossible d'y arriver, parce que Satan y fabrique des liqueurs exquises, et qu'il ne veut pas être dérangé.
Quelques-uns disent qu'un chartreux ayant pu s'y glisser surprit le secret du diable, et le communiqua à ses frères :
c'est l'origine de la Chartreuse.

A Bruz, une excavation naturelle était dite Chambre ou Trou du Sorcier, et l'on craignait d'y voir apparaître un fantôme blanc dont on entendait le bruit dans l'air.

A Belval-les-Dames (Ardennes), une caverne était fréquentée au milieu du 16e siècle par des sorcières appelées les demoiselles de Lévy, et pour se les rendre favorables on déposait des offrandes à l'entrée.
Cent ans plus tard, des paysans moins crédules résolurent d'éclaircir le mystère, et s'étant cachés, ils virent sortir des personnages vêtus de blanc, qui allèrent s'asseoir en rond sous un arbre et se mirent à causer.
On reconnut à leur voix de mauvais drôles du pays, voleurs et maraudeurs;
on alla leur arracher les linceuls dont ils se servaient pour se déguiser en fées, et peu après ils furent pendus aux environs de leur repaire.

Les habitants du village de Vingrou (Pyr.-Or.) ont anciennement bouché avec une énorme pierre une grotte appelée Caune de las Encantadas, antre des sorcières, pour se préserver des maléfices.

 

f - Les dragons

De même que plusieurs houles du bord de la mer, des cavernes passent pour avoir été le repaire de dragons;
elles ne portent point de noms en rapport avec cette croyance, mais des légendes, parfois assez détaillées, la constatent et racontent comment des saints ou des héros firent disparaître les monstres qui les habitaient.

Sur les bords de la Seine, on montre une grotte où se retirait le serpent dont saint Samson délivra le pays, et dans la forêt de Wasmes celle où se tenait le dragon qui tua le chevalier Gilles de Chin;
un dragon, détruit par saint Julien, faisait sa résidence dans une caverne à Villiers près de Vendôme, et celui qui se laissa docilement conduire par la ceinture que sainte Marguerite lui passa autour du cou se cachait dans une grotte de Savigny, voisine de l'ermitage de la sainte.

Saint Bié ou saint Bienheuré, qui habitait une grotte près de Vendôme, peu distante de celles où se retirait un de ces monstres, le tua en le frappant à la tête d'un coup de bâton :
la bête était tellement grande que, lorsqu'elle allait boire à la rivière, à une douzaine de mètres de là, sa queue était encore dans son antre quand sa tête touchait l'eau.

Une légende normande, recueillie vers le commencement du 19e siècle, raconte le dévouement d'un chevalier qui débarrassa le pays du serpent de Villedieu-les-Bailleul.

Au milieu des blocs de quartz qui dominent le village, on montre l'ouverture d'une caverne à laquelle se rattache une très ancienne tradition, si populaire qu'il n'est pas un enfant qui ne la redise comme il l'a apprise de son père.
Là se retirait un monstrueux serpent qui fut longtemps la terreur des contrées voisines.
On lui présentait les prémisses des moissons et le lait le plus pur des troupeaux pour calmer ses fureurs, et cependant il exigeait encore, à certaines époques, d'autres offrandes.
On devait alors lui livrer une jeune fille qu'il traînait dans son antre où il la dévorait.
Le vallon était alors rempli d'eau et le dragon se promenait dessus en laissant derrière lui un long sillage de feu.
Un chevalier de la race des Bailleul, qui régnèrent sur l'Ecosse, résolut d'affranchir le pays d'un tel monstre.
Il se couvrit d'une armure de fer blanc qui le protégeait entièrement ainsi que son cheval, et il s'avança vers la caverne.
Il nageait fièrement sur l'eau quand le monstre le découvrit et s'élança sur lui avec fureur.
Le chevalier soutint le choc et porta à son ennemi des coups tellement sûrs que sa perte devint certaine;
mais le monstre vomit tant de flammes que le chevalier en fut suffoqué.
Son cheval étant venus à se tourner, les crins de sa queue, que l'on avait point entourée de fer blanc comme le reste du corps, s'enflammèrent en un moment et l'animal et celui qu'il portait furent consumés intérieurement.
Le monstre expira sur leurs restes et les habitants ajoutèrent le nom de leur libérateur à celui de leur commune.

