Origine : Marine à voiles
Année de l'arrangement : 2004


 

Sur le pont de Morlaix

(chanson à hisser)*


C'est en passant sur l'pont d'Morlaix

  Haul away !
Old fellow away !
en chœur

La belle Hélène j'ai rencontrée

  Haul away !
Old fellow away !
en chœur

 

2.
Bien humblement j'l'ai saluée
D'un beau sourire ell' m'a remercié

 

3.
Mais j'ai bien vu qu'c'est charité
Car elle est dam' de qualité

 

4.
C'est la fille d'un cap'taine nantais
A matelot ne s'ra jamais

 

5.
Pour nous sont les garces des quais
Qui vol', qui mentent, qui font tuer

 

6.
J'n'étale plus, j'vas tout larguer
J'vas faire mon trou dans la salée

 

7.
Mat'lots, mon coeur est embrumé
Buvons quand même à sa beauté

 

8.
Encore un coup pour étarquer
Hisse le grand foc, tout est payé !


Source : A. Hayet - Dictons tirades et chansons des anciens de la voile, éd. Denoël (1971) repris des éd. Eos de 1927

 

…Le maître crie « paré ! » et le second, que l'on devine cramponné au montant de l'échelle de dunette, commande de toute sa voix :« hisse ! »

Dans un « oh ! han ! » rauque qui se perd dans le tumulte de vent et de la mer, les matelots pèsent ou halent de tout leur poids, de toute leur force, sur le filin raidi.
Mais la toile épaisse du grand hunier est alourdie par l'eau dont elle est imprégnée, elle bat déjà furieusement, ébranlant la mâture;
les cordages coincent dans les poulies.

Par deux fois déjà la grappe humaine, accrochée désespérément à la drisse, a été culbutée, ensevelie un instant sous la nappe écumeuse et grondante des paquets de mer.

« Ensemble ! et hardi les gars ! hale dessus ! »

Les hommes sont dans l'eau jusqu'aux genoux, jusqu'au ventre;
le contact du chanvre goudronné sur leurs pauvres mains crevassés, saignantes, est une intolérable douleur…

Du plus jeune des novices au plus endurci des vieux gourganiers, tous sont harassés, meurtris :
leurs muscles et leur courage sont sur le point de « consentir ».

Et c'est lentement, par à-coups, que la pesante vergue s'élève le long du mât.
Il faut pourtant que la manœuvre s'exécute au plus vite, sinon c'est l'avarie, la voile défoncée, emportée par lambeaux…

Alors, dans un nouvel élan, un des hommes, pesant sur le palan près du maître, saisit le filin aussi haut que ses mains peuvent atteindre et pousse un long cri qui, dans ces ténèbres où l'on se heurte sans se reconnaître, si épaisses qu'elles ne laissent même pas la consolation « de voir sa misère », monte plaintif, perçant les clameurs de la tempête, vers les gabiers perdus là-haut dans le gréement.

C'est une sorte d'appel lugubre, modulé comme une lamentation déchirante qui semble traduire la plus affreuse détresse et qui brusquement s'achève sur une dernière exclamation étrangement joyeuse.

C'est le prélude de la chanson qui va rythmer l'effort puissant retrouvé;
de la chanson de bord dont le refrain sera repris en chœur par tous les matelots, à la cadence du roulis…

(Chansons de bord par Armand Hayet, capitaine au long-cours.)