Origine : Bretagne
Année de l'arrangement : 2001


 

Livaden Gerez

(La submersion de la ville d'Is)


Ha glevaz-te, ha glevaz-te
Pez a lavaraz den Doue
D'ar roue Gradlon enn Is be ?
— Arabad eo en embarat !
Arabad eo arabadiat !
Goude levenez, kalonad !

etc.


Traduction

As-tu entendu, as-tu entendu ce qu'a dit l'homme de Dieu au roi Gradlon qui est à Is ?
— Ne vous livrez point à l'amour; ne vous livrez point aux folies.
Après le plaisir, la douleur !
Qui mord dans la chair des poissons, sera mordu par les poissons; et qui avale sera avalé.
Et qui boit et mêle le vin, boira de l'eau comme un poisson; et qui ne sait pas, apprendra.

 

2.
Le roi Gradlon parla :
— Joyeux convives, je veux aller dormir un peu.
— Vous dormirez demain matin; demeurez avec nous ce soir; néanmoins qu'il soit fait comme vous le voulez.
Sur cela, l'amoureux coulait doucement, tout doucement ces mots à la fille du roi :
— Douce Dahut, et la clef ?
— La clef sera enlevée; le puits sera ouvert : qu'il soit fait selon vos désirs !

 

3.
Or, quiconque eût vu le vieux roi endormi, eût été saisi d'admiration.
D'admiration en le voyant dans son manteau de pourpre, ses cheveux blancs comme neige flottant sur ses épaules, et sa chaîne d'or autour de son cou.
Quiconque eût été aux aguets, eût vu la blanche jeune fille entrer doucement dans la chambre, pieds nus :
elle s'approcha du roi son père, elle se mit à genoux, et elle enleva chaîne et clef.

 

4.
Toujours il dort, il dort le roi. Mais un cri s'élève dans la plaine :
— L'eau est lâchée ! La ville est submergée !
— Seigneur roi lève-toi ! et à cheval ! et loin d'ici !
La mer débordée rompt ses digues !
Maudite soit la blanche jeune fille qui ouvrit, après le festin, la porte du puits de la ville d'Is, cette barrière de la mer. !

 

5.
— Forestier, forestier, dis-moi, le cheval sauvage de Gradlon, l'as-tu vu passer dans cette vallée ?
— Je n'ai point vu passer par ici le cheval de Gradlon, je l'ai seulement entendu dans la nuit noire :
Trip, trep, trip, trep, trip, trep, rapide comme le feu !
— As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer, peignant ses cheveux blonds, au soleil de midi, au bord de l'eau ?
— J'ai vu la blanche fille de la mer, je l'ai même entendu chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots.


Source : Th. Hersart de La Villemarqué, Barzaz-Breiz page 706

Voir la version de Souvestre à propos de cette légende.

Ker-is ou la ville d'Is, capitale du roi Gradlon, était défendue contre les invasions de la mer par un puits ou un bassin immense, destiné à recevoir l'excédent des eaux, à l'époque des grandes marées.
Ce puits avait une porte secrète dont le roi seul gardait la clef, et qu'il ouvrait et fermait quand cela était nécessaire.

Or une nuit, pendant qu'il dormait, la princesse Dahut, sa fille, voulant couronner dignement les folies d'un banquet donné à un amant, déroba à son père la clef fatale, courut ouvrir l'écluse, et submergea la ville.

Saint Gwénnolé passe pour avoir prédit ce châtiment qui fait le sujet d'une ballade qu'on chante à Trégunc.

 

La tradition relative à la destruction de la ville d'Is remonte au berceau de la race celtique, car elle est commune aux trois grands rameaux de cette race : bretons, gallois et irlandais.
On la trouve localisée en Armorique, comme en Cambrie, comme en Irlande.

Selon les uns et les autres, la fille du roi est la cause de l'inondation, et Dieu punit la coupable en la noyant, et en la changeant en sirène.

 

Fuyant à toute bride sa capitale envahie par les flots qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de son cheval, Gradlon emportait sa fille en croupe, lorsqu'une voix terrible lui cria par trois fois :

Repousse le démon assis derrière toi !

Le malheureux père obéit, et soudain les flots s'arrêtèrent.

Voir + dans la page croyances/légendes : mer 3

 

Voir une autre version de ce chant :

Gwerz Ker-Is n° 1282 page 65