D'après une légende de la vallée d'Aoste, une cavité remarquable par ses sinuosités, que l'on voit dans une roche près du pont de Morettaz, était le repaire d'un grand dragon qui désolait le pays.
Un nommé Perloz, ayant appris qu'une bonne récompense était promise à celui qui délivrerait la contrée de ce monstre, s'approcha de lui pendant qu'il guettait une proie et lui tendit un pain fixé au bout d'une longue épée.
Quand le dragon ouvrit la gueule pour s'en saisir, l'homme lui enfonça son épée dans la gorge, et le monstre s'affaissa mortellement blessé;
mais un flot de sang ayant inondé le bras du héros, il mourut peu d'instants après, dans d'atroces souffrances, brûlé par le venin qui avait jailli de la blessure de la bête.

 

g - Les trésors

Ainsi que la plupart des lieux qui sont de nature à frapper l'imagination par leur étrangeté, leurs dimensions ou le mystère qui les entoure, les grottes passent pour renfermer des trésors.

Les fées qui les déposèrent dans celles où elles habitaient jadis veillent encore parfois sur eux.

En Franche-Comté, la fée Mélandre ou Milandre gardait les richesses cachées au fond des cavernes.
On lui assignait plus particulièrement comme résidence les profondes ténèbres d'une grotte dans le voisinage du château de Milandre, entre Delle et Montbéliard.
On se sent, paraît-il, attiré comme par un aimant au fond de cet antre où l'on dit qu'elle réside.
La tradition la représente comme assise sur son coffre-fort, dont elle tient entre ses dents transparentes les deux clés toutes rouges de feu.
Si l'on pouvait trouver dans quelques grimoire le moyen de saisir ces précieuses clés sans se brûler les doigts on serait bientôt riche.

 

Les trésors des Lamignac sont enfermés dans des cavernes où l'on n'arrive que par une galerie souterraine, interrompue de temps en temps par des failles, au fond desquelles sont entassées les pièces d'or.
Des gens du pays ayant pénétré avec un livre dans celle qui est près du village d'Arbouet, un chat se montra devant eux, leur fit des caresses et disparut.
Un serpent vint ensuite, les enveloppa de ses replis, effleura leurs visages de son dard et disparut;
Les hommes se tenaient sans crainte.
Le charme de la lecture opérant, ils voyaient déjà surgir du sol les bords de la caisse, lorsque sur un cheval blanc se montra un homme décapité.
L'aspect en était si horrible que les hommes ne purent le soutenir et s'enfuirent au plus vite.

 

Les farfadets vendéens avaient entassé beaucoup d'or et d'argent dans les cavernes impénétrables où ils demeuraient.

La grotte du Trésor, dite aussi grotte du Diable, à Remonot (Doubs), renfermait, suivant une tradition qui remonte au 17e siècle, un trésor gardé par un dragon ailé, et des richesses incalculables étaient cachées dans la grotte de Vaux, près d'Amancey.

D'après la légende, les Vaudois massacrés à la grotte de la Balme (Isère) faisaient par maléfice les pierres se changer en lingots d'or;
en 1859, on y a creusé, à l'heure de minuit, pou y découvrir des trésors;
quelques années auparavant, un prêtre, accompagné de deux sacristains, avait réussi à détacher de la voûte enchantée une pierre qui grâce à des incantations magiques, devait se transformer en bloc d'argent;
mais dès le lendemain, la pierre remonta, dit-on, par une impulsion soudaine, et elle se replaça à la voûte de la grotte.

Dans les Hautes-Pyrénées, on connaissait plusieurs histoires de trésors, et l'on parlait d'un pâtre qui avait pénétré dans une grotte, où il aperçut d'abord une vaisselle d'argent magnifique;
il se hâta de la charger dans son sarrau, et il s'en allait quand un coq rouge sortit avec lui de la caverne et commença à l'inquiéter si fort en s'acharnant à sa poursuite que le pauvre homme, qui croyait l'apaiser, lui jeta successivement toutes les pièces de la riche vaisselle qu'il emportait, jusqu'à ce que son sarrau fût vide.

