Origine : Bretagne
Année de l'arrangement : 2002


 

Kimiad ann Ene

(Le départ de l'âme)


Didostait da glevet kana ann disparti
A ra ann ene mad pa ea mez deuz ann ti. (bis)
etc.


traduction

Venez entendre chanter le départ de l'âme bienheureuse au moment où elle quitte sa demeure.
Elle abaisse un peu son regard, son regard vers la terre, pour parler à son pauvre corps, qui est au lit malade.

L'AME
Hélas ! mon corps, voici l'heure dernière venue ; il faut que je te quitte et que je quitte ce monde.
J'entends les coups du petit marteau de la Mort : ta tête tourne ; tes lèvres sont froides comme glace.
Ton visage est horrible ; tes yeux sont verdâtres ; hélas ! mon pauvre corps, il faut que je te quitte.

LE CORPS
Si mon visage est horrible, si mes yeux sont verdâtres, vous dites vrai, il faut que vous me quittiez.
Vous ne reconnaissez plus, vous méprisez votre pauvre ami ; hélas ! je suis si défiguré.
La ressemblance est mère de l'amour ; puisque vous n'en avez plus avec moi, laissez-moi à l'écart.

L'AME
Non, cher ami, je ne vous méprise pas ; de tous les commandements vous n'avez violé aucun ;
Mais Dieu veut (bénissons sa bonté), Dieu veut mettre un terme à mon autorité et à votre sujétion.
Nous voilà désunis par la mort sans pitié ; me voilà toute seule entre ciel et la terre,
Entre le ciel et la terre, comme la petite colombe bleue qui s'envola de l'arche pour aller voir si l'orage durait encore.

LE CORPS
Oui ; mais la petite colombe bleue revint à l'arche, et vous ne reviendrez pas vers moi.

L'AME
Je reviendrai, vraiment, je te le jure ; je me retrouverai avec toi au jour du jugement ;
Je me retrouverai avec toi, aussi vrai que je vais maintenant paraître au jugement particulier, ce qui me fait hélas ! trembler !
Aie confiance, ami ; après le vent du nord-ouest, la mer devient calme ; je viendrai te donner la main ;
Et quand même tu serais aussi lourd que du fer, lorsque j'aurai été dans le ciel, je t'attirerai vers moi comme un aimant.

LE CORPS
Quand je serai, chère âme, étendu dans la tombe et détruit en terre par la corruption ;
Quand je n'aurai ni doigt, ni main, ni pied, ni bras, ce sera vainement que vous essayerez de m'élever à vous.

L'AME
Celui qui a créé le monde, sans modèle ni matière, a le pouvoir de te rendre ta première forme ;
Celui qui t'a connu lorsque tu n'étais pas, pourra bien te trouver où tu ne seras pas.
Nous nous reverrons alors, aussi vrai que je me rends maintenant devant le terrible tribunal ; aussi vrai, hélas ! que j'en tremble !
Aussi vrai que j'en tremble, hélas ! aussi faible, aussi frêle que la feuille emportée par un coup de vent.
Mais Dieu entend l'âme ; Dieu lui répond bien vite :
— Courage, pauvre âme, tu ne seras pas longtemps en peine ;
Tu m'as servi pendant que tu étais au monde ; maintenant tu vas avoir part à mes félicités.
Et l'âme toujours s'élevant, de jeter encore un regard vers en bas, et de voir son pauvre corps couché sur les tréteaux funèbres.

L'AME
Bonjour, mon pauvre corps, bonjour, je retourne la tête, par grand' pitié pour toi.

LE CORPS
Cessez, chère âme, cessez de m'adresser des paroles dorées ; poussière et corruption sont indignes de pitié.

L'AME
Sauve ta grâce, ô mon corps, tu en es vraiment digne, digne comme le vase de terre qui a renfermé des parfums.

LE CORPS
Adieu donc, ô ma vie, adieu, puisqu'il le faut ; que Dieu vous mène aux lieux où vous souhaitez d'aller.
Vous serez toujours éveillée ; mais, hélas ! je dormirai ! ne m'oubliez pas, et hâtez l'heure du retour.
Mais comment êtes-vous, dites-moi ? Vous paraissez si gaie de me quitter, et moi je suis si triste !

L'AME
J'ai échangé des ronces contre des roses, et du fiel très amer contre du miel très doux.
Alors, gaie et vive comme une alouette, l'âme monte, monte, monte encore vers le ciel.
Une fois arrivée, elle frappe à la porte, et demande à entrer à monseigneur saint Pierre.

L'AME
O vous, seigneur saint Pierre, vous qui êtes si bon, vous me recevrez, n'est-ce pas, dans le paradis de Jésus ?

SAINT PIERRE
Oui, tu sera reçue dans le paradis de Jésus, car lorsque tu étais au monde, tu l'as reçu chez toi.
L'âme, au moment d'entrer, détourne encore la tête, et voit son pauvre corps, comme une taupinée.

L'AME
Au revoir, mon corps, et merci ! Au revoir, au revoir, dans la vallée de Josaphat.
J'entends des concerts, tels que je n'en entendis jamais ; les nuages fuient, le jour brille !
Me voilà fleurissant comme un rosier au bord du ruisseau de la Vie, dans le jardin du paradis.


Source : Th. Hersart de la Villemarqué - Barzaz Breiz, page 667 et 738

Les paysans bretons se figurent que l'âme monte au ciel sous la forme d'un oiseau.
Comme je suivais un jour de l'œil une alouette qui s'élevait en chantant dans les airs, un vieux laboureur trégorrois qui charruait à quelques pas de moi, s'arrêta ;
et, s'appuyant sur la fourche de son instrument aratoire, il me regardait en silence.

— Elle chante bien gaiement, n'est-ce-pas ? me dit-il enfin ; mais je parie que vous ne comprenez pas sa chanson ?
Je l'avouai.
(Hersart de la Villemarqué)

 

Voir une autre version de ce chant :

Kimiad ann ene (2) (Basse-Bretagne) n° 1989 page 100