Le peuple et l'histoire

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- Les ermites

Il est assez rare que les ermites figurent dans les récits contemporains;
presque partout en France la vie érémitique est tombée en désuétude; les demeures de ces solitaires, bâties en matériaux fragiles et grossiers, n'ont guère survécu à ceux qui les avaient construites.

La tradition locale n'a cependant pas oublié complètement ces religieux.
La petite île Notre-Dame en St-Jouan de Guérets (I. et V.) était occupée en 1800 par deux pénitents que la tourmente révolutionnaire y avait oublié.
Quand les brouillards couvraient la Rance, ils sonnaient la cloche sans relâche pour avertir les bateaux d'éviter les écueils;
les bateliers ne manquaient jamais, en passant devant la chapelle, de chanter à plein gosier un cantique en l'honneur de la Vierge;
ils jetaient en même temps à l'eau une botte de paille, de foin, une bûche ou un fagot, que le courant portait vers l'île.

Vers 1820, un bon observateur écrivait : « On rencontre en plusieurs endroits de la Basse-Bretagne des cellules formées dans le roc;
quelques-unes sont encore habitées par des ermites;
les paysans pensent qu'ils tournent le roc à volonté pour ne jamais avoir le vent en face ».

 

Quelques-uns de ces solitaires ont laissé un souvenir aussi peu édifiant que celui dont le roman de Gil Blas raconte les aventures.
Un ermitage sur le territoire de Ban-sur-Meurthe, dans les Vosges, fut rasé quant on eut appris que son possesseur tuait les voyageurs pour les voler;
les légendes où les ermites jouent un vilain rôle sont du reste très nombreuses en Lorraine.

Plusieurs dictons sont également peu favorables à ces religieux isolés.

- L'abis ne fet pas l'ermite.
- De jeune hermite veil diable (Quand le diable devient vieux il se fait ermite).
- Touti lis ermito vivan pas de sautarello.

 

Le diable vient tenter ces solitaires, et il emploie des procédés qui rappellent la Tentation de saint Antoine de Callot.
En Picardie, Satan ayant obtenu de Dieu la permission de faire pécher une fois un ermite, propose à celui-ci trois péchés : tuer un homme, s'enivrer, ou séduire la femme de son voisin.
L'ermite, croyant bien faire, s'enivre et arrive à commettre les deux autres péchés.

 

Les légendes de la Basse-Bretagne accordent aux ermites une véritable puissance;
l'un d'eux gouverne les animaux des bois, les oiseaux et connaît tous les simples.
Parfois ce pouvoir est réparti entre plusieurs;
des héros, à la recherche de merveilles situées dans des pays inconnus, rencontrent un ermite qui les envoie à son frère plus puissant que lui, et celui-ci à un troisième;
le premier sait la vertu des plantes : les animaux à poil obéissent au second, et ceux à plume au troisième.
Comme les vents et les saints, ils donnent à leur protégé une serviette magique, en Berry une flûte, un manteau et une baguette.
Un ermite peut remettre un péché que les prêtres n'ont pas qualité pour absoudre, un autre ressuscite un enfant mort.
Quelquefois leur sainteté est si grande que leur bon ange vient causer familièrement chaque jour avec eux.

Quelques-uns se livrent à d'épouvantables macérations : l'un est assis sur un galet chauffé au feu qui donne à sa chair une odeur de roussi;
un autre se tient dans un four, et tous les deux agissent ainsi pour s'habituer au feu de l'enfer.
Ils demandent aux personnages qui vont les voir de les crucifier, puis de les enduire de poix, et de les brûler, ou bien de leur arracher les ongles, et de leur crever les yeux.

 

Il est rare que les ermites, mêmes coupables, soient condamnés à des pénitences posthumes.
En Provence, un méchant ermite sous la forme d'une flamme bleuâtre était devenu un esprit noyeur.

 

- Les Templiers et les moines rouges

A l'époque de leur puissance, l'opinion les accusait de se croire supérieurs à tous les autres hommes.
C'est au siècle suivant, voisin de la destruction de leur ordre, que l'on enregistre les comparaisons, probablement plus anciennes :
« Jurer comme un Templier », « Boire comme un Templier » , encore très populaire, qui semblent avoir été mises en circulation pour jeter le discrédit sur ces chevaliers.