 

La Pietra chiavata (Corse), la pierre fermée à clé, est une grotte dans laquelle le diable a enfoui ses trésors;
elle est ainsi nommée parce que la poignée d'une clé figurée par une pierre noire est incrustée dans le granit.
Un berger qui la trouva ouverte y pénétra un jour;
à la lueur des diamants de la voûte, il vit sur une table de marbre des richesses et des vêtements sans nombre;
il y prit un bonnet pointu, et l'essayait quand une voix lui cria :
« O pastor ! »
Il sortit de la grotte, mais lorsqu'il voulut y retourner, l'entrée s'était refermée.
Ordinairement elle est gardée par un démon qui ne s'en éloigne que pendant la messe de minuit, heure où tous les esprits des ténèbres vont aux Enfers pour y mener le deuil de la naissance du Sauveur.
Mais il faut s'y rendre avant la chute du jour, pour n'être pas détourné du sentier par mille embûches nocturnes.
Un seul homme y était parvenu, et la porte allait s'ouvrir lorsque le lutin escalada le rocher où il s'était adossé et fit tomber sur sa tête une grêle de cailloux qui le contraignirent à reculer.

 

Le trésor des Fols de l'Allier est enseveli sous la grotte où demeurait la tribu;
la dalle qui le recouvre se soulève d'elle-même à la messe de minuit de Noël, au moment de l'élévation, et le jour des Rameaux, aux trois coups que frappe le prêtre à la porte de l'église;
mais il faut être vendu au diable pour pouvoir s'en emparer.

 

Dans le Maine, une grotte où les fées avaient enfoui leur trésor n'est accessible que pendant la messe de minuit, au moment où la cloche de l'église de Lavaré commence à sonner l'élévation.
Sur un amas d'or et d'argent, de pierres précieuses qui étincellent au point de changer la nuit en jour, se tient une fée vêtue de blanc, si éblouissante qu'on ne saurait en soutenir la vue.
L'homme assez osé pour franchir à ce moment le seuil de la grotte prend librement tout ce qu'il peut emporter de ces richesses.
Mais il doit se hâter, car, juste au dernier coup de l'élévation, la porte se referme et disparaît avec la fée et ses trésors.
On n'y pénètre qu'une fois.
Celui qui voudrait, l'année suivante ou plus tard, y revenir tomberait raide mort sous le regard de la fée qui veille l'observation de cette loi inéluctable.

 

h - Respect et cultes

On a déjà vu que diverse cavernes sont l'objet d'une sorte de crainte qui empêche les gens du voisinage de se hasarder auprès.
Les mères du Jura bernois disent encore à leurs enfants indociles :

« Tais-toi, ou je te conduirai à la roche de la tante Arie. »

On défend aux enfants de passer devant cette roche qui contient une caverne où réside la fée, parce que celle-ci, qui a des dents de fer, prend les marmots, les met à califourchon sur son dos, leur tendant ses grandes mamelles pendantes pour les nourrir de son lait s'ils ont été sages, ou bien les jette à la rivière s'ils sont méchants.
Les vieilles gens disent qu'autrefois on n'aurait pas osé s'aventurer devant cette grotte après le coucher du soleil.
Le jour, quand on s'en approchait, il était prudent d'y déposer un peu de lait ou un morceau de pain.
L'offrande d'une branche de gui avait la faculté de rendre la fée propice.

En Bourgogne, pour se préserver de la colère des fées ou pour s'assurer leur bienveillance, on leur faisait des présents;
il y a peu d'années encore, que, pour se rendre favorable la fée Greg, mangeuse d'enfants, on venait jeter du pain ou des gâteaux dans la Grotte à la Coquille près d'Etalente, où l'on disait qu'elle demeurait.

Les paysans avaient, jusqu'à nos jours, conservé par tradition une sorte de terreur superstitieuse à l'égard des fées du Magny-Lambert (Côte-d'Or);
la dernière, sous la forme d'une petite vieille décrépite, se faisait voir quelque temps avant la Révolution;
c'était un usage dans chaque famille de lui offrir des gâteaux à certain jour de l'année.

