Exécution d'Aimerigot Marcel


Aimerigot

Aimerigot Marcel de Tournemire, dit le roi des pillards, parut dans la Haute-Auvergne à la tête de l'une de ces bandes, et s'empara du Château de Carlat, qu'il vendit aux Anglais.
Cependant, une trêve ayant été conclue entre la France et l'Angleterre, Aimerigot jura, sous peine de la vie, de l'observer.

Vain serment : il ne tarda pas à recommencer ses ravages; les habitants effrayés recoururent au roi, qui leur envoya Robert de Béthune, vicomte de Meaux, avec une armée de 400 lances et 120 arbalétriers.
Aimerigot s'était retranché dans le Château de la Roche-Vandeix; Robert essaya de l'en débusquer.
Ne se sentant pas assez fort pour résister, Aimerigot laisse le commandement de la Forteresse à Cuiot d'Ussel,son oncle, et en sort secrètement pour aller demander du secours aux Anglais.
A son retour, Robert de Béthune était maître de la place.
Quant à lui, ne sachant où se réfugier,

"en ses plus grandes tribulations, il s'auisa, dit Froissart, qu'il auoit en Auuergne vn sien cousin germain, escuyer et gentilhomme, lequel on nommoit lean Tournemine (Froissart écrit Tournemine pour Tournemire), et qu'il iroit devers luy : et prendroit conseil de luy. Si comme il deuisa, il fit.

Il s'en vint, luy et son page seulement chez ce Tournemine, et entra au chastel. Il cuida trop bien estre arriué pour cause de lignage : mais non fut. Car celuy escuyer, nommé Tournemine, n'estoit pas bien en la grâce du duc de Berry; mais le hayoit moult fort,et bien le sauoit l'escuyer; dont en estoit plus douteux.

Si s'auisa, quand il veit venir en son hostel son cousin Aimerigot, qu'il le prendroit, et retiendroit : ne iamais de là partir ne le lairroit, et sa prise signifieroit au duc de Berry : en lui remontrant que, s'il luy vouloit remettre son mal talent, il lui enuoyrait Aimerigot Marcel, et puis en fist ce qu'il voudroit. Tout ainsi comme il le proposa il fit; car quand Aimerigot fut venu dedans le chastel de Tournemine à son cousin, et il eut mis son épe ius, et on luy eut baillé chambre pour soi appareiller, et il fut reuestu et mis à point, il demanda aux varlets :
- Où est mon cousin Tournemine? car encore ne l'auoit-il point veu.
- II est en sa chambre, répondirent les varlets, venez l'y voir.
- Volontiers, répondit Aimerigot. - Ceux le menèrent tout droit où Tournemine estoit. Quand il fut venu iusques à luy, Aimerigot le salua, qui nul mal n'y pensoit.
Tournemine respondit :
- Comment, Aimerigot, qui vous a mandé et vous a fait venir céans? Vous me voulez bien déshonorer. le vous pren et arreste pour prisonnier. Autrement ie ne m'acquiteroye pas bien enuers la couronne de France et monseigneur de Berry, car vous estes faux et traistre, qui auez les treues enfreintes et brisées. Si le vous faut comparoir, et pour la cause de vous monseigneur de Berry me hait et traite à mort, mais ie vous y rendray mort ou vif, ne iamais d'ici ne saudrez.
- De ces paroles fut Aimerigot tout esbahy, et respondit : Comment Tournemine, ie suis vostre cousin; est-ce tout à certes ce que vous me dites? le faites-vous pour moy essayer? le suis venu ici en grand'fiance, pour vous veoir et remonstrer mes besongnes : et vous me faites si creuse chère et me dites parolles si dures.
- Je ne sçay (dit Tournemine) que vous voulez dire ne proposer: mais ce que ie vous ai dit ie vous le tiendray. -Tournemine ne se voulut souffrir, que des deux iambes, il ne le fist mettre en vns fers tresfort, et dedans une tour forte et bien fermée, et bonnes gardes sur luy. "

Après quoi, il en écrivit au duc de Berry à Paris.

" A ceste nouvelle, ajoute le vieux chroniqueur, le duc commença à sousrir, et à dire à ses cheualiers qui estoient près de lui : Aimerigot Marcel est attrapé. Son cousin germain Tournemine (comme il m'escrit) le tient en prison.
- Monseigneur, respondirent les cheualiers, ce sont bonnes nouuelles pour le pays d'Auuergne et de Limosin, car en Aimerigot ils ont eu longtemps vn mauuais voisin.
Il a tant fait de mal, que si vous voulez il passera parmi le gibet, n'autre pardon ne rançon il ne deuroit avoir. - Depuis ne demeura gueres de temps, que le seneschal d'Auuergne, par une commission qu'il eut de monseigneur de Berry, s'en vint au chastel de Tournemine : et là luy fut déliuré Aimerigot Marcel qui fut tout esbahy, quand il se trouua en la compaignie de ses ennemis. Que vous feroie-ie long record ?
Le seneschal l'emmena en la compagnie de gens d'armes, tout parmi le pays, et passèrent Seine et Marne, au pont de Charenton : et de là ils vindrent au chastel Saint-Anthoine (la Bastille)... On ne l'y garda gueres longuement, quand il fut rendu et déliuré au preuost du Chastelet de Paris, et amené en Chastelet. Bien est vérité qu'il offroit pour sa rançon soixante mille francs, mais nul n'y vouloit entendre; on lui respondy que le roy estoit riche assez : et que de son argent il n'en auoit que faire. Depuis qu'Aimerigot Marcel fut rendu au preuost du Chastelet, il n'en fist pas longuement garde. Il fut iugé à mourir honteusement, comme un traistre à la couronne de France. Si fut mené vn iour en une charrette, en une place qu'on dit aux halles : et là tourné au pilori, plusieurs fois depuis on lisit tous ses forfaits, pour lesquels il receuoit la mort....
Il fut là exécuté.
On luy trancha la teste : et puis fut écartelé... "

Cet événement mit fin au pillage des Anglais dans la Haute-Auvergne.


source texte : http://www.souquieres.org/histoire/

source photo : http://www.bnf.fr/enluminures/