 

Beaucoup de traditions les représentent comme de grands bâtisseurs, et, à ce point de vue, ils rivalisent avec les Romains et avec les reines légendaires.
On leur fait même honneur de constructions qui leur sont bien antérieures :
dans la Gironde, vers 1820, on leur attribuait un mur romain, et une ancienne route de la Basse-Navarre par Roncevaux est dite « Chemin des templiers ».
En Bourbonnais, il n'est guère de château, debout ou en ruines, dont les gens du pays ne fasse remonter la fondation aux chevaliers du Temple.

 

Les Templiers furent arrêtés le même jour par ordre de Philippe le Bel;
plusieurs légendes qui racontent avec quelle rapidité furent détruites leurs demeures, semblent la traduction populaire de ce fait historique.
Les nombreux châteaux qu'ils possédaient aux environs de Moncontour de Bretagne s'effondrèrent tous en une nuit.
Les Templiers furent exterminés en une seule nuit.
A Allaines, en Picardie, ils disparurent dans le même espace de temps.
En Hainaut, une de leurs citadelle fut assiégée, prise, brûlée en une seule nuit par un seigneur dont ils avaient enlevé la fille.

 

En Bretagne, en Picardie, le nom de « moines rouges » s'applique en général aux Templiers.
Cette couleur n'était pas celle du costume, qui était blanc avec une croix rouge sur la poitrine, mais celle que les traditions assignent fréquemment aux habits du diable et de ses suppôts;
ici elle indique les accointances qu'on leur attribue avec l'esprit des ténèbres.

La tradition les dépeint surtout comme luxurieux.
Les moines rouges de Saint-Agathon épiaient les jeunes filles aux lavoirs pour les enlever;
en Hainaut, ils s'emparèrent même d'une princesse et l'emmenèrent dans leur repaire.

La chanson bretonne des Trois Moines Rouges parle d'une jeune fille emportée par eux.
Au bout de huit mois, ils l'enterrent sous le maître-autel;
un chevalier les voit par le trou de la serrure, et il révèle leur crime à l'évêque, qui fait creuser et trouve la jeune fille avec son enfant endormi sur son sein.
L'évêque se met en prière dans la fosse. La troisième nuit, l'enfant ouvre les yeux, tous les moines étant là, et marche tout droit aux trois moines rouges, en disant « Ce sont ceux-ci. »
Ils ont été brûlés vifs et leurs cendres jetées au vent. (H. de la Villemarqué)

 

Près de la tour de Montbran à Pléboulle, (C.-d'A.) fut jadis un cimetière où l'on enterrait que les chevaliers du Temple, qui, d'après les gens du pays, étaient des hommes grands comme au temps de Noé.
Ils racontent que l'un d'eux enleva sur la côte normande une princesse qu'il conduisit à la tour, où elle mourut de chagrin.
Le chevalier, pour conserver au moins un souvenir de sa bien-aimée, lui coupa une de ses blanches mains qu'il admirait tant.
Tous les ans, à l'anniversaire de sa mort, elle sort de son tombeau, elle se rend à l'extrémité de l'ancien cimetière à l'endroit où fut enterré le chevalier, et elle vient réclamer sa main que l'amoureux dédaigné a fait mettre dans son cercueil sur son corps.

 

La tradition n'est pas d'ordinaire favorable aux Templiers;
cependant en Picardie, l'un d'eux, porté à la contemplation, resta cent ans dans un bois à écouter le chant d'un pinson, et c'est ainsi qu'il échappe au châtiment des ses frères… (voir détails, page : Terre 5 - merveilles et enchantements"

 

Comme beaucoup d'autres personnages dont la vie fut souillée de crimes, ils ne peuvent trouver de repos après leur mort.
Dans quelques cantons de Bretagne, le peuple croit encore voir errer la nuit les Templiers ou moines rouges montés sur des squelettes de chevaux recouverts de draps mortuaires.
Ils poursuivaient les voyageurs, s'attaquant de préférence aux jeunes gens et aux jeunes filles qu'ils enlevaient et qu'on ne revoyaient jamais.

Les gens du pays d'Avressac, qui vont en pèlerinage aux ruines de la chapelle de Trioubry, qui fut, dit la tradition, d'abord un oratoire bâti par les Templiers, n'osent guère s'y aventurer sans armes.
Un habitant d'un village voisin s'était abrité un soir pour se préserver du vent dans les ruines de la chapelle.
A peine entré, il la vit s'illuminer de toutes parts, se remplir de squelettes, et un grand moine tout vêtu de rouge se mit à courir après lui en poussant des cris.
L'homme se hâta de sortir, mais s'étant retourné, il vit le moine rouge revenir sur ses pas et disparaître sous les pierres du coteau.
On dit que c'est un Templier qui revient tous les soirs chercher des chrétiens en état de péché mortel, pour leur faire partager ses supplices en enfer.