 

En plusieurs provinces, les bergers se seraient bien gardés d'entrer dans les grottes des Fades sans leur apporter une petite branche d'arbre, un morceau de pain ou un peu de lait, ou sans leur adresser quelques paroles de salut, ou une formule enseignée par les anciens.
Dans ce cas les Fades ne se fâchaient pas contre les visiteurs, et elles leur rendaient même parfois des services importants.
Mais il y avait des grottes, comme celle de la Jeannette près d'Allevard, où il était imprudent d'y pénétrer.
Les jeunes filles assez audacieuses pour y entrer mouraient infailliblement si elles n'étaient pas mariées dans l'année qui suivait leur visite.
On n'allait que muni de chapelets et d'eau bénite dans la Haderne de Noarriu, près d'Orthez, qui fut habitée par les fées, et où l'on dit que le diable revient quelquefois.

Le voisinage même de quelques cavernes était si redouté qu'on s'en tenait à distance, ou qu'on ne s'y hasardait qu'en prenant des précautions.
Lorsque les paysans étaient forcés de passer après minuit aux environs de la grotte des Fayettes non loin du Val de la Baume, où de petites fées demeuraient jadis, ou même demeurent encore, ils chantaient à tue-tête et brandissaient leurs bâtons.

 

D'autres actes semblent se rattacher au culte des pierres :
les femmes stériles se rendent à la grotte de Sainte-Lucie à Sampigny, et se placent pour avoir des enfants dans une niche faite exprès.
Des femmes, pour obtenir du lait, sucent après une prière les stalactites de la caverne de Las Mames à Bostens, dans les Landes, qui ressemblent à des mamelles, et c'est vraisemblablement cette analogie de forme qui a donné lieu à la superstition.

Des stalactites dans le Trou del Feuve, province de Namur, étaient visitées de temps immémorial, le jour de la Purification, par les jeunes gens du voisinage.
Cette coutume parut tomber en désuétude lorsque l'entrée de la grotte fut obstruée par un éboulement;
mais le propriétaire l'ayant fait dégager dans un but de curiosité, les visites ont recommencé.

 

Certaines grottes étaient aussi l'objet de cérémonies qui avaient pour but de conjurer les mauvais esprits.

On se rendait jadis en procession à celle d'Orival, dans la vallée de Fécamp;
au moment d'y pénétrer, la bannière se trouvait toujours retenue par une main invisible.

Avant la Révolution, le clergé de Saint-Suliac allait plonger, à trois reprises, le pied de la grande croix dans la caverne de la Guivre.

 

La Provence compte une vingtaine de grottes miraculeuses, et peut-être davantage.
Les unes sont simplement révérées d'une façon générale, anonyme peut-on dire, tandis que d'autres étaient l'objet, à certaines époques de l'année, de cérémonies religieuses.

Le jour de l'Assomption, les fidèles venaient entendre la messe dans celle de Châteauneuf, près de Moustiers.

Jusqu'à ces dernières années, on est allé processionnellement à la grotte de Notre-Dame-de-l'Esterel, où se trouve une curieuse particularité, qui avait dû exciter de bonne heure l'attention des habitants de la contrée.
Elle est disposée de telle sorte que les eaux de la pluie y font une citerne naturelle;
une ouverture s'y trouve placée si heureusement qu'à un certain moment de l'année, un rayon de soleil vient éclairer les parties qui restent dans l'ombre pendant tout le reste du temps.

Ce Pèlerinage, ainsi que plusieurs autres, est en relation avec l'eau qui se trouve à l'intérieur des cavernes.
La fontaine formée par les infiltrations dans la grotte de l'Esterel, et qui passe pour inépuisable, guérit les maladies, prévient celles qu'on pourrait avoir, fait trouver aux jeunes filles un mari suivant leurs désirs, et rend les femmes fécondes.
(Bérenger-Féraud, 1886)

 

L'eau de pluie qui se conserve dans une cavité de la grotte de sainte Diétrine à Saint-Germain-des-Champs a la propriété de faire disparaître les dartres;
le malade peut envoyer un mandataire qui récite neuf Pater et neuf Ave en l'honneur de la sainte.
S'il doit guérir, la pierre sue de grosses gouttes;
si elle demeure sèche, tout remède est inutile.


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