Origine : Bretagne
Année de l'arrangement : 2002


 

Ar falc'hon

(Le faucon)


Taget ar iar gand ar falc'hon,
Gand ar gouerez lazhet ar c'hon ;
Lazhet ar c'hon, gwasket ann dud,
Ann dud paour evel loened mud.
etc.


traduction

Le faucon a étranglé la poule,
La paysanne a tué le comte ;
Le comte tué, on a opprimé le peuple,
Le pauvre peuple, comme une bête brute.

Le peuple a été opprimé,
Le pays a été foulé par des envahisseurs étrangers,
Par des envahisseurs des pays Gaulois,
Que la Douairière a appelés comme la vache appelle le taureau.

Le pays grevé, une révolte a éclaté ;
Les jeunes se sont levés, levés se sont les vieux ;
Par suite de la mort d'une poule et d'un faucon,
La Bretagne est en feu, et en sang, et en deuil.

Au sommet de la Montagne Noire, la veille de la fête du bon Jean,
Trente paysans étaient réunis autour du grand feu de joie.
Or, Kado le Batailleur était là avec eux,
S'appuyant sur sa fourche de fer.

— Que dites-vous, mangeurs de bouillie ?
Payerez-vous la taxe !
Quant à moi, je ne la payerai pas !
J'aimerais mieux être pendu !

— Je ne la payerai pas non plus !
Mes fils sont nus, mes troupeaux maigres ;
Je ne la payerai pas, je le jure par les charbons rouges de ce feu,
Par saint Kado et par saint Jean !

— Moi, ma fortune se perd,
Je vais être complètement ruiné ;
Avant que l'année soit finie,
Il faudra que j'aille mendier mon pain.

— Mendier votre pain, vous n'irez pas ;
A ma suite je ne dis pas ;
Si c'est querelle et bataille qu'ils cherchent,
Avant qu'il soit jour ils seront satisfaits !

— Avant le jour ils auront querelle et bataille !
Nous le jurons par la mer et la foudre !
Nous le jurons par la lune et les astres !
Nous le jurons par le ciel et la terre !

Et Kado de prendre un tison,
Et chacun d'en prendre un comme lui :
— En route, enfants, en route maintenant !
Et vite à Guerrande !

Sa femme marchait à ses côtés,
Au premier rang, portant un croc sur l'épaule droite,
Et elle chantait en marchant :
— Alerte ! alerte ! mes enfants !

Ce n'est pas pour aller demander leur pain
Que j'ai mis au monde mes trente fils ;
Ce n'est pas pour porter du bois de chauffage,
Oh ! ni des pierres de taille non plus !

Ce n'est pas pour porter des fardeaux comme des bêtes de somme
Que leur mère les a enfantés ;
Ce n'est pas pour piler la lande verte,
Pour piler la lande rude avec leurs pieds nus.

Ce n'est pas pour nourrir des chevaux,
Des chiens de chasse et des oiseaux carnassiers ;
C'est pour tuer les oppresseurs
Que j'ai enfanté, moi !

Et ils allaient d'un feu à l'autre,
En suivant la montagne :
— Alerte ! alerte ! boud !* boud ! iou !** iou !
Au feu, au feu, les valets du fisc !

Quand ils descendirent la montagne,
Ils étaient trois mille et cent ;
Quand ils arrivèrent à Langoad,
Ils étaient neuf mille réunis.

Quand ils arrivèrent à Guerrande,
Ils étaient trente mille trois cents,
Et alors Kado s'écria :
— Allons ! courage ! c'est ici !

Il n'avait pas fini de parler,
Que trois cents charretées de lande
Avaient été amenées et empilées autour du fort,
Et que la flamme, ardente et folle l'enveloppait ;

Une flamme si ardente, une flamme si folle,
Que les fourches de fer y fondaient,
Que les os y craquaient
Comme ceux des damnés de l'enfer.

Que les agents du fisc hurlaient de rage en la nuit,
Comme des loups tombés dans la fosse,
Et que le lendemain, quand le soleil parut,
Ils étaient tous en cendres.


Source : Th. Hersart de la Villemarqué - Barzaz Breiz, pages 225 et 710

* C'est le son de la corne des pâtres.
** Cri de joie répondant au hourra ! des Anglais.

Ainsi se vengeaient les campagnards bretons, forcés de se faire justice à eux-mêmes, à défaut des chefs nationaux de leur race pour la leur rendre.

Geoffroi Ier, duc de Bretagne, était parti pour Rome, laissant le gouvernement du pays à Ethwije, sa femme, sœur de Richard de Normandie.
Comme il revenait de son pèlerinage, le faucon qu'il portait au poing, suivant la coutume des seigneurs du temps, s'étant abattu sur la poule d'une pauvre paysanne et l'ayant étranglée, cette femme saisit une pierre et tua du même coup le faucon et le prince (1008).
La mort du comte fut le signal d'une effroyable insurrection populaire.

De la Villemarqué recueillit ce chant de la bouche d'un jeune bouvier qui menait son bœuf au boucher.
L'air, lui dit-il, est celui de la circonstance, et on ne peut l'entendre sans pleurer.