 

En ce qui concerne l'histoire du « trésor des Templiers » que l'on disait enfoui dans les sous-sol du château de Gisors, elle est due à Roger Lhomoy, « dit Roger la Taupe », jardinier employé à l'entretien du parc de ce même château et porté sur la bouteille.
A la fin de sa vie, il confia à un journaliste qu'il avait inventé les « coffres ».

On sait maintenant que le trésor des Templiers n'était pas en France, il avait été confié aux banquiers et aux marchands italiens.

 

- Le clergé et les seigneurs

La tradition a conservé le souvenir de certains conflits entre le clergé et les seigneurs;
ceux-ci n'étaient pas toujours des fils respectueux de l'Eglise, surtout lorsque leur orgueil ou leur passion étaient en jeu, et des récits populaires les représentent comme ayant exercé envers les prêtres, et surtout envers les moines, bien des actes de violence.

Certains nobles exigeaient que les prêtres ne commencent la grand-messe qu'après leur arrivée;
naguère on citait, en Haute-Bretagne, des châtelains qui avaient réussi à faire déplacer des recteurs qui n'avaient pas voulu se soumettre à cette servitude.

Le curé de Dore (Puy-de-Dôme) devait non seulement offrir l'eau bénite et l'encens au sire de Bouchardot, comme patron de l'église, mais encore la messe ne devait commencer qu'après son arrivée.
Souvent il venait fort tard et à des heures capricieuses, alléguant que le vieux curé c'était son métier de jeûner, que les manants, ce n'était pas la peine de s'en apercevoir, et que le bon Dieu, cela ne l'ennuyait pas d'attendre.
Un jour qu'il avait dépassé ses retards ordinaires, le curé commença la messe, pensant qu'il ne viendrait pas.
Tout à coup Bouchardot se précipite furieux dans l'église, s'ouvre un passage à travers la foule et va poignarder le prêtre à l'autel.
Le sang du vieillard rejaillit sur l'ostie et le calice, et au même moment la foudre tomba sur l'impie et le réduisit en cendres.

Le desservant de la chapelle de Caslou, près de Montauban-de-Bretagne, fut aussi tué par le seigneur du lieu qui survint au moment de l'élévation;
Le chapelain du château de Montigny par une flèche que lui lança son maître qui s'était attardé à chasser.

Un sire de Marcellaz, ayant tué un prêtre qui voulait défendre une jeune fille qu'il poursuivait, fut décapité, par ordre du Sénat de Savoie (XVIème siècle), et sa tête fut clouée au-dessus de la porte de l'église où elle est restée jusqu'en 1843.

 

Des moines mis en présence de seigneurs parviennent à se tirer d'affaire, grâce à leur finesse.

Un cordelier du couvent Saint-Martin, qui avait tendu des collets dans la forêt de Teillay, dont le marquis Coetenfao seigneur de la Roche-Giffard (Ille-et-V.), était propriétaire, fut surpris par un un garde qui l'amena devant son maître.
Celui-ci se précipita dans la cour du château, saisi un coq qui s'y trouvait, l'apporta au moine et lui dit :

« Tue ce poulet comme tu voudras être tué, et je te jure que tout ce que tu feras sur lui je le ferai sur toi.
— Vous le jurez ? dit le moine.
— Oui, je te le jure. »

Alors le cordelier enfonça un doigt dans le derrière du coq, le retira, se le mit dans la bouche et regarda bien en face le marquis en disant :

« Vous ferez cela ? »

Le seigneur ne put s'empêcher de rire, et s'écria :

« Tu es plus fort que moi; je n'aurais jamais eu pareille idée.
Je te fais grâce pour cette fois; mais ne t'avise plus de me prendre mes lièvres. »


Dans les Landes, pour connaître la secrète pensée d'une personne, on lui passe délicatement, à trois reprises, une paille sur les lèvres.


Pour se faire aimer, bien des femmes, dans la Gironde et ailleurs, avaient l'habitude de mélanger à la boisson ou aux aliments de la personne qu'elles avaient en vue quelques gouttes de leur sang menstruel.


Suite…


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